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Condamnations d’élus à Vanuatu : effet ricochet possible aux îles Salomon ?


HONIARA, dimanche 1er novembre 2015 (Flash d’Océanie) – La récente condamnation de 14 députés par la Cour Suprême de Vanuatu pourrait avoir, par effet de contrecoup, des répercussions dans toute la région, ont estimé fin octobre 2015 les antennes régionales d’organisations de lutte contre la corruption.
Selon la branche salomonaise de l’ONG Transparency International, cette sentence, qui crée un précédent dans toute la région Pacifique insulaire, « envoie un message fort à tous les députés des îles Salomon ».
Dans son jugement, la Cour Suprême de Vanuatu, le 22 octobre 2015, a condamné 14 députés, dont plusieurs anciens Premiers ministres de Vanuatu, à des peines de prison allant, dans certains cas, jusqu’à quatre ans de prison ferme, pour corruption.

La branche salomonaise de l’ONG, Transparency Solomon Islands, en réaction à ces peines, a rappelé peu après que la juge Mary Sey avait à plusieurs reprises, pour justifier sa sentence, évoqué la notion de « trahison de la confiance du public » de la part de dirigeants nationaux.
« Les actes de corruption doivent être éradiqués de Vanuatu et les peines, que ces élus ont eux-mêmes entérinées sous forme de lois à Vanuatu, doivent être appliquées », a renchéri la magistrate en rendant lecture de son verdict et des condamnations qui l’ont suivi.
Ce jugement, selon l’ONG, pourrait potentiellement créer une dynamique plus hardie en matière de verdicts à l’encontre d’élus impliqués dans des affaires de corruption, a estimé l’ONG.

Transparency Solomon Islands a aussi rappelé des situations similaires de lutte pour le pouvoir entre majorité et opposition aux îles Salomon.
Au gré d’alliances très fluctuantes là aussi entre groupes parlementaires et députés, qui favorisent souvent le dépôt de motions de censure et la chute de gouvernements fragiles, « un environnement qui favorise la pratique de pressions à travers le prisme de la corruption et des pots-de-vin est non seulement très plausible, mais aussi très tentant », a déclaré l’ONG dans un communiqué.
Aux îles Salomon, ces derniers jours, le Premier ministre Manasseh Sogavare a été à deux doigts de chuter par voie de motion de censure.
L’opposition a finalement retiré cette motion en fin de semaine dernière, après que M. Sogavare ait nommé en urgence sept nouveaux ministres, recrutés au sein du groupe parlementaire des non-inscrits.
Les titulaires précédents de ces portefeuilles avaient subitement, les jours précédents, changé de camp et rallié l’opposition.
Les portefeuilles concernés étaient ceux de l’intérieur, de l’infrastructure, des forêts, du commerce et de l’industrie, des régions, de l’éducation et des affaires foncières.
Par effet de contrecoup, le remaniement-express de la semaine dernière a aussi touché les ministères de la police et des services pénitentiaires, de la culture et du tourisme ainsi que de la justice.

mission régionale d’assistance aux îles Salomon (RAMSI)
mission régionale d’assistance aux îles Salomon (RAMSI)
C’est dans ce climat délétère que le Forum des Îles du Pacifique (FIP) et l’Australie ont annoncé, fin octobre 2015, la nomination d’un nouveau coordinateur de la mission régionale d’assistance aux îles Salomon (RAMSI).
La RAMSI est une force déployée en juillet 2013 et consistant, avec des militaires et policiers australiens, néo-zélandais et océaniens, à rétablir l’ordre aux îles Salomon après cinq années de conflit ethnique ayant entraîné un effondrement de l’État de droit.
Après une intervention d’abord centrée sur la remise en place des organes essentiels de l’État et de l’ordre public, la RAMSI, principalement financée par l’Australie, a progressivement déplacé son action vers un rôle de rétablissement des services essentiels de ce pays mélanésien, avec un fort accent sur la bonne gouvernance.
Désormais affichée en phase de retrait, cette RAMSI sera désormais « coordonnée » par Quinton Devlin, nommé par Canberra « Coordinateur Spécial ».


Ce diplomate de carrière australien, au cours de sa carrière, a notamment été en poste au Brésil (adjoint au chef de mission ces trois dernières années), mais aussi à Bougainville (Papouasie-Nouvelle-Guinée) où, au début des années 2000, il a suivi de près la mise en place du processus de paix sur cette île, théâtre d’une guerre sécessionniste entre 1987 et 1999.
Il devrait prendre ses fonctions aux îles Salomon en décembre 2015, en remplacement de Justine Braithwaite, qui occupait ce poste depuis novembre 2013, a annoncé Mme Julie Bishop, ministre australienne des affaires étrangères.
L’une des principales missions figurant sur la feuille de M. Devlin sera de superviser le retrait définitif de la RAMSI d’ici à la mi-2017, a précisé Mme Bishop.


