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Déontologie à géométrie variable à Tarahoi


Tahiti, le 9 décembre 2025 - Un an après avoir réuni experts internationaux et élus polynésiens autour d’un grand colloque sur la prévention des conflits d’intérêts, Antony Géros se montre soudain intraitable sur la déontologie. Mais son rappel à l’ordre, lancé lundi avant le vote sur la taxe de développement local rénovée (TDLR), tranche avec son silence de décembre lors de l’adoption de la réforme du RNS. Un texte pourtant lourd d’enjeux personnels pour de nombreux élus ayant des biens à louer qui seront désormais soumis à cotisations sociales. Une vigilance sélective qui interroge.


La déontologie est-elle un principe constant ou un instrument ponctuel, mobilisé selon les circonstances politiques ? Lundi matin, dans un hémicycle où l’on pourrait penser désormais que les arcanes de la déontologie n’ont plus aucun secret pour les représentants, le président de l’assemblée a pris les élus de court. Après la discussion générale sur le texte visant à “rénover” la taxe de développement local (TDLR), le locataire du perchoir a en effet appelé les élus à se retirer de la salle et à s’abstenir de participer aux débats ou au vote s’ils détenaient un commerce, une activité ou un intérêt privé susceptible d’interférer avec cette réforme. Une douzaine d’entre eux ont quitté la salle... parmi lesquels l’élue du Tavini, Béatrice Le Gayic, également présidente d’une association, dont les membres profiteront directement des nouvelles dispositions.
 
Cette injonction de dernière minute est arrivée un peu tard puisque Béatrice Le Gayic est intervenue longuement en faveur de la réforme avant de se retirer. Autrement dit, le principe de précaution affiché par le président de l’assemblée s’est transformé en simple protection de façade plutôt qu’en application rigoureuse.
 
Car le droit est clair, et la simple prise de parole susceptible d’influencer le débat peut suffire à caractériser un conflit d’intérêts lorsque l’intérêt privé interfère avec l’intérêt public.
 
Pourtant, Tarahoi n’a pas découvert la déontologie ce lundi. En mai 2024, Antony Géros orchestrai­t justement un grand colloque intitulé “Déontologie et prévention des conflits d’intérêts”. Ça ne s’invente pas. Au menu, des cours magistraux le matin, ateliers pratiques l’après-midi, intervenants internationaux et cas concrets mis en scène pour former élus municipaux, représentants et même députés. L’assemblée prévoyait alors d’adopter un véritable code de déontologie inspiré des modèles canadien et métropolitain... qui se fait toujours attendre.  
 
Un rappel tardif qui contraste avec le silence de décembre
 
Dans ce contexte, ce rappel à l’ordre surprend d’autant plus que les principes juridiques qu’Antony Géros invoque sont parfaitement connus : un conflit d’intérêts existe dès qu’un intérêt privé – familial, professionnel, associatif – interfère ou paraît interférer avec l’exercice impartial du mandat. Le droit prévoit le “déport”, qui oblige l’élu à se retirer sans participer ni influencer un débat. Et l’article 432-12 du Code pénal sanctionne la prise illégale d’intérêts, même indirecte, jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
 
Surtout, ce rappel inattendu arrive après d’autres épisodes où la prudence aurait été tout aussi indispensable, voire davantage. Notamment en décembre dernier, lors du vote de la réforme du régime des non-salariés (RNS), qui soumet les revenus immobiliers supérieurs à 3,6 millions de francs à des cotisations sociales. Or, il n’est un secret pour personne qu’une partie non négligeable des représentants – au Tavini comme au Tapura ou chez Ahip – perçoit des loyers au-delà de ce seuil et que ce texte touchait donc directement une large fraction de l’assemblée. Pourtant, aucune mise en garde n’avait été formulée. Aucun appel à la prudence. Aucune évocation d’un risque pénal. Rien.
 
Interrogé ce lundi, Géros nous a expliqué qu’il n’avait alors “pas encore eu les réponses du déontologue”. Une justification fragile, au regard de l’ampleur du colloque organisé l’an dernier et de l’ambition affichée d’ériger la déontologie en pilier de l’assemblée.
 
Cette pratique à géométrie variable laisse planer un doute : la déontologie est-elle un principe appliqué en continu ou un levier activé selon les textes, les circonstances ou les pressions politiques du moment ? À Tarahoi, où l’on annonce depuis un an l’arrivée d’un code de déontologie “moderne” et “exemplaire”, la cohérence fait encore défaut. Le sursaut d’Antony Géros lundi témoigne moins d’un changement profond que du chemin qu’il reste à parcourir : la déontologie ne peut être un outil ponctuel. Elle doit devenir une colonne vertébrale. Pour l’heure, elle oscille encore entre l’affichage et l’application.

Déontologie et conflits d’intérêts

Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêts ?
  • Toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.
  • Même le simple fait d’influencer un débat peut constituer un conflit.
Comment l’éviter ?
  • Le déport : l’action de se désister d’un dossier susceptible d’entraîner un conflit d’intérêt réel ou supposé.
Sanctions prévues
  • Article 432-12 du Code pénal : jusqu’à 5 ans de prison et 500 000 euros (59,6 millions de francs) d’amende (pouvant atteindre le double du gain tiré de l’infraction).
  • L’infraction peut être constituée même sans participation au vote, dès qu’il y a intervention dans la décision.
Bon réflexe pour les élus
  • Déclarer tout intérêt avant le débat.
  • Se retirer si nécessaire.
  • Ne jamais laisser l’intérêt privé influencer une décision publique.
 

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 9 Décembre 2025 à 13:02 | Lu 674 fois