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L’extension du Conrad menace un site culturel à Bora Bora


Bora Bora, le 10 avril 2024 - Une délégation de la Direction de la culture et du patrimoine menée par sa directrice, Joany Cadousteau, et accompagnée de la vice-présidente, Éliane Tevahitua, s’est rendue en urgence en fin de semaine dernière à Bora Bora alertée par Te Fare Hiroa no Vavau, qui tire la sonnette d’alarme face à l’autorisation des travaux d’extension de l’hôtel Conrad.
 
Alors que la mairie avait déjà rendu en 2022 un avis défavorable au projet d’ajout de 30 bungalows et d’un restaurant sur pilotis autour du motu Toopua iti, racheté en partie par le groupe Wane, la décision d’autoriser ces travaux d’importance est tombée le 15 janvier dernier. Un permis d’autant plus difficile à comprendre que le projet rend impraticable le chenal qui permet aujourd’hui aux bateaux d'excursion de se rendre de la baie de Povai aux sites d’observation des raies et des requins situés de l’autre côté du motu Toopua. De plus, le site d’écotourisme situé non loin de la pointe ouest de Toopua iti, très fréquenté par les prestataires touristiques, tels que les clubs de plongée ou les tours, deviendrait problématique. Face à ces inconvénients majeurs, la mairie avait préconisé une extension de l’hôtel sur la partie déjà construite du motu Toopua, laissant ainsi libre l’accès aux eaux bordant Toopua iti aux différents usagers du lagon.
 
Site légendaire du monde mā’ohi
 
La décision d’accorder l’autorisation des travaux a donc sonné comme un coup de tonnerre et provoqué l’indignation de l’association Te Fare Hiroa no Vavau, en charge de la préservation du patrimoine culturel de l’île. En effet, le projet d’extension menace un site de première importance : Tumu iti, que la tradition orale mā’ohi désigne comme le lieu de naissance du dieu Ta’aroa, créateur de l’univers dans la mythologie polynésienne. Le “chant de création” transmis par deux prêtres de Vavau, Paoa’i et Vai’ai, à travers les témoignages recueillis au XIXe siècle par le révérend Orsmond [Tahiti Aux Temps Anciens, Teuira Henry, NDLR] mentionne explicitement Tumu iti, la “coquille” dans laquelle Ta’aora aurait séjourné juste avant de créer le monde. Cette enveloppe est matérialisée par une pierre ovoïde située à la pointe de Toopua iti et qui constitue encore aujourd’hui un lieu de cérémonies traditionnelles. La présence de pierres gravées atteste également de l’importance du site pour les anciens habitants de l’île.
 
Dès qu’elle a eu connaissance de l’autorisation de l’extension, l’association Te Fare Hiroa no Vavau a adressé un courrier signalant l’urgence de la situation à la DCP, les travaux devant débuter très prochainement, dès l’ouverture du Westin, autre hôtel du groupe, prévue en mai. La directrice Joany Cadousteau, accompagnée de l’archéologue Vincent Marolleau et de Martine Rattinassany, responsable de la cellule patrimoine et rédactrice avec Hiriata Millaud de “Porapora i te fānau tahi - Mille ans de mémoire”, ouvrage de référence publié en 2001, s’est donc rendue en urgence à Bora Bora. Une réunion s’est tenue en présence de membres du conseil municipal et du Te Fare Hiroa no Vavau, qui a manifesté son opposition ferme à toute atteinte au site. La délégation s’est ensuite rendue à Tumu iti afin de procédé à une prospection et un relevé des éléments archéologiques susceptibles d’être mis à mal par les travaux. 
 
La visite de la vice-présidente et ministre de la Culture, Éliane Tevahitua, dès le lendemain de cette prospection, témoigne de l’importance de cette affaire qui illustre une fois de plus la tension entre souci de préservation du patrimoine culturel et pression immobilière et touristique sur la Perle du Pacifique et au Fenua.
 
Contacté sur le sujet par la DCP, le groupe Wane se dit ouvert à une discussion autour de la modification du projet des bungalows et en attente de propositions en ce sens de la part de la Direction de la culture et du patrimoine. Le classement de Tumu iti et la détermination d’un périmètre culturel afin de sauvegarder l’authenticité et l’intégrité du site seront les grands enjeux des semaines à venir.


Rédigé par Lucie Scarparo le Mercredi 10 Avril 2024 à 18:50 | Lu 3251 fois