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La baguette, un débat à trancher


PAPEETE, le 12 septembre 2019 - En début de semaine, le syndicat des boulangers a sollicité auprès de la vice-présidence une revalorisation du prix de la baguette. Cette demande est justifiée par l’augmentation des charges salariales et d’exploitation depuis 2012. Une question de coûts et de prix qu'il faudra probablement replacer dans une réflexion sur le fonctionnement global de la filière et de l’impact sur le panier des ménages. 

Avec un chiffre d'affaires global d'environ 4 milliards de francs, l'industrie boulangère, qui regroupe les revenus des entreprises de fabrication industrielle de pain et pâtisseries mais aussi ceux générés par les boulangeries, est un secteur important de l'économie agro-alimentaire du territoire. Un chiffre qui doit surtout à l'importance du pain de l'alimentation polynésienne.

Le pain, premier produit alimentaire des polynésiens

Selon la dernière étude Budget des familles de 2015 de l'Institut de la statistique en Polynésie française, le pain est, en valeur des dépenses annuelles, le premier poste de consommation alimentaire, juste devant les cuisses de poulets surgelés mais loin devant le thon blanc ou encore le punu pua'atoro, autre produit dont le coût de fabrication a été récemment examiné.
Avec près de 60 millions de baguettes produites par an, à destination des consommateurs et restaurateurs, la moindre variation du prix a un impact direct et quotidien sur les portemonnaies. 

Pour cette raison, le prix du pain est toujours réglementé en vertu d'un arrêté de juillet 1996. A l'époque, le prix de la baguette avait été fixé à 40 francs. A la suite de plusieurs augmentations, la dernière en janvier 2011, la baguette, « mesurant entre 50 et 60 centimètres, d’un poids minimal de 250 grammes » s'achète désormais à 53 Fcfp sur l'ensemble de la Polynésie. Une augmentation jusqu'à 60 Fcfp représenterait ainsi un surcoût annuel pour le consommateur d’environ 1000 Fcfp.

Un secteur bénéficiant de nombreuses aides directes et indirectes

Compte tenu de son importance au niveau industriel mais également dans le budget des ménages, le secteur a fait l'objet d'une attention particulière des pouvoirs publics n'hésitant pas à mettre en place plusieurs dispositifs de soutien au profit des boulangers. Le but est ainsi de réduire les coûts d’exploitation d'une boulangerie et de garantir par la même un prix de vente faible au consommateur.

Ainsi, si le sel a été retiré de la liste des Produits de première nécessité (PPN) en février dernier. Les levures et les poudres à lever en format industriel continuent d'y figurer permettant aux professionnels de bénéficier des exonérations de droits et taxes. La profession bénéficie également d’un prix du carburant détaxé à travers le fonds de régulation des prix des hydrocarbures (FRPH) pour alimenter les fours et effectuer les livraisons de marchandises. La filière peut également solliciter les dispositifs de défiscalisation métropolitaine et d’agrément fiscal de la collectivité de Polynésie française au titre d’investissement productif. Les entreprises bénéficient aussi d’un abattement de 70% de l’assiette de l’impôt sur les transactions, applicable pour tous les fabricants et revendeurs, sur toutes les « ventes (…) de baguettes au prix de détail fixé par arrêté en conseil des ministres ». De plus, les boulangers locaux bénéficient d'une protection tarifaire dans la mesure où des produits boulangers importés sont soumis à la taxe de développement local.

Enfin et surtout, un dispositif de soutien au prix de gros de la farine visant à maitriser la commercialisation de la farine panifiable, à réguler l’approvisionnement en mettant en compétition les opérateurs et à réglementer les prix de gros entre grossistes et boulangers est reconduit tous les ans. Avec ce dispositif, alors que l'approvisionnement en farine est organisé par le Pays autour de prix d'achat compris entre 55 et 60 Fcfp/kg obtenu par les importateurs, le prix de gros réglementaire, à savoir le prix d'achat que les boulangers doivent supporter pour la fabrication de leurs baguettes, est fixé depuis septembre 2012 à 19,3 Fcfp/kg. La différence entre ces deux prix, de l'ordre ainsi de 35 à 40 Fcfp le kilo est prise en charge par le Pays sur son budget. Ce seul soutien représente pour la collectivité et donc, indirectement aux consommateurs polynésiens, une facture annuelle d'environ un demi-milliard de francs. Et cette facture est en hausse, puisque le Pays ne prenait en charge de 20-25 Fcfp/kg avant 2012.

Des évolutions de charges à pondérer

Si un certain nombre de mesures d’aide visant à soutenir la profession ont ainsi été mises en place, leur impact sur le prix de la baguette est variable, le coût de celle-ci dépend en effet de plusieurs déterminants qui n'évoluent pas de la même façon.

Un rapport d'expertise, commandé par le ministère de l'économie en 2012 auprès d’un panel représentatif de boulangers polynésiens, industriels ou non, avait établi une décomposition du prix de la baguette (cf tableau ci-contre). Cette décomposition montrait que les matières premières ne représentaient qu'un quart du coût de revient. Le soutien accordé sur le prix de gros de la farine a donc un effet en proportion, à savoir environ 20%. Selon cette décomposition, une hausse de 10% des charges d'électricité et de carburant représenterait mécaniquement une augmentation du coût de fabrication d'environ 1,5 Fcfp. Les charges salariales représentent quant à elles plus de 40% de ce coût, le rendant donc sensible aux éventuelles augmentations de rémunérations et de cotisations sociales.

Reste donc à savoir si la réflexion va porter sur le petit bout de la lorgnette, le prix de la baguette, ou sur la révision du soutien apportée à l'industrie boulangère en y intégrant une démarche qualitative. Une réflexion à laquelle le consommateur mériterait dans tous les cas d'être associé.


Rédigé par Sébastien Petit le Jeudi 12 Septembre 2019 à 09:43 | Lu 2185 fois