Dans le plus grand pays de la Mélanésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, où la vie politique est tout aussi tumultueuse, le Premier ministre Peter O'Neill a lui-même survécu, en fin de semaine dernière, à une motion de censure déposée par l’opposition, qui tentait une nouvelle fois de le renverser.
Sa stratégie a, cette fois-ci, consisté à déposer une contre-motion engageant la responsabilité de son gouvernement et sollicitant des élus un vote de « confiance ».
Il a obtenu 78 voix pour, et seulement deux contre.
Le groupe de l’opposition avait préféré quitter l’hémicycle avant la tenue de ce vote.
Entre-temps, le Président par intérim du Parlement, Aide Ganasi, a jugé la motion de défiance non recevable.



Jeudi 22 octobre 2015, la Cour Suprême de Vanuatu a condamné 14 députés et anciens ministres à des peines de prison ferme, dans une affaire de corruption perçue comme sans précédent dans cet archipel mélanésien.
Dans cette série de sentences, d’une ampleur jamais connue dans la jeune histoire de cet ancien condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides, l’ancien Premier ministre francophone et jusqu’à récemment Vice-premier ministre Moana Carcasses, au centre de cette affaire de pots-de-vin et de corruption, a écopé d’une peine de quatre ans de prison fermes avec effet immédiat.
Le Président du Parlement, Marcelino Pipite, qui avait profité de la récente absence du Président de la République pour proclamer une grâce pour lui-même et les treize autres élus, écope quant à lui d’une peine de trois ans de prison.
La même sentence a été prononcée pour un autre ancien Premier ministre francophone, Serge Vohor.
La plupart des autres politiques reconnus coupables des mêmes chefs d’accusation, souvent de corruption passive, ont aussi reçu des peines du même ordre de longueur, rapporte la presse locale.
Le seul de ces élus ayant apparemment trouvé grâce aux yeux de la justice vanuatuane est Willie Jimmy, vétéran de la politique, qui avait, dès le début des audiences, choisi de coopérer avec l’accusation et d’emblée plaidé coupable.
Il a bénéficié d’une forme de clémence en ne se voyant condamné qu’à vingt mois de prison avec sursis.
Aux termes de la loi, les peines pouvaient atteindre les dix ans de prison.
Ces sentences ont été annoncées par la juge Mary Sey, dans un climat tendu, alors que des centaines de personnes s’étaient rassemblées dans le calme à l’extérieur de la salle d’audiences.
La magistrate, en rendant sa sentence, a comparé la corruption à un « cancer » qui minait la vie politique.
Aucun incident n’a été signalé.
La veille, le Président du Grand Conseil des Chefs coutumiers avait jugé utile d’appeler la population au calme, à au respect de l’état de droit et à celui aussi des valeurs coutumières et traditionnelles, qui fondent cet État insulaire.

Au cours des jours précédant l’annonce de ce verdict, le climat avait été particulièrement tendu dans la capitale vanuatuane.
Vendredi 16 octobre 2015, la police avait lancé une vaste opération visant à arrêter 11 des 14 députés reconnus coupables par la Cour.
Juste avant le lancement de cette opération de police, le Président en titre, Baldwin Lonsdale, de retour dans l’archipel, avait ordonné la révocation de l’amnistie prononcée par Marcelino Pipite, Président du Parlement.

Un jugement charnière

Ces condamnations sont considérées comme faisant date dans l’histoire de Vanuatu, devenu indépendant en 1980, après des années de pratiques douteuses de la part des politiques.
La création, au milieu des années 1990, d’un bureau du médiateur censé veiller au bon respect du code des dirigeants, et d’une déontologie dans la classe politique, n’a eu que peu d’effets : les rapports parfois cinglants de la première titulaire de ce poste, la Française d’origine Marie-Noëlle Ferrieux-Patterson, ont pour la plupart été ignorés.
Les 14 personnalités reconnues coupables et condamnées jeudi 22 octobre 2015 sont Moana Carcasses, Marcelino Pipite, Steven Kalsakau, Paul Telukluk, Serge Vohor, Jonas James, Tony Nari, Thomas Laken, Silas Yatan, Sebastien Harry, Arnold Prasad, Tony Wright, Jean Yves Chabot, John Amos et Willie Jimmy.
Mercredi 21 octobre 2015, la même Cour Suprême de Vanuatu avait invalidé les grâces prononcées le 10 octobre 2015 par le Président du Parlement, qui déclarait alors agir en tant que Président de la République par intérim, en l’absence momentanée du chef de l’État.

