Tahiti Infos

Le champignon anti-miconia est-il un risque pour citrons et pamplemousses ?


Un miconia attaqué par le champignon C. g. m.
Un miconia attaqué par le champignon C. g. m.
PAPEETE, le 10 mars 2015 - Les propriétaires de vergers d'agrumes sont persuadés que le champignon qui tue leurs arbres est le même que celui introduit par le gouvernement pour lutter contre le miconia. Les scientifiques qui ont participé au programme de lutte contre la plante envahissante nient de leur côté que le champignon puisse avoir un quelconque rôle dans cette épidémie.

Le champignon introduit il y a 15 ans pour s'attaquer au miconia a-t-il perdu la tête ? Ou bien lui attribue-t-on tous les malheurs des plantes à cause de son succès très visible dans sa mission ? Une chose est sûre : les vergers d'agrumes sont attaqués par un champignon qui lui ressemble étrangement, et les agriculteurs demandent l'aide du Pays pour combattre ce fléau et replanter leurs arbres.

Des spores de Colletotrichum gloeosporioides forma specialis Miconiae (source Killgore et al., 1997, Miconia Conference CGM)
Des spores de Colletotrichum gloeosporioides forma specialis Miconiae (source Killgore et al., 1997, Miconia Conference CGM)
"Nos agrumes meurent en masse. Cette mortalité qui touchait en priorité les vieux arbres s’attaque également maintenant aux arbres jeunes et vigoureux. Elle a commencé sur les orangers de la Punaruu" nous explique Françoise Henry, présidente de la fédération d'agriculteurs Rima Hotu Rau. L'épidémie fongique s'attaquerait maintenant aux pamplemoussiers, citronniers, mandariniers et oranger. Le syndicat, qui critique ouvertement "l’inertie des services" a trouvé seul le coupable : le colletotrichum, un champignon parasite des arbres.

Délaissés par l'administration les agriculteurs ont pris les choses en main

Les fruiticulteurs expliquent que le SDR ayant refusé de procéder aux analyses, la fédération a fait appel à un laboratoire anglais qu'elle a payé de sa poche 340 000 Fcfp pour dévoiler l'identité du parasite. Ce champignon est de la même famille que celui introduit en avril 2000 pour lutter contre le miconia : "les services de l’environnement prétendent avoir importé une souche spécifique au miconia et soi-disant totalement inoffensive pour les autres arbres. Mais ils sont incapables de nous donner l’identité moléculaire de leur souche afin que nous puissions vérifier si elle correspond à celle du champignon trouvé par le laboratoire. Par ailleurs, comment savoir s’il n’y a pas possibilité de métissage de cette souche avec des souches préexistantes en Polynésie ?"

Le ministre, lui, assure que des spécialistes de l'INRA vont bientôt venir réaliser des analyses, et que toute décision sera prise après cette mission. Il aurait tout de même accepté de principe que le pays rembourse les frais du laboratoire d'analyse à la fédération.

Contacté par la rédaction, le SDR se refuse de son côté à tout commentaire sur l'affaire et renvoie vers la délégation à la Recherche, c'est-à-dire les scientifiques du Pays qui ont procédé à l'introduction du champignon au Fenua.

Les scientifiques assurent que seul le miconia peut être contaminé par leur champignon

Les chercheurs de la délégation à la Recherche semblent dépassés par l'exposition médiatique et les nombreux appels d'agriculteurs en colère qu'ils reçoivent. Ils n'ont pas le droit de s'exprimer officiellement sans aval politique, mais nous renvoient vers les nombreuses publications scientifiques étudiant l'innocuité du champignon sur les autres espèces locales qui ont été réalisées avant et après son introduction.

Dans les années 1990, des scientifiques polynésiens, américains et brésiliens ont ainsi isolé une espèce très spécifique de colletotrichum après de longues recherches, puis ont procédé en 1996 et 1997 à des tests grandeur nature dans le laboratoire de quarantaine pour les pathogènes du Département d’Agriculture de Hawaii, en commençant par essayer d'infecter les plantes les plus proches du miconia puis des familles de plus en plus lointaines, incluant des espèces endémiques polynésiennes. Au final, seule la plante invasive était sensible à ce parasite et sa dissémination dans des zones test a été décidée. Depuis, tout se passait bien… jusqu'à cette nouvelle polémique.

"Un nouveau pathogène probablement introduit accidentellement"

Les scientifiques de la délégation à la Recherche de Polynésie et de l'Université fédérale de Viçosa au Brésil font du coup remarquer dans un article publié en début d'année dans la lettre scientifique "Biocontrol News and Information" que l'opinion publique tahitienne se retourne contre cet agent de lutte biologique qui a pourtant réussi à enrayer la progression du miconia. Pour les chercheurs, on lui attribue les nouvelles maladies touchant les arbres, alors que dans la très grande famille des colletotrichum (600 espèces, le genre le plus important parmi les champignons parasites des plantes à travers le monde), de nombreuses autres espèces s'attaquent aux arbres fruitiers.

De nouveaux agents pathogènes seraient ainsi continuellement introduits sur le Territoire par des indélicats qui infiltrent fruits ou graines de l'étranger, sans passer par les contrôles phytosanitaires… L'article conclut : i["La pédagogie sur l'absence de danger de cette lutte biologique [contre le miconia], basée sur de la science solide, semble avoir été oubliée [par le public] car la biosécurité et ce qu'elle implique en pratique s'est pas totalement comprise et mise en place."]i


D'où vient ce champignon ?

Carte figurant la zone d'infestation du miconia et les points d'introduction du champignon servant d'arme biologique
Carte figurant la zone d'infestation du miconia et les points d'introduction du champignon servant d'arme biologique
Pour comprendre cette histoire de champignon, il faut remonter à l'entre-deux-guerres. Le miconia est arrivé en Polynésie en 1937, introduite dans un "jardin botanique privé". En moins de 50 ans il s'est répandu à tort et à travers et a réussi à dominer toute l'île, allant jusqu'à couvrir 75% de la surface de Tahiti et la moitié de Moorea dans les années 1990. Même les forêts de nuages, tout en haut des montagnes, étaient envahies. Certaines espèces natives de Polynésie ont disparu pour toujours et une centaine était menacée d'extinction… Jusqu'à l'introduction de "Colletotrichum gloeosporioides forma specialis Miconiae", le doux nom d'un champignon brésilien parasitique adepte du miconia. Un agent de lutte biologique ultraspécialisé, qui ne peut infecter que le miconia et n'aurait donc aucun impact sur les autres espèces végétales. Du moins, selon les scientifiques et les gouvernements de Polynésie française et de Hawaii, qui ont procédé à son introduction sur nos îles en 1997 après plus de 10 ans de recherches.

Depuis, le champignon permet de tuer un tiers des jeunes pousses de miconia, et réduit le feuillage des arbres adultes de 4 à 34% (selon l'altitude, le champignon étant plus actif au-dessus des 900 mètres). Du coup, des études de suivi ont montré une régénération progressive des espèces endémiques.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 10 Mars 2015 à 17:09 | Lu 2292 fois