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Narcisse Pelletier, le Vendéen Aborigène


1 Narcisse Pelletier à son retour en France : il portait des scarifications sur le torse et les bras ; son nez et ses oreilles étaient largement percées.
1 Narcisse Pelletier à son retour en France : il portait des scarifications sur le torse et les bras ; son nez et ses oreilles étaient largement percées.
PAPEETE, le 8 janvier 2016- Narcisse Pelletier est aussi célèbre en Australie qu’il est méconnu en France. Et pourtant, ce marin, originaire de Vendée, a vécu l’une des plus incroyables aventures de nos “mers du Sud” : abandonné gravement blessé, à la suite d’un naufrage, sur une plage du nord de l’Australie par un capitaine peu scrupuleux, il passa dix-sept années de sa vie dans un clan aborigène, au sein duquel il subit tous les rites d’initiation jusqu’à devenir un parfait “Abo”, que des marins bien intentionnés ramenèrent pourtant en France, malgré lui…

Alphonse Narcisse Pierre Pelletier, né le 1er janvier 1844 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, petite bourgade en bord de mer au cœur de la Vendée, n’était pas spécialement destiné à devenir marin (son père était bottier), mais sa volonté de naviguer sur les mers était la plus forte : en 1856 (il a tout juste douze ans !), il embarque comme mousse aux Sables d’Olonne, s’en va jusqu’à Bordeaux, avant d’être embarqué, toujours comme mousse, en 1857, à bord d’un trois-mâts ancré dans le port de Marseille. Le capitaine du “Saint-Paul”, Emmanuel Pinard, est un voyageur au long cours. Il doit, cales pleines, se rendre jusqu’à Hong-Kong y décharger ses marchandises et repartir avec, à son bord, une cargaison insolite, 317 Chinois désireux de quitter la violence et la misère de leur pays pour tenter leur chance sur les champs aurifères d’Australie.


Cette gravure du 8 août 1875, tirée du “Journal illustré”, montre la capture de Narcisse Pelletier en Australie. Ce dernier ne voulait pas quitter son clan d’Aborigènes.
Cette gravure du 8 août 1875, tirée du “Journal illustré”, montre la capture de Narcisse Pelletier en Australie. Ce dernier ne voulait pas quitter son clan d’Aborigènes.
Les 317 Chinois abandonnés

Malheureusement, le “Saint-Paul” fait naufrage le 30 septembre 1858 sur un récif de corail entourant l’île de Rossel, dans l’archipel à peine connu de la Louisiade (sud-est de l’actuelle Papouasie Nouvelle-Guinée).
A terre, les indigènes sont hostiles et attaquent les hommes de Pinard venus chercher de l’eau et des vivres, car isolés et sans ressource sur un petit îlot. Narcisse Pelletier fait partie de l’expédition. Gravement blessé à la tête, il est sauvé de justesse par ses camarades.
Coincé sur son lopin de sable avec ses 317 Chinois, face à des Papous bien supérieurs en nombre, Pinard décide, nuitamment, de prendre le large avec son équipage et la baleinière sauvée du naufrage, en abandonnant à leur sort les 317 Chinois. Officiellement pour aller chercher des secours. Sans armes, ceux-ci seront, à quelques exceptions près, tous tués et dévorés par ceux que nous appellerons les Rossels…
Pinard allait partir sans Pelletier ; il ne voulait pas s’encombrer d’un blessé. Mais le jeune mousse se rend compte de la fuite de ses camarades et parvient à se jeter dans la baleinière du “Saint-Paul” au moment où celle-ci prend le large.

Pelletier à la merci des Abos

Pinard et ses hommes n'étaient pas si mauvais marins que cela puisqu'ils parvinrent jusqu'à la pointe est de l'Australie, la vaste péninsule du cap York, après avoir parcouru 1 200 kilomètres sans rencontrer âme qui vive.
Les circonstances de l'abandon de Pelletier à terre ne sont pas claires et plusieurs versions se contredisent ; le fait est que le jeune garçon, très probablement abandonné, s'organisa pour survivre seul ; en réalité, il n’avait aucune chance de s’en tirer. Rapidement pourtant, il fut trouvé par un groupe de trois femmes Aborigènes qui se dépêchèrent de signaler à leurs compagnons leur découverte insolite.
Pelletier était, bien sûr, épouvanté par ce qu'il pensait risquer (être dévoré !), d'autant qu'il était dans un état de faiblesse extrême, mal nourri depuis des jours, blessé à la tête par la pierre reçue à Rossel lors du premier débarquement et enfin un pied infecté par des coupures dues aux coraux.


