Tahiti Infos

Mieux comprendre : Comment observer les baleines ?


PAPEETE, le 13 mai 2016 - Les baleines sont des animaux migrateurs. Tous les ans, entre juin et décembre elles s'approchent des côtes polynésiennes avec leurs baleineaux pour allaiter et se reposer. Afin de pouvoir les observer de façon sûre, respectueuse et efficace, sans les mettre en danger ni se mettre en danger soi-même, nous vous rappelons aujourd’hui les comportements à adopter et les règles à respecter.

Quel est le meilleur moyen d'approcher une baleine ?
Le meilleur moyen d'approcher une baleine est le paddle ou le vaa'a parce qu'ils ne font pas de bruit et ne la dérangent pas. Cependant, il faut faire attention : les baleines sont curieuses, elles peuvent s'approcher et renverser les rameurs. Par ailleurs, comme elles n'entendent pas le paddle, elles peuvent ne pas le voir quand elles remontent à la surface et renverser les embarcations. Il arrive qu'entre juin et décembre, de nombreuses personnes croisent des baleines pendant leurs sorties en paddle, en kayak ou en vaa'a.

Les baleines sont-elles sensibles au bruit du moteur des bateaux ?
Les baleines utilisent les sons pour des activités vitales : communiquer, s’orienter, détecter les proies et les prédateurs, attirer des compagnons et entretenir des liens sociaux avec leurs congénères. C’est pour toutes ces raisons qu’elles sont très réceptives aux bruits sous-marins d’origine humaine. Évitez donc les bruits trop forts près des baleines, elles ont une ouïe très sensible.
Quelques conseils lorsque vous êtes en bateau : si vous souhaitez vous mettre à l’eau, évitez de sauter du bateau, le bruit du saut peut faire fuir la baleine. En effet, le bruit est similaire à celui que font les baleines en frappant la surface de l'eau avec leur queue en signe de mécontentement. Surtout, n'éteignez pas votre moteur, laissez-le au point mort. La baleine s'habituera ainsi au son. Si jamais vous l'éteignez, au moment de rallumer le moteur, le bruit peut la faire fuir.

Comment approcher une baleine à la nage ?
Il n'est pas recommandé de se mettre à l'eau à proximité des baleines, sous peine de risquer un accident. Cependant, si vous êtes dans l'eau près d'une baleine, ne vous approchez pas à moins de 30 mètres. Ne les encerclez pas, ne coupez pas leur route et ne les empêchez pas de fuir, notamment s'il y a plusieurs bateaux. Il faut faire d'autant plus attention si la baleine est accompagnée de son baleineau.
Des accidents peuvent se produire si les baleines se sentent menacées ou harcelées. Les baleines actives ont besoin d'un vaste espace, particulièrement au moment des parades, quand les mâles se battent pour les femelles.
Il est formellement interdit par la loi d’approcher les baleines en plongée à la bouteille, les bulles représentant pour elles un signe d’agressivité.

Quels sont les signes qui indiquent qu’une baleine est stressée ?
À la barre de votre embarcation, veillez à ne pas troubler le déplacement ou le comportement des baleines. Une plongée prolongée, un comportement de fuite avec de rapides changements de direction ou de vitesse et l’interruption de la parade ou des soins aux petits sont autant d’indices de perturbation.

Quelles sont les règles et les limites d'approche ?
Avec ou sans moteur, les embarcations doivent approcher les baleines obliquement par l'arrière, puis parallèlement à elles. Vous pouvez aussi vous placer devant elles, à au moins 300 mètres, à condition de ne pas leur couper la route. Une approche frontale peut être menaçante pour une baleine et doit donc être évitée, tout comme une approche directe par l'arrière. À moins de 300 mètres d'une baleine, la vitesse doit être constante et modérée, plus lente que celle des baleines, vous devez donc vous mettre au ralenti. Ne vous approchez pas des baleines à moins de 100 mètres. Évitez enfin les changements brusques de vitesse ou de direction qui pourraient les inquiéter. Si vous devez continuellement changer de direction ou de vitesse pour les voir, c'est qu'elles essaient probablement de vous éviter. Il vaut mieux alors les laisser tranquilles.

