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Chez les Small Nambas de Malekula


À Malekula, on vit sa culture et l’on présente des spectacles avec des moyens réduits, certes, mais sans dénaturer les traditions.
À Malekula, on vit sa culture et l’on présente des spectacles avec des moyens réduits, certes, mais sans dénaturer les traditions.
Tahiti, le 8 janvier 2021 - Si l’épidémie de Covid nous empêche depuis de longs mois de parcourir le Pacifique Sud, ce n’est pas une raison pour ne pas faire quelques projets de balade afin d’être prêt à partir, lorsque, enfin, les compagnies aériennes reprendront une activité à peu près normale. Parmi les pays voisins de la Polynésie française, le Vanuatu, ex-Nouvelles-Hébrides, offre de multiples centres d’intérêts avec ses nombreuses îles. Aujourd’hui c’est sur l’une d’elles, peut-être la plus pittoresque, que nous nous proposons de vous emmener.
 
Pas de “resort 5 étoiles”, pas de béton, bitume et tours de verre et d’acier à Malekula, anciennement nommée Malicollo ; ici, la vie est la même qu’il y a cinquante ou cent ans, à une différence près toutefois, l’apparition du téléphone mobile (même s’il est souvent difficile d’avoir du réseau).
L’île avait, au XIXe siècle, mauvaise réputation. Découverte en 1606 par l’expédition espagnole conduite par Quiros, elle fut plus tard visitée par des Européens avides de santal puis de main d’œuvre “noire”, les “blackbirds” (les merles) embarqués souvent de force pour travailler dans les plantations de canne à sucre du Queensland. 

Les hommes dansent, augmentant l’intensité du rythme de leurs pas en frappant des bambous qui viennent appuyer les percussions.
Les hommes dansent, augmentant l’intensité du rythme de leurs pas en frappant des bambous qui viennent appuyer les percussions.
Razzias des négriers et cannibalisme
 
Ces razzias des négriers échauffèrent très vite les esprits des chefs de tribus qui n’hésitèrent pas, à la vue d’une goélette, quelle qu'elle soit, à organiser des raids de représailles et des attaques qui s’avérèrent parfois mortelles. Les prisonniers européens finissaient au four, puisqu’alors le cannibalisme était une pratique très répandue. D’où la prudence des Blancs lorsqu’il s’agissait de se rendre à Malicollo, chez les Small Nambas (au sud) et, plus redoutés encore, chez les Big Nambas (au nord). 
Le mot namba désigne l’étui pénien que portent les hommes de l’île (de moins en moins de nos jours). 
Small Nambas, Big Nambas, deux tribus dominantes certes, mais une complexité bien plus grande sur le terrain puisque l’on estime qu’une trentaine de dialectes sont parlés sur les 2 041 km2 de l’île. Autant dire que de telles différences linguistiques ne favorisaient pas les échanges entre des tribus et des clans souvent rivaux.
Cette image d’île aux cannibales est aujourd’hui savamment cultivée par les Nambas de Malekula qui n’hésitent pas à mettre en scène, pour les touristes des rares paquebots leur rendant visite, des batailles fictives se terminant par la capture de prisonniers ramenés au village afin d’y être cuits. Mises en scène qui se terminent évidemment par de grands éclats de rire, même si certains visiteurs affichent parfois des mines inquiètes durant la représentation...

La terre ocre sert, comme à l’île de Pâques, de “costume” et de parure pour de nombreux danseurs masculins.
La terre ocre sert, comme à l’île de Pâques, de “costume” et de parure pour de nombreux danseurs masculins.
La “kastom” omniprésente
 
Avec une population à peine supérieure à vingt-cinq mille habitants (sur une superficie deux fois plus vaste que Tahiti) et en l’absence de routes asphaltées, la vie à Malekula reste organisée autour d’activités traditionnelles : agriculture, élevage, et tout de même culture du cacao, une source de revenus non négligeable pour ceux qui ont la chance de posséder des terrains et qui les ont plantés de “Theobroma cacao”. La réputation du chocolat fabriqué à partir des fèves récoltées au Vanuatu n’est d’ailleurs plus à faire dans le monde entier. Et puisque nous parlons de terrains, il convient de savoir que tout est ici encore régi par la sacro-sainte “kastom” et que rien ne peut se faire sans un respect absolu de cette coutume omniprésente. Rares sont donc les propriétaires de terrains privés au sens où nous l’entendons, les surfaces agricoles appartenant la plupart du temps au clan, les grands chefs, les petits chefs et la kastom se chargeant de répartir les terres. On en a donc l’usufruit, mais rarement la pleine propriété. 
En réalité, c’est la vie de tous les jours qui est régie par cette kastom que beaucoup juge étouffante (en privé) mais qui, paradoxalement, permet à ces villages très pauvres de conserver une structure sociale solide à défaut d’être égalitaire. Si la fraternité est imposée par la kastom, celle-ci ne laisse en effet que peu de libertés et ignore le mot égalité, puisque des hiérarchies sont imposées et respectées dès la naissance. De même, les relations entre hommes et femmes font, elles aussi, l’objet de règles très strictes à respecter pour ne pas subir le courroux de chefs, voire l’exclusion du clan.