Sur cette carte du cap York, on peut lire, sur la côte est : “Iron Range National Park” ; c’est au sud de cette indication, dans une baie, que vécut pendant 17 ans, le jeune mousse vendéen.
Sur cette carte du cap York, on peut lire, sur la côte est : “Iron Range National Park” ; c’est au sud de cette indication, dans une baie, que vécut pendant 17 ans, le jeune mousse vendéen.
Le Vendéen devient un initié

Contre toute attente, ces Aborigènes du clan Uutaalnganu (groupe linguistique des Pama Malngkana) ne manifestèrent aucun sentiment d'hostilité envers ce jeune Blanc apporté par la mer ; leur chef, un dénommé Maademan, le prit même sous sa protection et la petite tribu, sans doute doit-on parler de clan, le baptisa du nom d'Amglo (ou Anco).
Pelletier, petit à petit, recouvra la santé et s'intégra à la vie de ces Aborigènes, contraint et forcé, il est vrai.
Le jeune homme, remis sur pied, devint même un guerrier comme les autres, mis à part la blancheur de sa peau ; mieux, Pelletier put visiblement suivre les rites d'initiation faisant de lui un véritable Aborigène au sein du clan, découvrant des rites secrets que même les femmes ne connaissaient pas.
Il affirma, plus tard, avoir été fiancé à une fille très jeune, dont, assura-t-il, il n’eut pas d’enfants. Mais des historiens assurent qu’en réalité, il en eut deux.

Embarqué de force !

Dix-sept ans plus tard, le 11 avril 1875, le capitaine Joseph Frazer, commandant le “John Bell”, jeta l'ancre dans la baie de Night Island, le long de la côte du cap York, ayant besoin de se réapprovisionner en eau douce.
Quelques-uns de ses hommes se rendirent à terre et quelle ne fut leur surprise en découvrant, au milieu d'un groupe d'Aborigènes les observant, un homme blanc avec lequel ils établirent le contact. Celui-ci ne parlait pas anglais, mais manifesta fermement son hostilité à l’idée de quitter son clan où il semblait très heureux.
Malgré cela, l’équipage du “John Bell” amena de force Pelletier, alors âgé de 31 ans, au capitaine Frazer. Celui-ci, pour arrondir les angles avec la tribu, acheta Pelletier aux Aborigènes en échange de diverses marchandises.


Le phare de l’Aiguillon, près de Saint-Nazaire. C’est ici, dans la solitude, que Narcisse finit sa vie, âgé d’à peine 50 ans, marié, mais resté sans enfant.
Le phare de l’Aiguillon, près de Saint-Nazaire. C’est ici, dans la solitude, que Narcisse finit sa vie, âgé d’à peine 50 ans, marié, mais resté sans enfant.
“Le sauvage blanc” de Sydney

A partir de là, le petit Vendéen Aborigène, affichant scarifications, nez et oreilles percées, reprit contact avec le monde moderne, d'abord en étant débarqué à Somerset (à la pointe de la péninsule d'York), où il put raconter tant bien que mal son aventure (en dix-sept ans, il avait eu le temps d'oublier son Français natal). Le 14 mai 1875, il quitta Somerset à bord du “Brisbane” (un autre bateau transportant des prospecteurs d'or chinois, clin d'œil de l'histoire), pour arriver à Sydney le 25 mai, ville dans laquelle il suscita une immense curiosité. La presse s’empara de son affaire et il devint “le sauvage blanc”. Finalement, grâce au consul de France, Georges-Eugène Simon, il put regagner son pays d'origine et débarqua à Toulon le 13 décembre 1875.
Le 2 janvier 1876, il retrouvait sa famille à Saint-Gilles, en Vendée, où il fut accueilli en héros, après une brève escale à Paris où il eut le temps de narrer son histoire à la presse. Il faillit devenir un “monstre de foire” exhibant son torse scarifié, ses oreilles et son nez percés, sous le nom de “Huge Anglo-Australian Giant”, mais il refusa la proposition. Par charité, dit-on, l’administration française lui fournit, finalement, un emploi de gardien de phare non loin de Saint-Nazaire, lieu propice, s'il en est, à la méditation et à la sérénité.