Tentatives d’ « auto-grâce »

Marcelino Pipite, Président du Parlement de Vanuatu, avait profité d’une brève période d’intérim des fonctions du Président de la République, Baldwin Lonsdale, en voyage à l’étranger, pour gracier 14 députés, dont lui-même, reconnus coupables de corruption quelques ours plus tôt.
À Vanuatu, le Président du Parlement assume automatiquement les fonctions du Chef de l’État lorsque ce dernier se trouve en déplacement à l’étranger.

Vendredi 9 octobre 2015, au terme de longues audiences, la Cour Suprême de Vanuatu avait rendu un verdict prononçant coupables M. Pipite ainsi que 13 autres députés membres de l’Assemblée (52 sièges) dans une affaire de corruption active ou passive.
Parmi les coupables : l’ancien Premier ministre Moana Carcasses, devenu Vice-premier ministre au sein du gouvernement actuel, à la faveur du vote d’une motion de censure.
De nombreuses autres personnalités sont aussi ministres au sein du gouvernement actuel, dirigé par le Premier ministre Sato Kilman.
Dans son jugement rendu mercredi 21 octobre 2015, dans une salle d’audiences comble, le juge Oliver Saksak a estimé en substance que l’intérim de la Présidence de la République ne conférait pas tous les pouvoirs dont dispose le Président en titre.
Il a aussi validé la révocation de ces grâces, prononcée par M. Lonsdale dès son retour dans cet archipel mélanésien.
Dans l’affaire de corruption à l’origine de ces batailles judiciaires, et qui concerne 14 députés (dont le Président du Parlement et l’ancien Premier ministre Moana Carcasses), la Cour Suprême doit prononcer les sentences jeudi 22 octobre 2015.

Répercussions sur l’exécutif

Toutefois, depuis, le Premier ministre Sato Kilman a dû se résoudre à démettre de leurs fonctions les quatre ministres concernés.
Il assume depuis leur intérim aux fonctions de ministre des affaires foncières (jusqu’ici assumé par Paul Telukluk), de l’équipement et des travaux publics (jusqu’ici assumé par Tony Nari), de l’éducation, de la jeunesse et des sports (jusqu’ici assumé par Tony Wright) et du changement climatique (jusqu’ici assumé par Thomas Laken).

L’opposition, pour sa part, a déposé en milieu de semaine dernière une motion de censure à l’encontre du Premier ministre Sato Kilman.
Le débat de cette motion pourrait avoir lieu le 21 octobre 2015.
Motif de cette motion : la conduite de plusieurs membres du gouvernement actuel, en lien direct avec l’affaire judiciaire de corruption, suivie des grâces prononcées par M. Pipite.
Plus tôt dans la semaine, plusieurs députés de l’opposition avaient aussi exprimé leur surprise en constatant que des sommes importante avaient été déposées sur leurs comptes bancaires personnels.
Ces sommes émanant du gouvernement, portaient la mention « remboursement cyclone tropical Pam ».
Selon Ham Lini, chef de l’opposition, le versement de ces sommes (dépassant les huit mille dollars US) ne figure à aucun chapitre budgétaire et pourrait par conséquent se révéler illégal.
Ce nouvel épisode dans l’histoire politique chargée de Vanuatu a une nouvelle fois relancé le débat sur la nécessité de toiletter a Constitution actuelle, mise en place lors de l’accession des Nouvelles-Hébrides (condominium franco-britannique jusqu’en juillet 1980).

Pour démêler cet imbroglio politico-judiciaire, l’un des cas de figure présentés comme une option par le Président Lonsdale, en début de semaine, pourrait même aller jusqu’à une dissolution du Parlement et la convocation du peuple aux urnes pour de nouvelles législatives.
Cette option pourrait être à l’ordre du jour, mais en dernier recours, a précisé le chef de l’État.


À l’origine de la condamnation des députés, le vendredi 9 octobre 2015 : d’importantes sommes d’argent remises sous forme de « prêts » aux élus, qui se sont aussi trouvés avoir soutenu la dernière motion de censure en date dans l’histoire politique agitée de cet archipel mélanésien.
La motion avait renversé M. Joe Natuman, alors Premier ministre, qui avait auparavant renversé M. Carcasses par le même procédé de motion de défiance.
Au cours des audiences, M. Carcasses avait adopté une stratégie de défense consistant à affirmer que ces « prêts » aux députés (pour un total annoncé à quelque 35 millions de vatu, soit plus de 275.000 euros) provenaient de ses fonds propres et a démenti en bloc toute notion de pot-de-vin.
La Cour en a décidé autrement en reconnaissant tous les accusés coupables des chefs d’accusation portés à leur encontre et en estimant que le versement de ces sommes avait pour vocation principale d’influencer les élus en vue d’un soutien à la motion de censure contre M. Natuman.

pad

Rédigé par PAD le Lundi 2 Novembre 2015 à 06:11 | Lu 795 fois