Comment agir si je tombe sur un groupe de baleines ?
Ne séparez pas ou ne dispersez pas un groupe de baleines. Les baleines forment souvent des groupes d’entraide mutuelle, pour leur reproduction et leur protection. Certains groupes peuvent être des unités familiales élargies très unies. Les perturbations peuvent casser des liens, séparer des individus et accroître ainsi leur vulnérabilité. Ne tentez pas de nourrir les baleines ou de jeter quoi que ce soit dans l’eau. Les déchets, notamment les plastiques, peuvent tuer les baleines par ingestion accidentelle ou les entraver.

Que faire si la baleine se trouve avec son baleineau ?
N’essayez pas d'approcher les mères avec les baleineaux. Si vous l'avez fait par inadvertance, quittez la zone immédiatement, à vitesse modérée et régulière. Une mère peut protéger son petit avec agressivité si elle le sent menacé. Même une séparation involontaire du petit d'avec sa mère à cause de la curiosité naturelle du baleineau pour le bateau peut présenter un risque.

Et si la baleine s'approche du bateau ?
Si les baleines s’approchent de votre bateau, éloignez-vous doucement d'elles ou restez, le moteur au point mort et laissez les baleines venir. N’embrayez pas tant qu'elles sont à moins de 100 mètres et ne les poursuivez pas quand elles décident de s'éloigner.

Si une baleine entre dans une passe, faut-il la chasser ?
Si une baleine rentre elle-même dans une passe, il ne faut pas la remettre dehors. Quand une baleine entre dans une passe, c’est en général pour mettre son baleineau à l’abri de prédateurs comme les grands requins ou les orques. 95 % des baleines qui entrent dans le lagon sont des femelles accompagnées de baleineaux.

Trois questions à Agnès Benet

Mieux comprendre : Comment observer les baleines ?
Agnès Benet, la fondatrice de Mata Tohora – qui veut dire l'œil de la baleine, nous en dit plus sur son association, le bon comportement et le rôle des observateurs.

Quel est le rôle de l'association Mata Tohora ?
Nous avons avant tout un rôle de sensibilisation. Nous expliquons les règles d'approche et nous demandons aux gens de les respecter. Plus ça va et plus les gens sont sensibles et comprennent qu'il faut respecter ces règles. Notre partie à nous c'est vraiment la pédagogie.

Y a-t-il beaucoup d'incivilités lors de l’observation des baleines ?
Depuis 2012 et la mise en place du programme "C’est assez !" pour sensibiliser les gens sur l'eau, il y a une nette amélioration. En 2012, c'était une vraie catastrophe, les gens leur fonçaient dessus, leur coupaient la route, s'approchaient trop près... En 2014, une belle amélioration a commencé et elle s'est poursuivie en 2015. Particuliers et professionnels font beaucoup d'efforts et de plus en plus attention.

Que reste-t-il à faire ?
Les nageurs doivent changer leur comportement dans l'eau. Ils sont généralement surexcités et veulent être toujours plus près, prendre la plus belle photo. Les gens sont de plus en plus près et prennent des risques inutiles. La pédagogie des nageurs est désormais notre priorité. Les baigneurs doivent respecter les animaux.
Les gens peuvent nous aider à repérer les baleines. Les observateurs nous sont d'une grande aide : dès qu'ils en voient une, ils nous contactent pour nous prévenir. Nous avons un bon réseau d'observateurs avec les pêcheurs, mais aussi les particuliers qui viennent se joindre à nous. Mata Tohora, c'est l'œil de la baleine : plus on aura d'yeux sur l'eau et plus nous serons performants.

Plus d'informations :
Facebook : Mata Tohora
Site internet : www.matatohora.com
Courriel : [email protected]

" Les observations mal conduites peuvent vraiment entrainer un changement de comportement des baleines"

Olivier Betremieux est vétérinaire à Tahiti. Passionné des fonds marins, il suit tous les ans pendant trois mois la migration des baleines en Polynésie française et pratique la photographie sous-marine. Il partage avec nous son expertise.