Mort à 50 ans à peine

Narcisse se maria en 1880, à l'âge de 36 ans, avec Louise Désirée Mabilou, âgée de 22 ans. Le couple n'eut pas d'enfant et, sans doute fatigué par toutes les épreuves endurées au cours de sa jeunesse, Pelletier s'éteignit à l'âge de 50 ans à peine, le 28 septembre 1894. L'histoire de ce naufragé fut racontée par Constant Merland dans un livre publié en 1876 et intitulé : “Dix-sept ans chez les sauvages, les aventures de Narcisse Pelletier ”, ouvrage réédité récemment (en 2002, avec un titre modifié), mais vite épuisé et difficile à trouver.
Outre l'intérêt ethnographique énorme de cet ouvrage, Pelletier ayant été le seul Blanc à avoir réellement vécu, en tant qu'initié, dans un clan Aborigène, son récit est intéressant par rapport à la tragédie vécue par les Chinois de Rossel ; il confirme bien que le capitaine Pinard avait quitté en douce le petit îlot de sable où l'équipage et les passagers du “Saint Paul” avaient trouvé refuge. Pelletier explique comment, in extremis, il parvint à être embarqué et comment il fut bel et bien abandonné par Pinard et ses hommes au cap York.

Les Chinois dévorés

Bien entendu, le capitaine français se défendit de tout abandon ; la situation des Chinois était si désespérée qu'il fallait bien partir chercher des secours d'une manière ou d'une autre et sur sa baleinière, il ne pouvait embarquer qu'un nombre très réduit de passagers. Pourquoi choisir tel ou tel Chinois et pas tel ou tel autre ? Pinard privilégia plus logiquement ses hommes, qui étaient des vrais marins et qui pourraient lui être d'un plus grand secours pour réussir sa traversée. Quant à Pelletier, c'est volontairement, selon le capitaine français, qu'il resta à terre au cap York, trop épuisé pour continuer le voyage.
Pinard et Pelletier sont, depuis beau temps, morts et enterrés et les divergences quant à leur récit perdurent, mais un fait est certain ; tous les deux décrivent les violences qui eurent lieu entre naufragés et indigènes durant les jours ayant suivi la fortune de mer du “Saint Paul” ; les malheureux Chinois espérant faire fortune en Australie dans les mines d'or n'ont, en fait, pas été plus loin que cette petite île de Rossel, dans l'archipel de la Louisiade, où ils ont bel et bien été massacrés et dévorés…Quant à Narcisse Pelletier, son “temps médiatique”, comme l’on dit aujourd’hui, fut de courte duré et il mourut dans l’indifférence…




A l’époque, les Aborigènes de la côte est de l’Australie étaient perçus comme des sauvages, tous soupçonnés de cannibalisme. Narcisse Pelletier fut, pour sa part, complètement adopté par son clan.
A l’époque, les Aborigènes de la côte est de l’Australie étaient perçus comme des sauvages, tous soupçonnés de cannibalisme. Narcisse Pelletier fut, pour sa part, complètement adopté par son clan.
Rossel : trop tard pour les Chinois

