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Magouilles à l'aéroport de Tahiti : l'interdiction d'exercer requise contre quatre des treize douaniers (Màj)


Magouilles à l'aéroport de Tahiti : l'interdiction d'exercer requise contre quatre des treize douaniers (Màj)
PAPEETE, le 7 avril 2016 - Le procureur de la République a pris ses réquisitions, ce jeudi, dans le dossier des petits arrangements à l'aéroport de Tahiti. Les peines les plus sévères suggérées par le ministère public au tribunal concernent les agents des douanes : jusqu'à 3 ans de prison avec sursis, 5 millions de francs d'amende, mais surtout interdiction définitive d'exercer dans la fonction publique pour le chef du service incriminé dans ce dossier de concussion.

Le quatrième jour du procès des magouilles à l'aéroport de Tahiti aura été animé. Notamment par deux avocats de la défense qui ont soulevé un incident de dernière minute, en milieu d'après-midi, justifiant selon eux rien de moins que la récusation de l'un des deux assesseurs du président du tribunal… et donc la tenue d'un nouveau procès avec une nouvelle composition de magistrats. "Je demande de constater l'impartialité du tribunal et de renvoyer l'affaire", a ainsi plaidé Me Jourdainne à l'issue du long réquisitoire du parquet, après avoir constaté que le président du tribunal a demandé à l'un de ses assesseurs de vérifier la régularité de la formulation d'une demande de la partie civile concernant sa demande d'indemnisation si les prévenus venaient à être condamnés. "C'est à mon sens le rôle de l'avocat de la partie adverse, pas d'un membre du tribunal, de discuter de la manière de procéder pour que ces demandes soient recevables" a estimé l'avocat qui voyait dans cet incident une atteinte aux droits de la défense et une forme de "pré-jugement" du tribunal avant même d'avoir plaidé.

Un incident qui a contraint le tribunal à se retirer pour délibérer des suites à donner et dont l'arbitrage a été confié au premier président de la juridiction en personne. Vers 17 h 15, après trois heures de branle-bas de combat dans les couloirs du palais, ce dernier rendait une ordonnance rejetant finalement la requête et le procès pouvait reprendre comme prévu, avec les plaidoiries des avocats de la défense.

Le jugement mis en délibéré

Exonération occulte des droit douanes sur les marchandises, importation non déclarée d'alcool ou de cigarettes, taux de change ultra préférentiel ou encore billets d'avion "GP" sur la base de fausse déclarations de concubinage avec des PNC complices : pas moins de vingt-cinq prévenus comparaissent depuis lundi sur les bancs de la grande salle du palais de justice de Papeete pour ces faits commis entre 2008 et 2011. Ils sont douaniers, personnels navigants commerciaux de la compagnie au tiare, agents de change à l'aéroport et tous auraient abusé de leurs fonctions à un moment ou à un autre, en lien les uns avec les autres, pour se rendre ces petits services entre amis.

L'affaire était née après l'interpellation d'un garagiste, un ancien ami du chef de l'équipe des douanes visée par l'enquête. Interpellé dans le cadre d'une affaire d'importation d'ice depuis les Etats-Unis, il était apparu incidemment qu'il ne s'acquittait pas, depuis des années, de l'intégralité des droits de douanes quand il ramenait ses pièces auto. Il disait s'occuper en échange des véhicules des douaniers impliqués et leur ramener de la marchandise, ce que ces derniers ont catégoriquement nié à l'audience. De fil en aiguille, les enquêteurs avaient découvert la face cachée de l'aéroport en mettant le doigt sur toute une série de petits arrangements entre amis.

Poursuivis selon leurs profils pour concussion, corruption, faux ou encore importation de marchandises sans déclaration, les prévenus encourent, outre la peine de prison, une forte amende, et pour les douaniers une interdiction d'exercer dans la fonction publique. A ce titre, deux interdictions définitives ont été requises contre le chef du service et un adjoint, assorties de peines de 2 et 3 ans de prison avec sursis, et de 1 et 5 millions d'amende.

Ce sont les réquisitions les plus lourdes avec celles visant deux autres douaniers : 18 mois de prison avec sursis, 1 million de francs d'amende et une interdiction d'exercer dans la fonction publique pendant une période de 3 ans. Toutes les autres peines requises contre les 25 protagonistes du dossier oscillent entre 3 mois et 2 ans de prison, toutes assorties du sursis. Les plaidoiries des avocats se poursuivront ce vendredi avant que le tribunal ne mette sa décision en délibéré à plusieurs semaines.

Me Bourion : "Cela jette le discrédit sur l'Etat"

Me Dominique Bourion, avocat de l'Etat, a demandé plus de 11 millions de francs de dommages et intérêts contre les prévenus du dossier, en réparation du préjudice moral pour l'Etat : "Pourquoi certaines personnes passaient sans payer, pourquoi les douaniers eux-mêmes passaient sans payer, pourquoi ils se faisaient importer des caisses sans payer, pourquoi ils ont établi un système de sous-taxation qui est choquante, c'est l'Etat qui est affaibli par ces pratiques. Que va-ton dire si l'Etat ne fait pas respecter les règles chez ses propres employés. Aujourd'hui, en passant la douane, on va se demander pourquoi lui il paye alors que celui qui en a trois fois plus derrière ne paie pas ? Et peut-on faire confiance à un douanier quand il a un tel pouvoir ? Cela s'est passé sur cinq ans, c'est colossal. C'est impossible de ne pas avoir vu. Chaque fois qu'il y a une violation des règles, cela jette le discrédit sur l'Etat et c'est en ce sens que l'Etat demande réparation pour le préjudice moral, l'atteinte à son image, sa crédibilité".

Me Maillard : "Ils ont manqué à toutes leurs obligations"

Me Maillard, avocat dans les intérêts de la Polynésie française, réclame quant à lui 50 millions de francs en réparation du préjudice moral et près de 6 millions de francs en réparation du préjudice matériel, soit l'estimation des taxes douanières non perçues par le pays sur la base des importations identifiées comme frauduleuses : "Ce préjudice est très en deçà de la réalité, puisque par définition il n’y avait pas de déclarations. Les recettes fiscales, droits et taxes à l'entrée du territoire représentent 37 % des revenus de la Polynésie française. Cet affaire, c'est autant d'argent en moins pour les services publics, les écoles, l'hôpital, l'équipement. Tous les polynésiens ont été pénalisés par les actions frauduleuses de ces voyous. Ce ne sont pas un, ni deux, mais treize douaniers dans un même dossier. C'est très grave. Ce sont des fonctionnaires d'Etat, pas de simples gardiens de parking. Et ils sont particulièrement bien traités par l'Etat, justement pour éviter ce genre de tentations. Ils ont manqué à toutes leurs obligations. Cela donne une image déplorable de la Polynésie française, au niveau local mais aussi en métropole et à l'international avec cet image de corruption".

S'agissant d'Air Tahiti Nui pour le volet billets "GP" de ce dossier -ces billets d'avion à prix cassés délivré sur la base de déclarations de concubinage de complaisance avec la complicité de PNC- l'avocat de la compagnie au tiare, troisième et dernière partie civile, a réclamé une somme de l'ordre de 10 millions de francs en réparation du préjudice matériel.

Rédigé par Raphaël Pierre le Jeudi 7 Avril 2016 à 18:04 | Lu 8326 fois