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Grève de la faim contre EDT : coup médiatique ou lutte sociale ?


Ariitai'a Tiai ( le plus à droite sur la photo) le 30 novembre, associé aux opposants du projet minier de Makatea, trois semaines après le début de sa grève de la faim.
Ariitai'a Tiai ( le plus à droite sur la photo) le 30 novembre, associé aux opposants du projet minier de Makatea, trois semaines après le début de sa grève de la faim.
PAPEETE, le 20 décembre 2016 - En vérité, ça semble être les deux. La campagne virale d'Ariitai'a Tiai contre les prix de l'électricité a peu de chance de faire plier la multinationale Engie, mais il a réussi à imposer sa voix dans le débat public.
Ariitai'a Tiai a annoncé commencer une grève de la faim il y a un mois maintenant. Cet habitant de Moorea entend dénoncer "l'attitude insupportable d'Engie/EdT en Polynésie qui depuis des années fait des marges au-delà du raisonnable sur le dos des consommateurs Polynésiens". Il accuse l'entreprise de corruption et de menaces contre sa personne. Il veut du coup rencontrer directement la directrice générale d'Engie en métropole, Isabelle Kocher, et refuse de rencontrer la direction locale du groupe. Ce qui est surprenant, c'est cette focalisation sur la multinationale, alors même que les tarifs de l'électricité sont en réalité décidés par le conseil des ministres de la Polynésie…

Du coup on peut se demander si le but final du militant est de faire plier EDT ou s'il s'agit juste de faire le buzz en promouvant ses idées altermondialistes. Il s'inscrirait d'ailleurs dans toute une nouvelle vague de militantisme moderne qui utilise les médias sociaux et traditionnels pour faire passer des messages anticapitalistes, comme théorisé dès 2003 dans le best-seller "Guerilla kit, Nouveau guide militant".

Car Ariitai'a est très versé dans les moyens modernes de communication. Il a ainsi créé une communauté sur Facebook, "Unis pour une électricité juste en Polynésie", qui rassemble plus de 26 000 internautes. Ses soutiens ont appelé la population à jeûner elle aussi, un jour ou deux, pour encourager sa démarche. Une vingtaine de personnalités locales auraient suivi le mouvement (nos confrères de Radio1 citent "l’adjoint à la mairie de Faa’a, Moetai Brotherson, l’écrivain Rai Chaze, ou le chanteur Taaroanui Noble"). Enfin, l'Assemblée de Polynésie a dû débattre de son cas plusieurs fois ces derniers mois et une pétition de soutien a recueilli presque 300 signatures en un mois. Tout ça lui a permis de bénéficier de dizaines d'articles, de reportages radios et d'interviews à la télévision pour y exposer ses idées.


GUERRE DE CHRONIQUEURS

Son influence médiatique est devenu tellement importante qu'il a réussi à créer une vrai "guerre des chroniqueurs". Car celui qui a mis en ligne la pétition de soutien au gréviste est le chroniqueur Lolo, que l'on entend sur Polynésie Première et que l'on peut lire dans les colonnes de nos confrères de Tahiti Pacifique. Il s'est beaucoup impliqué dans le combat du protestataire, incitant par exemple les internautes à envoyer des e-mails à EDT-Engie pour marquer leur volonté d'une baisse des tarifs de l'électricité.

Mais un autre chroniqueur, Alexandre Taliercio de Radio1, s'attaque frontalement au militant, en particulier lors d'un édito datant du 7 juillet. Il y assure que Ariitai'a n'a pas perdu de poids depuis le début de son jeûne, sous-entendant qu'il fait des entorses à sa grève de la faim. Le chroniqueur dévoile aussi des dossiers sur Ariitai'a datant des années 2000, dont l'importance semble malgré tout assez limitée puisqu'ils montrent que le militant a au moins déjà deux grèves de la faim derrière lui, la première contre "le capitalisme", la seconde contre une multinationale de Côte d'Ivoire où il aurait travaillé un moment. "Il voulait dénoncer des pseudos pratiques mafieuses (…) pour finalement revenir sur ses accusations et s’excuser en chantant ses louanges" affirme le chroniqueur, sans préciser sa pensée.

Concernant le poids du gréviste, la sociologue belge Mariane Prévost qui a étudié des sans-papiers grévistes de la faim à Bruxelles affirme que la perte de poids atteint entre 10 et 20 kg après trois à quatre semaines, avec cette liste de symptômes : "hypotension avec vertiges surtout en position debout (forçant à la position couchée), bradycardie (cœur lent), diminution de l’activité, des capacités de concentration et de réflexion, fatigue extrême, douleurs musculaires, diminution de la température corporelle, hoquet, crampes abdominales, insomnies, maux de tête." Aperçu fin novembre lors d'une manifestation contre le projet minier à Makatea, le militant ne montrait pas de signe de grave amaigrissement ou de "fatigue extrême", donnant du grain à moudre à ses détracteurs. Il aurait pourtant perdu 8 kilos après les deux premières semaines de grève selon nos confrères de Polynésie Première, mais ont-ils vérifié ?.



Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 20 Décembre 2016 à 16:02 | Lu 4238 fois