Après sa fuite de l’archipel de la Louisiade, où il avait abandonné plus de 300 Chinois, le capitaine Pinard eut pourtant un formidable coup de chance, puisque le 15 octobre, après quelques jours de navigation seulement, il eut la chance d'être découvert en pleine mer par le schooner “Prince of Denmark” au large de la péninsule du cap York. Lui et huit de ses hommes furent repêchés vivants et conduits à Port-de-France (actuellement Nouméa), en Nouvelle-Calédonie, le 25 décembre. Personne n’évoqua le cas de Narcisse Pelletier, alors que la situation des Chinois de Rossel fut de suite révélée.
Immédiatement, les autorités françaises lancèrent, en direction de l’île de Rossel, un bateau de guerre pour tenter de sauver les hommes abandonnés sur leur îlot ; le “Styx” arriva sur place le 5 janvier, près de trois mois après le naufrage et la fuite de Pinard.
Sur l'îlot Heron, il n'y avait pas âme qui vive ; avec précautions, une partie de l'équipage du “Styx” débarqua en armes, mais tout ce que les sauveteurs réussirent à trouver, ce fut deux sépultures peu profondes, contenant les corps de deux Chinois. Un autre Chinois, nu, apeuré et visiblement dans une grande détresse autant physique que morale, finit par être trouvé dans la broussaille ; par signes, il fit comprendre à ses sauveurs qu'il y avait encore, à sa connaissance, quatre autres de ses camarades encore vivants, mais que tout les autres, soit 310 Chinois, avaient été méthodiquement tués et dévorés par les indigènes de l'île principale.
Horrifiés, les Français n'en crurent pas leurs oreilles et décidèrent de se rendre à terre pour voir s'ils parviendraient à trouver des Chinois vivants ou si, réellement, cet homme qui semblait à demi-fou avait dit la vérité. Leurs illusions s'envolèrent très vite une fois à terre et les représailles envers les Rossels furent immédiates ; des hommes furent abattus, le village entièrement brûlé, les pirogues détruites. Dans l'une des cases des Rossels, les Français avaient en effet trouvé des nattes et des paquets de vêtements appartenant, sans aucun doute possible, aux malheureux Chinois. Aucun autre survivant ne fut découvert, malgré des fouilles acharnées. Le 26 janvier, la nouvelle du massacre faisait la première page du Sydney Morning Herald.

C’est où la Louisiade ?

L'affaire qui nous occupe date de la fin de l'année 1858 et concerne, à son point de départ, un archipel peu connu, celui de la Louisiade. Lorsque l'on regarde une carte, ce groupe d'îles se situe dans le prolongement sud-est de la Nouvelle-Guinée. Ce petit ruban de terres volcaniques, couvertes d'une impénétrable jungle, doit son nom de baptême au navigateur français Louis Antoine de Bougainville, qui le baptisa ainsi en 1768 en l'honneur de son roi, Louis XV. Les îles avaient déjà été repérées en 1606 par l'explorateur espagnol Luis Vaez de Torres (celui qui donna son nom au détroit séparant l'Australie de la Nouvelle-Guinée), mais en réalité, il n'est pas douteux que les marins chinois et malais ont fréquenté ces eaux bien avant ces dates, sans laisser de traces écrites.
On compte, dans l'archipel de la Louisiade, neuf îles ou groupes d'îles, dont quelques-unes affichent de savoureux noms français : les îles Bonvouloir, la chaîne Calvados ou les îles Renard… Au nord de la mer de Corail, sur le strict plan de la navigation, l'archipel est un labyrinthe complexe d'îles hautes (volcaniques) et de récifs coralliens, cette géologie en faisant un secteur redouté des navigateurs ; et d'ailleurs, à l'époque du drame, il était presque toujours évité.

Textes : Daniel Pardon

A lire

Narcisse en BD

L’aventure de Narcisse Pelletier est l’un des récits de mer les plus connus en Australie. Depuis le premier ouvrage consacré à sa vie chez les Aborigènes, son histoire a inspiré de nombreux auteurs, la plupart ayant très largement romancé leur récit.
Le dernier en date à s’être glissé dans le sillage du “Saint-Paul” est un dessinateur et scénariste de BD français, Hubert Campigli, alias Chanouga, qui s’est proposé de mettre en bandes dessinées l’épopée du jeune mousse.
En avril 2014, Chanouga publia le premier tome de sa trilogie (Narcisse. Mémoire d’Outre-Monde”), et le second (“Narcisse. Terra Nullius”) en septembre 2015. Le troisième et dernier devrait sortir de presse en 2016 (Les Editions Paquet. Collection Cabestan).



“Chez les sauvages: dix-sept ans de la vie d'un mousse vendéen dans une tribu cannibale, 1858-1875”
Auteurs : Narcisse Pelletier, Constant Merland
Rédacteur : Constant Merland
Editeur : Cosmopole, 2002

“Pelletier : The Forgotten Castaway of Cape York”
Auteure : Stephanie Anderson,
Editeur : Melbourne Books, 2009

“Ce qu'il advint du sauvage blanc”
Auteur : François Garde
Editeur : Gallimard, 2012

“La prodigieuse et véritable aventure d’un mousse vendéen”
Auteur : Joseph Rouillé
Editeur : Offset Cinq, 2002

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 8 Janvier 2016 à 13:25 | Lu 11717 fois