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Fleury-Mérogis, méga-prison symbole du "malaise" carcéral français


Évry, France | AFP | mardi 11/04/2017 - Environ 4.500 détenus, certains sur des matelas à même le sol, des surveillants en sous-nombre et débordés, et au milieu de cette poudrière, 150 profils radicalisés: la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), plus grande prison d'Europe, symbolise à elle seule le "malaise" carcéral français.

Lundi, 350 surveillants ont bloqué l'établissement pour protester contre l'agression de six de leurs collègues, dans le quartier des mineurs. "La goutte de trop", selon les syndicats, qui a laissé éclater un malaise beaucoup plus profond.

Pour preuve, leurs revendications très larges présentées à la direction de l'administration pénitentiaire mardi: fouille générale de l'établissement, effectifs supplémentaires, report de l'ouverture de quartiers pour détenus radicalisés, abrogation de la législation qui oblige à justifier les fouilles à nu...

"La situation est intenable et tout est lié", explique à l'AFP Olivier Legentil, du syndicat Ufap-Unsa Justice (majoritaire), qui évoque un "malaise général dans toute la pénitentiaire".

Fleury accueille 4.500 détenus pour 2.900 places, soit une surpopulation de 157%, selon le ministère de la Justice. Les syndicats avancent eux un chiffre de 180%, alors que par ailleurs presque 150 postes de fonctionnaires restent vacants.

Une situation loin d'être exceptionnelle dans les prisons françaises. Ces derniers mois, la France a battu deux fois son record de personnes incarcérées: il frôle désormais le seuil des 70.000 détenus, pour 58.000 places. Et cette "surpopulation hors norme" sera "durable" a prévenu le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas.

"Fleury est emblématique parce que c'est une méga-prison, mais la situation est extrêmement tendue et explosive dans l'ensemble des établissements pénitentiaires surpeuplés", renchérit Cécile Marcel, directrice de la section française de l'Observatoire international des prisons.

A Villepinte (Seine-Saint-Denis), où certains syndicats appellent à manifester jeudi, la directrice estime ne plus pouvoir accueillir de nouveaux détenus, à cause d'un taux d'occupation record de 201%. Celui de Fresnes (Val-de-Marne) frise aussi cette barre.

A Fleury comme dans de nombreux établissements, les détenus vivent à deux ou trois par cellule, et plus de 60 matelas sont actuellement posés au sol. Un surveillant peut gérer jusqu'à 100 détenus.

- 'Volcan sur le point de péter' -
Résultat, la prison "est un volcan sur le point de péter. (...) On n'est pas à l'abri d'une émeute cet été", estime Thibault Capelle, de FO Pénitentiaire.

Plusieurs surveillants rencontrés par l'AFP décrivent une prison "inondée par les portables, les objets illicites et la drogue". La directrice de l'établissement, Nadine Picquet, a tiré la sonnette d'alarme en juin.

Elle dénonçait des "quartiers arrivants saturés", qui rendent "les affectations, le profilage et le suivi des personnes détenues très complexe". Avec pour risque un dangereux mélange des genres entre radicalisés et détenus classiques. Outre Salah Abdeslam, seul jihadiste encore en vie des commandos du 13 novembre, Fleury accueille aussi 150 détenus radicalisés, selon les syndicats.

"Le détenu dans la cellule à côté de la mienne a passé trois ans avec Daech en Syrie, il m'a tout raconté", confie à l'AFP un pensionnaire de Fleury, incarcéré depuis quelques mois pour une infraction de droit commun. Lui, compte cinq radicalisés sur son étage.

Face aux menaces et après la tentative de meurtre sur un gardien à Osny, les surveillants accusent le coup. "On sait très bien qu'on est devenus des cibles, on fait beaucoup plus attention", témoigne une gradée de Fleury, sous couvert d'anonymat.

Après des mois de tâtonnements, la Chancellerie est sur le point d'ouvrir des quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), pour prendre en charge spécifiquement ces détenus. Les syndicats soulignent leur "importance vitale", mais dénonce leur ouverture prévue à Fleury en amputant d'autres services des effectifs nécessaires.

Quant à la surpopulation, véritable fond du problème, le gouvernement a promis un vaste plan de construction de prisons. Les futurs établissements, dont la construction nécessite 10 ans, devraient être des petites structures (maximum 600 places), recommande un tout récent livre blanc.

Le document remarque aussi que construire des places supplémentaires est inutile, sans une politique pénale qui favorise les alternatives à la prison: assignations à résidence ou bracelet électronique.

Une vision difficile à appréhender depuis un hypermarché carcéral comme Fleury. "Adel Kermiche est sorti de chez nous sous bracelet électronique, ça ne l'a pas empêché d'aller égorger un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray", soupire M. Capelle.

rfo/epe/jcc

Rédigé par () le Mardi 11 Avril 2017 à 05:18 | Lu 228 fois