Tahiti Infos

Nucléaire : l'Etat fera-t-il appel de ses dernières condamnations ?


Philippe Neuffer en compagnie de l'épouse et du fils fa'aamu du M. Faara.
Philippe Neuffer en compagnie de l'épouse et du fils fa'aamu du M. Faara.
PAPEETE, 20 septembre 2016 - Les ayants droit des familles Taha et Faara attendent de savoir si l’Etat fera appel de la décision rendue mardi 13 septembre par le tribunal administratif de Polynésie française.

"J’essaye d’obtenir un rendez-vous avec le Haut-commissariat depuis mercredi dernier", annonce Philippe Neuffer. "On m’a demandé d’entrer en contact avec le directeur de cabinet. On m’a ensuite demandé d’adresser un courrier de demande, par email. Pour l’instant, je n’ai toujours aucun retour ", déplore l’avocat. "Je pense qu’ils attendent les instructions de Paris. On aimerait savoir s’il y a une cohérence entre les discours prononcés au plus haut niveau de l’Etat et les actes".

Contacté à ce sujet, le Haut-commissariat assure avoir reçu une demande d'entretien, par courriel le 14 septembre et y avoir répondu dès le lendemain. "Nous n'avons pas la gestion de ce contentieux", nous y explique-t-on. Aucun rendez-vous ne sera accordé à Philippe Neuffer au titre de cette procédure.

En question, il s’agit de savoir quelle suite le ministère de la Défense entend donner à la décision rendue mardi 13 septembre par le tribunal administratif de Polynésie française (TA) dans deux dossiers de demande d’indemnisation d’anciens travailleurs du nucléaire. La semaine dernière, la justice administrative a décidé de condamner l’Etat au versement de près de 33 millions Fcfp d’indemnités en réparation des préjudices subis par deux anciens travailleurs du nucléaire, et imputables à leur exposition aux radiations ionisantes.

Dans les deux cas, les victimes étant aujourd’hui décédées, les ayants droit ont repris l’instance à leur compte, et seront bénéficiaires des sommes en réparation. Dans les deux cas, la décision de mardi pourrait mettre un terme à plus de 12 ans d’une procédure débutée en 2004 devant le tribunal du travail, en demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle ; poursuivie devant la chambre sociale de la cour d’appel ; déplacée en 2010 devant le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), sous couvert de la loi Morin, puis réitérée devant le CIVEN après invalidation par le TA d’une première décision de rejet ; pour se retrouver encore devant la justice administrative après un nouveau rejet de la demande d’indemnisation pour cause de risque négligeable. Dans ces deux dossiers, la décision prise mardi dernier par le TA doit mettre un terme à un difficile parcours du combattant. Sauf si l’Etat fait appel. Et il a trois mois pour engager son recours devant la cour administrative de Paris.

> Lire aussi : Nucléaire : l’Etat condamné à indemniser les ayants droit de deux victimes

Sans verser dans la spéculation, Me Neuffer se dit assez confiant dans l’issue d’une telle procédure. Le 7 décembre 2015, le Conseil d’Etat a pour la première fois précisé les conditions d’application du régime d’indemnisation de la loi Morin. Cette décision 378325-CE du 7 décembre 2015 est au fondement de celle rendue mardi dernier par le TA à Papeete. La plus haute cour de la juridiction administrative a notamment précisé les critères d’appréciation du caractère négligeable du risque de développement de la maladie attribuable aux essais nucléaires. Il a jugé que le CIVEN, le comité chargé de se prononcer sur les demandes d’indemnisation, pouvait se fonder sur la dose reçue de rayonnements ionisants, à condition de disposer de mesures dosimétriques suffisantes. En l’absence de telles données, alors que des mesures de surveillance auraient été nécessaires, le Conseil d’État a jugé que la présomption de causalité devait prévaloir.

Mais un appel de l’Etat dans ces deux dossiers signifierait au bas mot 15 mois de procédure nouvelle. "La décision du TA est exécutoire nonobstant appel", précise cependant l’avocat. "Pour nous, il s’agit d’une question de sécurité juridique". Car dans l’immédiat, il s’agit aussi pour l’avocat de savoir quel sort il doit réserver au versement des 33 millions Fcfp d’indemnités aux modestes ayants droit Faara et Taha.

Ensuite, à l’association Moruroa a Tatou, de défense des anciens travailleurs du nucléaire, 57 dossiers de demande d’indemnisation attendent encore d’être présentés.

Pour l’heure, depuis 2010 sur les 1043 demandes d'indemnisation faites dans le cadre de la loi Morin, seules 19 ont obtenu gain de cause dont 7 en Polynésie française. Depuis 1992, la Caisse de prévoyance sociale a recensé 7 489 patients polynésiens traités pour l'un des 21 cancers reconnus par le décret d'application de la loi d'indemnisation. Une étude d'impact réalisée en 2012 par l'Etat a estimé qu'en 1974, sur une population de 150 000 habitants en Polynésie française, 2790 personnes étaient susceptibles d'être indemnisées à l'horizon 2050 pour une affection développée à la suite de leur exposition aux retombées nucléaires.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 20 Septembre 2016 à 15:19 | Lu 1341 fois