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La greffière détourne 31 millions Fcfp des caisses du tribunal


Le parquet a requis 2 ans de prison ferme contre l'ancienne greffière de la cour d'appel aujourd'hui radiée. Délibéré en avril. (Illustration)
Le parquet a requis 2 ans de prison ferme contre l'ancienne greffière de la cour d'appel aujourd'hui radiée. Délibéré en avril. (Illustration)
PAPEETE, le 7 février 2017 - Livrée à elle-même, sans binôme, et profitant de l'organisation désuète, sans contrôle ni comptabilité informatisée, du service de la régie de la cour d'appel de Papeete, la fonctionnaire aujourd'hui radiée a détourné jusqu'à 250 000 francs par semaine pendant 7 ans, de 2006 à 2013. Elle était jugée ce mardi.


"C'est une affaire délicate, grave, qui porte atteinte à l'honneur et à la réputation de l'institution judiciaire par l'action de l'un de ses membres, fonctionnaire d'Etat du ministère de la Justice". Le représentant du ministère public n'a pas ménagé Ave P., ce mardi à l'audience correctionnelle, une ancienne fonctionnaire du greffe à la cour d'appel de Papeete renvoyée devant le tribunal… pour détournement de fonds privés par personne chargée d'une mission de service public.

Entre 2006 et 2013, cette fonctionnaire de 47 ans aujourd'hui radiée a en effet réussi le tour de force de faire main basse sur plus de 31 millions de francs, profitant allègrement de l'absence totale de contrôle exercé à l'époque sur la caisse des consignations du palais de justice. La consignation est le versement au greffe par un justiciable, en exécution d'une décision de justice, de provisions destinées à couvrir des frais d'enquête ou d'expertise, ou encore des sommes consignées dans l'attente du règlement de litiges entre particuliers.

La greffière indélicate arrivait ainsi, dans les bons mois, à se mettre dans les poches jusqu'à 250 000 francs par semaine. Pour la seule année 2008, année de tous les records, 8 millions de francs se sont ainsi volatilisés sans que personne ne se rende compte de rien. La fonctionnaire privilégiait les consignations versées en espèces mais encaissait aussi des chèques en jouant avec les bordereaux de remise et des contrôles inexistants. "C'était enfantin, les espèces déposées par les justiciables étaient placées dans des chemises, elle les prenait directement dans son sac à main". Un retard de deux à trois ans accumulé par le service dans la liquidation des frais de justice l'a aussi aidé à rester cachée des radars.

Une mission d'inspection découvre un service livré à lui-même

C'est un audit de la direction des finances publiques qui allait découvrir le pot aux roses en octobre 2013 et transmettre un rapport surréaliste à la cour d'appel sur le fonctionnement de sa régie : absence physique de caisse et de coffre, de régisseur, absence de contrôles, de comptabilité, relations basées sur la confiance et les excellents états de service de la greffière, dépôts aléatoires des consignations auprès des services des finances publiques et aucun suivi informatique sérieux.

Les contrôleurs qui ont également regretté à la lumière de leurs découvertes que la cour d'appel de Papeete n'ait pas, à l'époque, suivi leurs recommandations de modernisation et de sécurisation de sa "régie" pourtant déjà préconisées à trois reprises et pour la première fois… en 1999. Le système a depuis été informatisé avec un logiciel spécialisé et sécurisé. Logiciel à l'utilisation duquel la greffière avait été formée… mais qu'elle rechignait à utiliser car il lui faisait "perdre du temps" disait-elle. Et aussi de l'argent.

Endettée, vivant au-dessus de ses moyens malgré un traitement "enviable en Polynésie française" a souligné le parquet, la fonctionnaire brûlait 90 % de son salaire dans le remboursement de crédits à la consommation. Rien n'indiquant un train de vie luxueux n'avait été découvert chez elle ou sur ses comptes lors de l'enquête. L'argent ainsi détourné était dépensé pour son bon plaisir, dans la vie de tous les jours, en bijoux notamment. Les faits sont reconnus, il a même été un temps question de plus de 50 millions de francs ainsi détournés. Aujourd'hui sans emploi, elle est hébergée par de la famille et dit vivre avec 10 000 francs d'allocations par mois, en attendant de rebondir. Le procureur de la République a requis 4 ans de prison dont 2 avec sursis contre l'ancienne fonctionnaire d'Etat, et l'interdiction définitive d'exercer dans la fonction publique. Il n'y avait pas de partie civile représentée à l'audience. Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 25 avril.

Rédigé par Raphaël Pierre le Mardi 7 Février 2017 à 18:38 | Lu 21858 fois