Quel est l'impact de la présence humaine auprès des baleines ?
L’impact est très difficile à évaluer puisqu’il dépend de l’interaction, du mode d’observation et du contexte comportemental des cétacés au moment même de cette observation. Par exemple, la présence humaine peut déranger un accouplement ou une parade si les observateurs ne se rendent pas compte ou ne connaissent pas le comportement de ces animaux et n’adaptent pas leur manière de les observer (à distance et sans mise à l'eau par exemple). À l’opposé, il nous est arrivé de voir une baleine "utiliser" la présence humaine à son avantage, une femelle qui est venue se réfugier sous le bateau pour échapper à deux mâles qui voulaient semble-t-il "forcer" un accouplement…

L’observation des baleines influe-t-elle sur leur comportement ?
Les observations mal conduites peuvent vraiment entraîner un changement de comportement des baleines, et le plus souvent, cela implique des particuliers mal expérimentés dans le whale watching. La direction de l'Environnement de Polynésie française [la DIREN, NDLR] essaie de communiquer au maximum sur les comportements à adopter en bateau en fonction des situations rencontrées en mer ou au bord du récif.
Il est clair que mettre à l’eau cinq, dix ou quinze personnes avec une baleine qui n’est pas d’accord avec la présence du bateau ou de ses occupants, entraînera forcément un changement dans son comportement. L'exemple le plus commun est l'observation d'une baleine avec son baleineau, qui a besoin de temps pour se reposer, allaiter ou interagir seule avec son bébé comme tout mammifère. Une observation forcée d’une femelle allaitante qui ne "veut" pas de la présence humaine va changer son comportement initial de repos ou d'allaitement, et elle va passer son temps à fuir ou esquiver les bateaux ou les personnes. Les gens ont parfois tendance à oublier qu’on a à faire à une maman et son bébé, qui en plus fait la taille d’un bus...

Les accidents entre bateaux et baleines sont-ils fréquents en Polynésie ?
Les accidents répertoriés sont surtout ceux des navires transportant du public, par exemple les ferries entre Moorea et Tahiti, et heureusement, ils ne sont pas fréquents. Les baleines sont capables de longues apnées de plusieurs dizaines de minutes et peuvent surprendre les capitaines de ces navires à vitesse rapide. Ces accidents sont le plus souvent mortels pour l’animal heurté, vu le poids, la taille et la vitesse des navires. Il est difficile de quantifier les incidents impliquant les autres navires commerciaux circulant en Polynésie française.
Les particuliers, quant à eux, ne vont pas forcément déclarer l’incident puisque la loi est censée les maintenir à distance des animaux, et ils sont donc supposés pouvoir éviter les accidents. Il y a aussi parfois des "rencontres volontaires" entre le baleineau et les bateaux, où l’animal vient alors toucher ou se frotter contre le bateau par curiosité, mais encore une fois, ce n’est pas censé arriver si le bateau est maintenu à une distance raisonnable de la maman.

En tant que vétérinaire, intervenez-vous directement sur les baleines ?
Les baleines sont les plus gros mammifères existant sur la planète et par-dessus tout des animaux sauvages. Les interactions médicales sont donc forcément limitées pour cette espèce. La tranquillisation d’un animal de cette taille, de plus en milieu aquatique, serait très difficile et risquée. Les seules interventions vétérinaires possibles sont malheureusement les euthanasies des animaux échoués.
À Moorea, l’année dernière, nous avons croisé une femelle entourée d’un boot très large qui commençait à faire garrot autour de son corps. Par deux fois nous sommes descendus à l’eau avec des couteaux espérant l'approcher et tenter de la soulager, en vain. La plupart des animaux sauvages ne se laissent pas approcher pour être secourus sans contention ou tranquillisation préalable, à moins que leur état de santé ou fatigue ne le permette. Aussi, nous récupérons parfois des échantillons de peau (squame laissée après le passage de la baleine) pour analyse génétique, prenons des photographies pour identification et filmons les différents comportements observés.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Lundi 13 Juin 2016 à 15:08 | Lu 8665 fois