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Menacée de prison, la journaliste philippine Ressa refuse de se taire


ManillePhilippines | AFP | mercredi 10/06/2020 - Célèbre journaliste philippine récemment jugée pour diffamation, Maria Ressa, qui attend le verdict susceptible de l'envoyer plusieurs années en prison, affirme que le gouvernement souhaite ainsi réduire au silence les voix dissidentes mais refuse de plier.

Dans un entretien exclusif accordé à l'AFP à quelques jours du verdict attendu lundi, la journaliste, qui encourt douze ans d'emprisonnement, reconnaît avoir peur mais continue à faire preuve de bravade.

"On m'a avertie: +tais-toi ou tu seras la prochaine...+ c'est en partie pourquoi j'ai été visée", explique Maria Ressa, 56 ans, cofondatrice du site d'informations en ligne Rappler et ancienne journaliste de la chaîne américaine CNN.

"Cela a un effet très dissuasif... pas seulement pour Rappler et moi mais pour les journalistes et toutes les personnes qui posent des questions gênantes".

Le procès pour diffamation fait suite à une plainte déposée en 2012 par un homme d'affaires, après un article de Rappler portant sur ses liens supposés avec un magistrat de la Cour suprême de l'archipel.

Cette plainte avait été initialement rejetée en 2017 mais le Parquet a relancé l'affaire en se fondant sur une loi controversée sur la cybercriminalité qui réprime la diffamation en ligne mais aussi le harcèlement ou la pédopornographie.

Les autorités affirment ne pas avoir pris pour cible la journaliste en raison de son travail, mais avoir simplement fait appliquer la loi.

Les organisations de défense de la liberté de la presse assurent elles que la journaliste fait l'objet de représailles de la part du président Rodrigo Duterte et de son administration, en raison de la manière, très indépendante, dont elle travaille.

Son site a souvent jeté un regard sans concession sur la sanglante répression du trafic de drogue voulue par le président et qui a fait des milliers de morts.

Une autre figure très critique à l'encontre de cette guerre contre le narcotrafic est la sénatrice Leila de Lima, en détention depuis trois ans pour trafic de drogue.

 

- "Affronter ma peur" -

 

Selon cette élue, les accusations ont été montées de toutes pièces.

La journaliste Maria Ressa, ainsi que Rappler, font l'objet d'autres poursuites pénales, notamment sur la manière dont le site a recueilli des fonds.

L'ensemble de ces attaques a attiré l'attention de la communauté internationale. Maria Ressa est ainsi devenue l'une des figures d'opposition aux gouvernements autoritaires les plus célèbres de la planète.

En 2018, elle a été désignée parmi les "personnalités de l'année" par le magazine américain Time.

Plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme se sont inquiétées ces dernières semaines de la manière dont le gouvernement a intensifié sa politique visant à faire taire les détracteurs. 

Il a ainsi fait fermer les chaînes d'ABS-CBN, principal groupe de médias philippin.

En juin, le Parlement philippin a adopté une loi antiterroriste qui permet notamment les arrestations sans mandat, et des placements en détention pendant plusieurs semaines sans inculpation. 

Maria Ressa estime que la façon dont M. Duterte a consolidé son pourvoir fait de lui le dirigeant philippin le plus puissant depuis le dictateur Ferdinand Marcos qui a dirigé le pays pendant deux décennies (1965-86).

La journaliste, qui a été chef de bureau de CNN à Manille et à Jakarta au cours de ses près de 35 ans de carrière, reconnaît que l'attente du verdict est difficile sur un plan émotionnel.

"Je vais affronter ma peur. Je dois être prête et cela commence dans ma tête. Cela commence par ma capacité à accepter le pire des scénarios", explique-t-elle depuis son domicile de Manille.

"Je ne veux pas être surprise", ajoute-elle.

L'indépendance du système judiciaire, depuis longtemps entaché de soupçons de corruption, a été particulièrement mise à mal depuis l'arrivée au pouvoir de M. Dutertre en 2016, selon les organisations de défense des droits.

Mais Maria Ressa veut encore croire que les individus qui composent ce système judiciaire demeurent "guidés par l'esprit de la Loi".

Quelle que soient les pressions éventuellement exercées au plus haut niveau pour obtenir sa condamnation, c'est au juge que revient la décision finale. 

"J'espère. Tout ce que je peux faire, c'est espérer", dit-elle.


le Mercredi 10 Juin 2020 à 07:23 | Lu 308 fois