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Frédéric Dock : “Traverser la crise par la production locale”


Tahiti, le 19 juillet 2023 - Frédéric Dock, le patron du Medef-Polynésie, a pris acte de la volonté de Moetai Brotherson de supprimer la TVA sociale au mois d'octobre prochain. Mais il prévient, croire que c'est cette suppression qui fera baisser les prix est illusoire. C'est vers la production locale qu'il conseille au Pays de “mettre le paquet”, tout en réformant les dispositifs d'aides déjà établis.
 
L'annonce faite la semaine dernière par Tahiti Infos de la volonté du gouvernement d'abandonner la TVA sociale en octobre prochain pose un certain nombre de questions, notamment sur les rentes fiscales et les investissements des entreprises pour changer à nouveau leurs logiciels de comptabilité.
“Techniquement, c'est un peu moins compliqué à retirer qu'à mettre en place. La mise en place de cette TVA, qui n'était pas déductible, nous a obligé à changer les logiciels et les systèmes d'information en conséquence. Il y a eu un coût que l'on ne va pas récupérer. Maintenant, la question que tout le monde se pose, c'est quel va être l'impact sur les prix ? On n'était pas tous d'accord sur la part de responsabilité de cette taxe dans l'inflation et on est encore moins d'accord sur la réalité de la baisse des prix après son retrait. L'inflation est constituée de quantité de raisons comme les contraintes de logistique ou le coût des matières premières sur les produits buts ou les produits transformés. Il y a aussi la marge brute des entreprises qui sert à faire fonctionner les entreprises et à payer leurs charges, mais aussi à rembourser les Prêts garantis par l'État (PGE) qui leur ont permis de traverser la crise Covid. Cette marge brute n'alimente pas les bénéfices, elle sert à rembourser les crédits et à payer les salariés.”

 
Les PGE pèsent lourdement dans les trésoreries des sociétés ?
“Un grand nombre sont à taux variables et dépendent des taux directeurs mondiaux. Ils vont coûter beaucoup plus chers aux entreprises aujourd'hui que ce qu'ils auraient coûté avec des taux fixes. Cet impact-là va se retrouver dans les prix et c'est un élément inflationniste, qui n'a rien à voir avec la taxe CPS. C'est pour cela que certaines entreprises ont dû augmenter leurs prix. Pour des raisons qui ne sont pas uniquement celle de la taxe CPS.”
 

Dans ces conditions, une grogne sociale couve dans certaines sociétés et beaucoup pensent que la grève chez ATN n'est que la première d'une série.
“Le signal social qui est donné aujourd'hui concernant les revendications salariales des établissements du Pays ne va pas dans le bon sens. (…) C'est un mauvais signal pour le public, mais aussi pour le privé. Il y a eu deux augmentations automatiques du Smic, des réévaluations de salaires et la prime au pouvoir d'achat qui permettent de se rapprocher du niveau de l'inflation. Quand on entend certaines revendications naissantes des établissements contrôlés par le Pays, on les voit en décalage avec la réalité.”
 

Après les années noires de 2008 à 2013… Sommes-nous face à une nouvelle crise économique ?
“Les mesures d'augmentation des taux prises par les banques centrales, on va les subir ici aussi. Cela aura un impact sur l'économie polynésienne dont on ne mesure pas encore les conséquences. Je suis d'ailleurs surpris que l'on n'en parle pas davantage. La hausse des taux va avoir des conséquences sur la capacité d'acquisition des biens pour les particuliers. De même, les projets immobiliers ou industriels seront aussi impactés par l'augmentation de ces taux. Sur l'île de La Réunion, la moitié des opérations immobilières de logement ne se font pas. Soit à cause de l'augmentation des coûts, soit à cause de l'augmentation des taux.”
 

Le Pays va devoir venir en renfort ?
“Nécessairement. Il va falloir une intervention, directe ou indirecte, de la puissance publique. Soit sur les taux, à savoir une participation au financement des opérations, soit en augmentant les leviers de soutien à l'investissement. Cela permettra de redonner une faisabilité économique aux projets.”
 

Les bons chiffres du tourisme masqueraient donc une économie fragile ?
“Sans tourisme, il n'y a pas de projets. Mais pour ces projets, il faut des clients, et des investissements. Sur la partie investissements, il va falloir se poser les bonnes questions, et mettre les bouchées doubles. Ils doivent être tournés vers la création d'emplois. Il faut nous réunir et adapter, reparamétrer, les règles existantes à la situation financière du moment.”
 

Comment le Medef peut-il accompagner le Pays dans la recherche de la baisse des prix ? L'abandon de la taxe CPS ne changera probablement pas grand-chose. Comment faire baisser le prix du caddie ?
“Les mesures urgentes prises par le précédent gouvernement consistaient à mettre en place des “boucliers”. Sur le prix de l'énergie, qui a coûté près de 14 milliards de francs au Pays, ou sous forme de PPN. Ces mesures ont atteint leurs limites. On ne paie pas le prix de l'énergie tel qu'il est réellement donc dire qu'on va amortir cet écart, c'est budgétairement impossible. Et sur les PPN, sauf à bloquer tous les prix, ce qui conduirait à la fermeture des commerces, on a déjà fait beaucoup plus que ce qu'il fallait faire. Désormais, il va falloir payer la conséquence de ces différents “boucliers” qui forcément vont se retrouver démultipliées dans les prix futurs. Il faut donc travailler sur le moyen et le long terme, c’est-à-dire à la production locale, qui est aussi un des axes du nouveau gouvernement. Même si au départ, elle parait peu compétitive, avec l'augmentation des coûts des matières premières, cela va s'équilibrer. Il faut mettre en œuvre tous les moyens pour produire en local. Il faut démultiplier le modèle, mettre le paquet. Sur les énergies, pareil. Chaque fois que l'on investit 10 milliards de francs, on se rend moins dépendant de 10% aux hydrocarbures.”
 

A contrario, en finir avec la taxe de développement locale (TDL) qui augmente artificiellement les prix de nombreux produits à l'import pour favoriser les productions locales n'est pas envisageable ?
“La TDL a permis de développer de l'industrie locale et de l'emploi local et dans sa forme aujourd'hui, elle est totalement en ligne avec les objectifs politiques du gouvernement. Il serait au contraire bien de s'en inspirer pour imaginer comment on peut accélérer le processus de développement des industries locales.”

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mercredi 19 Juillet 2023 à 18:01 | Lu 2485 fois