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Le kaveu, animal emblématique


Hao, le 1er janvier 2024 - Il est un animal emblématique en Polynésie française, puissant, craintif, terrestre, mais également tributaire de l’océan et de ses mouvements. Le kaveu est chassé pour sa chair succulente, mais est devenu au fil du temps rare et a même disparu de certains motu, victime de son succès.

Le Birgus latro ou crabe de cocotier, ou encore kaveu de son nom plus commun aux Tuamotu, est en ce moment dans l’une des phases importantes de sa survie, à savoir la ponte. Nous avons eu l’occasion d’observer quelques spécimens sur des motu de l’atoll de Hao.

Comme celui de beaucoup de décapodes, le corps du kaveu se compose d’une partie antérieure munie de dix pattes et d’un abdomen. Il est également pourvu, en guise de pattes les plus antérieures, de deux grosses pinces remarquables à son espèce qui lui permettent de casser, découper ou broyer avec une force incroyable. N’y aventurez jamais un doigt, ce dernier pourrait y être sectionné sans problème par l’arthropode ! Grâce à ses pattes puissantes et son envergure qui peut atteindre un mètre pour les plus grands spécimens, le kaveu est un grimpeur efficace, agile et sûr de ses mouvements, qu’il soit sur un cocotier, un arbre ou tout autre surface. La couleur de son corps peut varier du bleu au violet en passant par le orange jusqu’au rouge.

Du côté de son alimentation, le kaveu – qui s’active essentiellement à la nuit tombée – ne se nourrit pas seulement de noix de coco, mais comme tout crabe, de presque n’importe quoi d’origine organique : de végétation, d’œufs, de cadavres d’animaux en putréfaction (poissons, rats, etc.) et même de sa propre exuvie (sa mue). Des coprahculteurs de Hao ont même déjà vu des cadavres de poule ou de coq dans les tanières de kaveu. Ces dernières peuvent être diverses et variées, le kaveu s’adaptant à son environnement. Des tanières de kaveu ont en effet déjà été découvertes dans des trous d’arbres (geo geo, kahaia, souche), dans des trous de roche calcaire, sous des racines de cocotier et même enfouies sous une dizaine de centimètres de sable meuble, selon les coprahculteurs locaux habitués à vivre avec l’animal. “Le kaveu peut être très ingénieux dans le choix de ses tanières, il est capable d’improviser, il nous arrive même encore d’être impressionnés par sa faculté d’adaptation”, confie l’un d’entre eux.

La période d’accouplement du kaveu s’étend de mai à septembre. La femelle développe ensuite un chapelet d’œufs (50 000 à 150 000) qu’elle gardera environ un mois le long de son abdomen. À la fin de cette période d’incubation, la femelle kaveu libérera sa précieuse cargaison en bord de mer peu après la nouvelle lune. Une fois lâchés, les œufs vont éclore pour donner naissance à des larves dont une sur mille arrivera, au bout de trois à quatre semaines, à coloniser la terre ferme. L’espèce peut se disséminer sur plusieurs îlots avoisinants. La larve reste ainsi en bord de mer durant trois années avant de quitter le milieu océanique pour un milieu forestier. Et ce n’est qu’à sa cinquième année que le kaveu atteint sa pleine maturité, mais il continue à muer et croître. Son espérance de vie est d’en moyenne trente ans.

Un animal emblématique

Considéré comme le plus grand des arthropodes terrestres, le kaveu est aux Tuamotu et dans la culture locale bien plus qu’un simple crabe destiné à finir dans les assiettes. Il est un emblème, une fierté, présent sur le territoire polynésien depuis la nuit des temps. Il figure dans beaucoup de légendes locales et de croyances familiales. Il n’en demeure pas moins fragile car victime de son succès. Il s’agit d’un mets de choix à la chair succulente. Dans certaines régions du monde, il est chassé jusqu’à sa disparition par des chasseurs peu scrupuleux qui n’hésitent pas à collecter de petits spécimens et à détruire son habitat allant jusqu’à brûler sa tanière pour le déloger de force, une tanière que l’animal a mis plusieurs années à élaborer.

S’il n’est pas classé comme espèce en danger, le kaveu n’en demeure pas moins vulnérable face à la chasse intensive et est inscrit en déficience de données (DD) sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Le kaveu est protégé dans des réserves des îles Cook, leur chasse est totalement interdite dans l’archipel des Chagos en Indonésie et est réglementée au Vanuatu.

Ce décapode fascinant, utile à la biodiversité des îles de Polynésie française, est donc toujours visible sur notre territoire, mais pour combien de temps encore ? S’il est gage de bonne santé des motu, sa survie est fragile face à son seul prédateur que nous sommes. En tout cas, le kaveu peuple encore l’atoll de Hao dans des zones protégées, où les occupants respectent et préservent la biodiversité et ne prélèvent que des individus matures. “Lorsqu’on mange du kaveu, cela reste même pour nous exceptionnel”, précise un Paumotu. “On ne les vend pas et on ne prend pas les petits. Si on les massacre, nos enfants n’auront pas la chance de les voir.”

Rédigé par Teraumihi Tane le Lundi 1 Janvier 2024 à 13:13 | Lu 29109 fois