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Nucléaire : le détail du nouveau décret pour mieux indemniser les victimes


Le président du Pays Edouard Fritch, le président de l'assemblée Marcel Tuihani, Roland Oldham, de l'association Moruroa e Tatou ainsi que le représentant de l'association Tamarii Moruroa participeront à cette réunion.
Le président du Pays Edouard Fritch, le président de l'assemblée Marcel Tuihani, Roland Oldham, de l'association Moruroa e Tatou ainsi que le représentant de l'association Tamarii Moruroa participeront à cette réunion.
PARIS, le 6 juillet 2016. La ministre de la Santé a présenté le nouveau décret d’application de la loi Morin. Un premier pas pour indemniser davantage de victimes mais qui ne va pas jusqu’à supprimer la notion de risque négligeable.

Fin février, François Hollande, en visite à Tahiti, promettait de revoir les critères d’indemnisation des victimes des essais nucléaires pour « faire accéder à l’indemnisation de nouvelles victimes ». Actuellement, une centaine de Polynésiens ont déposé un dossier et seuls sept d’entre eux ont été indemnisés. Quatre mois après, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a présenté au Coscen (Conseil d'orientation sur le suivi des conséquences des essais nucléaires) réuni à Paris mercredi, son projet de nouveau décret d’application de la loi Morin.
Comme promis, les nouveaux critères doivent rendre les règles de sélection plus « transparentes » et le processus doit être plus simple et « plus accessible » pour les victimes.
Si la fameuse notion du risque négligeable qui empêche de nombreux dossiers d’aboutir n’est pas supprimée comme le demandaient les associations de victimes, celui-ci est fortement encadré. Ainsi, « le seuil de probabilité au-delà duquel le risque ne peut être considéré comme négligeable », est abaissé de 1% à 0,3%. De plus, les dossiers seront traités « au cas par cas » par le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) « pour favoriser l’indemnisation des victimes ». Ainsi, « l’incertitude liée à la sensibilité de chaque individu aux radiations » sera prise en compte. De plus, la présomption d’une maladie liée au nucléaire ne pourra pas être écartée en l’absence de données dosimétriques réalisées à l’époque des essais. Autre nouveauté, Marisol Touraine demande au Civen d’organiser des séances de visioconférence pour que les demandeurs puissent « s’exprimer au cours de l’examen » de leur dossier. C’était déjà un droit mais qui n’était pas appliqué en raison de la distance géographique.

"CELA VA DANS LE BON SENS"
Ces modifications vont dans le sens d’une meilleure prise en compte des victimes potentielles des essais nucléaires. A l’issue de cette seconde réunion organisée sous l’autorité du ministère de la Santé, le président du Pays Edouard Fritch s’est montré plutôt satisfait : « Cela va dans le bon sens. On aurait souhaité peut-être un peu plus mais je crois qu’on a fait un pas important aujourd’hui. » Il s’est engagé à donner son point de vue sur le projet de décret d’ici à la fin juillet afin d’y apporter « quelques précisions ».

Les participants à cette commission consultative de suivi des essais nucléaires ont convenu de se retrouver fin juillet à Paris pour établir une mouture finale.

La députée Maina Sage avait interrogé Marisol Touraine un peu plus tôt dans la journée lors des Questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale. Dans une intervention émue, elle avait imposé le silence à ses collègues en rappelant les conséquences des 193 essais nucléaires qui ont « bouleversé » la société polynésienne. Elle regrette de n’avoir pas pu prendre connaissance du projet de décret avant cette réunion du Coscen. Toutefois, elle estime « qu’il devrait permettre un meilleur fonctionnement ». Pourtant, si ces modifications vont dans le bon sens, le bout du chemin est encore loin.

Sans surprise, Roland Oldham, président de l’association Moruroa e tatou, ne se satisfait pas de cette politique des petits pas. Pour lui, être indemnisé reste un « parcours du combattant pour les victimes et à la fin, ils vont toujours utiliser le risque négligeable ». Pessimiste, il pense que ces nouveaux critères permettront peut-être à une vingtaine de personnes supplémentaires d’être indemnisées. Et que son déplacement n’aura pas servi à grand-chose : « Je fais 20 000 kilomètres pour venir, à chaque fois je parle, je parle et je ne suis pas entendu et l’Etat fait sa loi. »

Jean-Luc Sans, le président de l’Aven, l’association métropolitaine de défense des victimes des essais nucléaires, se montre plus pragmatique. La solution du décret modifié était peut-être la voie la plus rapide : « Si on veut faire supprimer le fameux risque négligeable, on va partir dans un processus parlementaire qui va encore nous décaler de trois à quatre ans à cause des élections de l’an prochain. Maintenant, il y a urgence. Donc, le fait de descendre le seuil à 3 pour mille au lieu de 1%, je ne dis pas que c’est la panacée mais cela va permettre de soulager pas mal de personnes. »

Techniquement, les propositions suivent les engagements du président de la République. Reste à les expliquer aux victimes. "Moralement, comment expliquer à une victime que peut-être son cancer n’est pas lié parce que le risque est inférieur à 1% ?, s’interroge Maina Sage. Symboliquement, cela reste difficile à entendre." Comme les associations, la députée est pour la suppression du risque négligeable, « qui reste un verrou ». Mais ce ne sera pas encore pour cette fois.


Sept Polynésiens indemnisés depuis 2010

Depuis 2010, 1043 dossiers de demande d’indemnisation ont été déposés auprès des instances ad hoc, dont moins d’une centaine de dossiers polynésiens.
Seuls 20 indemnisations ont été accordées par le CIVEN, dont 7 pour des Polynésiens. Les autres dossiers ont été rejetés car les risques des essais nucléaires étaient « négligeables ».
Les indemnités sur six années pour 20 personnes totalisent la somme de 922 000 euros, soit 110 millions francs pacifiques. Sur la base de ces constats, l’indemnité moyenne pour une victime est de 46 000 euros, soit 5,5 millions francs pacifiques. L’indemnité moyenne par ayant-droit polynésien (victime décédée) est d’environ 5 000 euros soit 600 000 francs pacifiques.
Depuis 2010, le CIVEN a remboursé aux caisses de la CPS et de la Sécurité Sociale, la somme de 683 305 euros (soit 81 millions francs pacifiques) pour les frais médicaux des 20 personnes indemnisées, soit une moyenne de 34 000 euros (soit 4 millions francs pacifiques) de frais médicaux par victime. Approximativement, pour les sept victimes polynésiennes indemnisées, la CPS a perçu environ 239 150 euros, soit au total 28,6 millions francs pacifiques pour le remboursement des frais médicaux de sept ces victimes.

Rédigé par Serge Massau, à Paris le Mercredi 6 Juillet 2016 à 12:29 | Lu 2264 fois