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Financement de campagne : une "boule puante" pour le Tapura ?


PAPEETE, 9 avril 2018 - A deux semaines du premier tour de scrutin des élections territoriales une procédure de citation directe engagée par Yves Conroy vise le président de la Polynésie française, l’un de ses conseillers spéciaux et quatre ministres du gouvernement.

S'agit-il d'une démarche citoyenne ou de ce que l'on nomme une "boule puante", dans le jargon? Le terme fait référence à cette petite ampoule qui, une fois brisée, diffuse une odeur caractéristique proche de l’œuf pourri. En politique, il n’y a pas l’odeur mais le désagrément est semblable et le moment toujours choisi pour porter tort à l'adversaire.

Rien ne nous permet de faire un procès d'intention à Yves Conroy, mais le grand procédurier de Papara vient de porter une attaque on ne peut plus suspecte, en pleine campagne pour les territoriales. Celle-ci vise-t-elle à soulever l'indignation de l'opinion publique ou simplement à rétablir une situation d'équité au regard des financements politiques ? Une citation directe intéresse Edouard Fritch, un conseiller spécial du président et quatre des ministres du gouvernement. L’affaire a été rendue publique par le biais de la communication, samedi à plusieurs rédactions de la presse locale, d’une série de documents envoyée à l’initiative d’Yves Conroy pour étayer cette procédure visant l’exécutif pour prise illégale d’intérêt et détournement. Le dépôt des pièces a été fait lundi matin au parquet de Papeete.

En droit français, la citation directe est la procédure par laquelle une partie civile peut saisir directement une juridiction pénale de jugement pour y faire comparaître l'auteur supposé d’une infraction. A la différence de la plainte, acte par lequel une personne qui s’estime victime d’une infraction en informe la justice, qui peut ou pas donner suite par l’ouverture d’une enquête, la citation directe est donc une procédure qui évite la phase préliminaire de l'instruction, celle-ci étant renvoyée à l’audience. Mais attention, la note peut être salée pour la partie civile en cas de procédure reconnue abusive ou dilatoire.

C’est dans ce contexte procédural qu’à deux semaines du premier tour de scrutin des élections territoriales, Yves Conroy se constitue partie civile et cite à comparaître le président de la Polynésie française l’un de ses conseillers spéciaux et quatre ministres du gouvernement pour avoir abusé des deniers publics. L’audience correctionnelle pourrait avoir lieu le 2 octobre prochain à 14 heures.

Yves Conroy accuse Edouard Fritch des délits de prise illégale d’intérêt et de détournement de fonds publics pour avoir financé "illégalement" la campagne électorale du Tapura Huiraatira sur les deniers de la Présidence de la Polynésie française, sous couvert d’un déplacement gouvernemental aux Gambier puis à Tureia, les 21 et 22 février derniers. Un avion avait été affrété spécialement pour cette tournée.

Son conseiller spécial Thierry Nuhn Fat est cité à comparaître, dans le cadre de cette procédure directe pour recel, de même que Jean-Christophe Bouissou, Tearii Alpha, Heremoana Maamaatuaiahutapu et Luc Faatau, les quatre ministres qui avaient pris part à ce déplacement.
Les citations directes ont été notifiées aux intéressés par voie d’huissier, entre le 27 mars et le 4 avril derniers.

Le plaignant relève que lors de la réunion publique organisée le 21 février à la mairie de Rikitea, "Edouard Fritch était vêtu d'une chemise aux couleurs de son parti, le Tapura Huiraatira", rouge et blanche. "Cette délégation était logée, aux frais de la Présidence, à la pension Benoît et Bianca. Cette délégation gouvernementale est repartie sur l'atoll de Tureia le 22 février à 8 heures. Un repas a été distribué à la population présente au 'meeting'", accuse-t-il aussi.

Invité dimanche soir du Grand JT sur la chaîne locale TNTV, Nuihau Laurey a répondu à cette accusation en affirmant que "le gouvernement voyage avec l’agent public dans le cadre des fonctions qui lui sont confiées. Et le gouvernement travaille". Le sénateur Tapura Huiraatira critique aussi la sincérité de l’auteur de cette procédure : "il m’a personnellement attaqué en justice trois fois et il a perdu, les trois fois. (…) La campagne commence à peine. A l’issue, les comptes de campagne seront clôturés et la commission de contrôle des comptes de campagne examinera l’utilisation des fonds publics. Je n’ai aucun souci à ce sujet. Je sais que le gouvernement travaille et je pense que c’est ce que la population attend. (…) Et il y a une distinction entre les comptes du gouvernement et ceux de la campagne. C’est la commission de contrôle qui aura à l’examiner et pas Yves Conroy, avant même que ces comptes ne soient clôturés".

Dans l'entourage d'Edouard Fritch on se dit "tranquille" à propos de ce déplacement gouvernemental aux Gambier et à Tureia, fin février : "On sait ce que l'on a fait et pourquoi on y est allé".

Reste tout de même une petite curiosité, dans la manifestation à la presse de cette procédure de citation directe : parmi les destinataires du courrier électronique envoyé samedi par Yves Conroy pour rendre publique cette affaire, figure Geffry Salmon, tête de liste du Tahoera’a Huiraatira.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 9 Avril 2018 à 14:01 | Lu 8308 fois