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Grues : le rappel à l'ordre de l'aviation civile aux acconiers de Papeete


PAPEETE, 11 octobre 2015 - Le service d’Etat de l’aviation civile a provoqué en fin de semaine une réunion tripartite, en présence de la direction du Port autonome et des trois sociétés chargées de la manutention portuaire. Les grues qui œuvrent sur le quai au long cours franchissent régulièrement les plafonds de sécurité, dans l’axe de la piste de Tahiti-Faa’a.

Vent de panique sur le quai au long cours : jeudi soir, une réunion tripartite a rassemblé les autorités du service d’Etat de l’aviation civile, celle du port autonome et les trois sociétés d’acconage en activité, Sat Nui, Cotada et J.A. Cowan. En cause, les grues en activité et le respect des normes de sécurité dans couloir aérien de la piste de Tahiti-Faa’a. Mercredi, saisi par l’aviation civile, le port avait menacé de restreindre l’activité du quai des cargos aux opérations de chargement et déchargement d'un navire à la fois, au lieu de trois maximum aujourd’hui.

Incompatible avec le trafic, le compromis trouvé fixe provisoirement l'accès simultané à deux porte-conteneurs ; mais la problématique demeure intacte lorsque régulièrement, dans le cadre normal de leur activité, les sociétés chargées des opérations portuaires sont plus ou moins amenées à enfreindre la réglementation en vigueur.

Alors qu'une certaine tolérance était de mise, cette problématique est subitement devenue très préoccupante avec la dernière acquisition de la société Sat Nui : une grue de 79 mètres qui, déployée au maximum, dépasse de 19 mètres la hauteur maximale autorisée par la réglementation aérienne.

En effet, le port de Papeete est situé dans le couloir aérien protégé de la piste de Tahiti-Faa’a. Cette zone est scrupuleusement réglementée par le service d’Etat de l’aviation civile. Un ensemble de plafonds altimétriques précise les hauteurs maximales autorisées au-delà desquelles l’espace est réservé à la circulation aérienne. Dans ce contexte, une trouée opérationnelle délimite, au départ de la piste, une zone en forme d’entonnoir qui s’élève (2%) en s’évasant avec un angle de 12,5%. Elle couvre la totalité des installations du port de Papeete, à l’exception des postes 2 et 3 du quai au long cours. Tout cela plafonne les installations portuaires entre 33 et 45 mètres, dans sa partie ouest. En bordure de ce couloir, une zone dite de "servitudes aéronautiques" réglemente aussi l’occupation de l’espace. Enfin, une "calotte" précise à l’attention des acconiers les hauteurs maximales de déploiement au-dessus du quai au long cours, entre 40 (quais n°1 et 2) et 60 mètres (quai n°3).

Les rigueurs du décor réglementaire dans le ciel du port de Papeete sont ainsi posées. Reste le quotidien de tout cela, en situation d'exploitation. Car si cette réglementation est intransigeante et très respectée dans le couloir aérien de la piste ; un "usage" veut que l’on prenne quelques libertés dans les servitudes aériennes qui l’encadrent. Et particulièrement au-dessus du quai au long cours où ces limitations de hauteur semblent devenues un peu trop contraignantes pour les sociétés d’acconage : régulièrement la calotte altimétrique est "percée" par les grues lors du transbordement des cargos portes conteneurs. Cette situation concerne toutes les sociétés mais est habituellement tolérée. L’arrivée de la dernière acquisition de Sat Nui a bouleversé cet équilibre et piqué la vigilance des autorités de l’Etat. Déployée au maximum, sa flèche dépasse de 19 mètres le plafond altimétrique réglementaire. Et il semble que la société d’acconage n’ait pas sollicité d’autorisation de l’aviation civile, pour mettre en exploitation cet équipement de près de 500 millions Fcfp (et non 1,5 milliard Fcfp, comme annoncé précédemment, NDLR). Tout le monde se retrouve aujourd’hui au pied du mur. Et alors que la situation provoque une certaine gêne au port, elle pose aussi la question d'une évolution des limites réglementaires.

Évolution des normes

"Ne parlons pas d’usage, ni de tolérance. Parlons plutôt de risques", minimise au passage Boris Peytermann, directeur par intérim du Port Autonome. "Aujourd’hui un aéronef qui arrive dans la trouée opérationnelle est dans l’axe de piste. Pour arriver en dehors, et sur cette zone, au décollage comme à l’atterrissage, il faudrait qu’il soit dangereusement hors de l’axe de la piste. Cela pour dire que l’on parle d’un cas extrême", dit-il en réduisant l'occurrence à une erreur de pilotage qui conduirait de toutes façons l'avion qui en serait l'objet à atterrir hors-piste. Interrogée, l'aviation civile reconnait le caractère improbable de ce risque.

Le cas de figure est pourtant bien envisagé par la réglementation. "Ca fait partie des normes aériennes qui sont très sévères en France", analyse le directeur par intérim du Port autonome. Selon lui, compte tenu de l’évolution du trafic portuaire à Papeete, avec des navires de plus en plus larges, comme de l'évolution de la technologie aéronautique, ces plafonds réglementaires inchangés depuis 2000 (où ils avaient été relevés de 15 mètres au quai n°3), sont inadaptés quinze ans après : "il faudrait qu’ils évoluent".

C’est l'option choisie dans un avenir proche. "Pour l'instant on examine des points techniques", nous explique-t-on à l'Aviation civile. "Cette situation exige que l'on regarde tous les éléments de plus près". En attendant, la réunion de jeudi, entre les autorités du Port autonome, les acconiers et le service d’Etat, a précisé la problématique et permis aux autorités de l’aviation civile de faire un rappel à l’ordre. Le port va gérer l’activité à quai en n’autorisant que le transbordement de deux cargos simultanément. Quant aux plafonds réglementaires : "On a prévu d’avancer sur le dossier : on va voir avec les sociétés de manutention quelles extensions planimétriques et altimétriques seraient nécessaires pour que le travail se déroule dans des conditions normales. Ce besoin sera transmis au niveau de l’Etat pour étayer une demande d’extension de la calotte. Ce sera ensuite à l’aviation civile de voir si c’est accepté ou pas. Mais cette étude sera assez longue", estime Boris Peytermann : "étudiée à Paris, avec des allers-retours on sait que ce sont des demandes qui prennent du temps".

Une autre solution, plus durable celle-ci, serait l'aménagement de l'extension Est du port. Mais, si le Pays décide de lancer ce chantier, les travaux prendront au moins 7 ans et nécessiteront un investissement évalué à 25 milliards Fcfp...

En attendant, les autorités sont priées de fermer les yeux sur les entorses à la réglementation aérienne jusqu'à ce que les plafonds altimétriques soient actualisés. Au passage, on croisera les doigts pour que l'improbable accident n'ait jamais lieu. Car se poserait alors la question des responsabilités, maintenant que la situation est notoire.

A Tahiti, on doit cette curieuse situation au "privilège" d'être, dans l'espace français, le seul port commercial implanté exactement dans l'axe d'une piste d'aérodrome de taille internationale. Cela n'a vraisemblablement pas été considéré par l'Etat comme un obstacle majeur à la construction de la piste de Tahiti-Faa'a, il y a 56 ans ; mais peut-être qu'en retour cette singularité nationale justifiera-t-elle que l'Etat se saisisse aujourd'hui d'urgence de l'actualisation du dossier de la réglementation de sécurité, en attendant mieux.

Grues : le rappel à l'ordre de l'aviation civile aux acconiers de Papeete

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Dimanche 11 Octobre 2015 à 14:04 | Lu 3094 fois