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Exode des jeunes îliens vers Tahiti : du rêve à la désillusion


PAPE'ETE, le 20 août 2014 - Depuis le début des années 2000, les archipels se vident peu à peu de leur jeunesse. L’attrait ressenti pour l’île de Tahiti et ses promesses d’une vie meilleure a largement contribué à cet exode. Mais une fois à Papeete, la réalité est souvent bien différente de ce que ces jeunes avaient rêvé et espéré.

Tearui vient des Tuāmotu de l’Est. Ayant vu ses deux frères puis sa sœur aînée partir à Tahiti, il a fait comme eux. Dans son île natale, il n’avait pas un grand terrain « mais j’étais heureux » concède-t’il. Après un an passé à chercher du travail, la vie à Tahiti lui semble désormais utopique et pleine d’artifices. « Pourtant je croyais que j’allais vivre heureux. Aujourd’hui, je n’ai pas d’argent, même pas assez pour payer mon passage sur un bateau.» Il vit dans un petit appartement avec cinq autres îliens. Ils ont troqué le grand air et l’espace pour un 30 m2 à Papeete.

Malgré la beauté de leur environnement et des conditions de vie privilégiées, les jeunes recherchent la modernité et sont attirés par les « lumières » de la capitale. Comme Tearui, ils sont plus de 3 200 à avoir sacrifié leur vie tranquille des îles entre 2 000 et 2 013, pour connaître celle de Tahiti, beaucoup moins paisible celle-là, où leurs aînés se sont laissés prendre au piège des promesses d’une vie meilleure.

Ruta, 25 ans est originaire des Australes : « On croyait qu’on pourrait gagner plein d’argent en venant à Tahiti et fonder une famille, mais c’est tout le contraire. » avoue-t’elle. Tout est nouveau, donc tout est beau mais le temps passant, la désillusion s’installe : « J’ai fait plein de petits boulots, et je me suis souvent faite exploiter. Pour me faire payer, je devais presque menacer et une fois j’ai dû montrer mon poing pour recevoir mon dû. C’est pas normal. » Elle a même refusé certaines propositions indécentes.

Quand l’espoir laisse la place à la désillusion

Peu à peu, le sentiment d’impuissance et de dénuement pousse certains à sombrer dans la drogue et la délinquance. Tama des Iles-sous-le-vent est passé par là. « Lorsque tu n’as jamais de sous dans la poche et que tu vois des gens heureux manger ce qu’ils veulent, tu finis par les envier. C’est comme ça que j’ai commencé à voler puis à être violent aussi. » Pourtant, dans sa belle île de Taha’a il avait la possibilité de cultiver de la vanille « …et gagner beaucoup d’argent » reconnait-il mais au lieu de cela, il a succombé à la tentation.

Qu’est-ce qui pousse tous ces jeunes à quitter leurs îles ? Erika de Mangareva tente d’apporter des réponses: « Il n’y a pas de travail dans nos îles ! Les seuls pourvoyeurs d’emploi sont les communes mais ils ne peuvent plus embaucher comme avant. Quant aux restaurants ou hôtels, il ne faut plus trop compter dessus.». Malgré les efforts du gouvernement d’essayer, par des mesures de soutien aux filières maraîchères et pêche d’endiguer le problème, les résultats peinent à se faire ressentir. Le coprah ne fait plus d’adepte comme avant. Les jeunes fuient l’effort pour gagner peu.

Un phénomène déjà observé

Un extrait d’un rapport du chercheur J . Fages de l’ORSTOM donne la raison initiale de cet exode urbain qui a démarré très tôt : « Tout change après 1960. (…) Avec l’implantation du C.E.P. en Polynésie, les grands travaux entrepris à Papeete et sur les « sites » demandent une main-d’œuvre importante qui n’existe pas sur place. Il faut aller la chercher là où elle se trouve : dans les îles. » Dans ces années-là, le ministère de la défense a recruté à tour de bras. « La grande différence entre notre génération et celles d’aujourd’hui, c’est que nous avons réussi à acheter des terrains et construire des maisons. Cela a été rendu possible uniquement parcequ’il y avait le CEP. Nous étions recrutés en masse et étions bien payés pour l’époque. Maintenant, il n’y a plus cette manne. » déclare Robert, un ancien ouvrier ayant travaillé à Moruroa. Autre élément de taille qui a détruit bien des rêves, le manque de qualification et de diplômes.

Ainsi depuis quelques années, l’engagement volontaire dans les forces armées semble être l’alternative la plus prisée. Un exemple reste celui du GSMA (Groupement du Service Militaire Adapté) où les jeunes îliens arrivent enfin à intégrer des entreprises locales. Ils acquièrent ici l’expérience et les connaissances utiles pour trouver du travail. Mais cette solution ne règle malheureusement pas tous les problèmes car plus d’un tiers des jeunes originaires des archipels n’ont pas trouvé d’emploi.

TP

Sources : Communes des îles et rapport « migrations et urbanisation en Polynésie française » de J. Fages, géographe à l’ORSTOM

Rédigé par () le Mercredi 20 Août 2014 à 07:36 | Lu 2520 fois