Quand un paquebot ou un groupe de touristes arrive, vite on improvise un orchestre avec des instruments modernes.
Quand un paquebot ou un groupe de touristes arrive, vite on improvise un orchestre avec des instruments modernes.
Gentillesse et simplicité
 
Hormis le cacao, l’autre importante source de revenus pour Malekula provient des cocoteraies immenses datant de la période coloniale, plantées sur la côte est notamment. Le tonnage annuel de coprah est de ce fait conséquent et Malekula est l’île du Vanuatu qui en produit le plus, coprah expédié ensuite à Port-Vila par de vénérables cargos toujours surchargés de fret et de passagers. Compte-tenu de l’humidité à Malekula et des pluies abondantes, la plupart du temps le coprah est préparé par séchage dans des fours, ceux-ci étant tout simplement alimentés par la bourre de coco.
Il est difficile de conseiller à des visiteurs étrangers de demeurer très longtemps sur l’île de Malekula tant il y a à voir sur les autres îles que sont Tanna, Santo, Efate, Ambrym pour ne citer qu’elles. Néanmoins, ce n’est qu’en inscrivant un séjour dans la durée que l’on peut espérer comprendre, voire même participer à cette vie régie par la kastom. À condition de la respecter strictement et d’être aussi humbles que le sont vos hôtes, les Small Nambas vous accueilleront toujours avec autant de gentillesse que de simplicité. Et vous aussi, en vous “installant” chez eux, n’oubliez pas que faire la coutume pourra vous ouvrir bien des portes... 

Chez les Nambas de la forêt

Si pratiquement toute la population de Malekula vit le long des côtes, il ne faut pas oublier que mille cinq cents personnes ont choisi de continuer à vivre sur les pentes des montagnes (l’île culmine à 879 m d’altitude) ; leur rendre visite n’est pas une simple affaire : les groupes qui composent ces populations sont petits (souvent quelques dizaines de personnes seulement) et ne voient que très rarement des visiteurs. À notre premier passage à Malekula, nous avons pu arranger avec un Small Namba une visite à l’un de ces petits clans. 
Après une heure de 4x4 sur une piste parfois difficile, nous avions poursuivi notre chemin à pied dans les hautes herbes d’une plaine en légère pente. Parvenus au bas de la montagne, notre guide avait saisi un gourdin et avait frappé le tronc d’un arbre, selon, visiblement, un code précis. Il nous fut demandé de nous asseoir et d’attendre. 
Quelques minutes plus tard, venant de la montagne, un message de même nature parvenait à notre guide qui n’eut aucun mal à le décrypter. “Ils nous demandent d’attendre. Nous resterons ici une heure et nous monterons ensuite en suivant un petit sentier. Il y a beaucoup de tabu dans la forêt, la kastom est complexe, donc vous resterez derrière moi”. 
Après une heure de grimpette, nous nous sommes retrouvés au milieu d’un minuscule village fait de quelques cases sommairement construites. “Un New Yorkais est venu les voir il y a six mois pour acheter des objets” nous expliqua le guide après quelques minutes de palabres, “mais depuis ils n’ont reçu personne. Ils nous ont demandé d’attendre car ils souhaitaient vous présenter une danse et ils avaient besoin de se préparer à vous recevoir. J’ai amené un panier avec différents présents pour faire la coutume. Si vous souhaitez faire des photos et même acheter des objets, dites-le moi avant et nous négocierons ensemble. Mais ne faites pas de photos des femmes et des enfants s’il vous plaît”. 
D’une pauvreté extrême, ce petit groupe humain perdu dans la forêt comptait vingt-sept personnes. Nous eûmes effectivement droit à une danse exécutée par quelques hommes tandis que d’autres frappaient des troncs d’arbres partiellement évidés, femmes et enfants regardant, apparemment très contents de cet intermède. Nous n’étions que deux visiteurs et nous eûmes le droit de prendre des photos et même d’acheter un masque funéraire et une représentation d’ancêtre réalisée à partir d’un morceau de fougère arborescente. 
L’échange fut courtois, chacun demeurant tout de même timidement sur sa réserve et après avoir répondu à quelques questions (notamment sur leurs moyens de subsistance, aussi isolés dans la forêt), notre guide nous avertit que la visite était terminée. Il fallait partir et les laisser. L’argent que nous avions laissé servirait à un homme pour descendre jusqu’à la piste côtière afin d’aller acheter ce dont le clan avait besoin dans un des petits magasins existant sur la périphérie de l’île.
Rencontre hors du temps, hors de tout repère, hors de toute convention sociale. Avions-nous bien fait de prendre des photos ? Avions-nous bien fait d’acheter des objets ? Avions-nous tout simplement bien fait de monter jusqu’à eux ? Nous ne le saurons jamais, en espérant toutefois qu’un “oui” sanctionne chacune de ces interrogations. Partage, rencontre ou voyeurisme, la frontière peut parfois sembler mince...

Les dessins sur le sable

Le Vanuatu et plus particulièrement l’île de Malekula ont préservé une tradition originale et complexe de dessins sur le sable. Plus qu’une expression artistique indigène, cette “écriture” multifonction intervient dans de nombreux contextes : rituels, légendes, généalogies....
Cet art du dessin éphémère a été inscrit en 2008 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité par l’Unesco qui définit ainsi cette pratique : “Les dessins sont exécutés directement sur le sol, dans le sable, la cendre volcanique ou l’argile. À l’aide d’un doigt, le dessinateur trace une ligne continue qui se profile en arabesques selon un canevas imaginaire pour produire une composition harmonieuse, souvent symétrique, de motifs géométriques. Cette tradition graphique, riche et dynamique, est devenue un moyen de communication entre les membres des quelque 80 groupes linguistiques différents qui vivent dans les îles du centre et du nord de l’archipel. Les dessins font aussi office de moyens mnémotechniques pour transmettre les rituels, les connaissances mythologiques et d’innombrables informations orales sur l’histoire locale, les cosmologies, les systèmes de parenté, les cycles de chant, les techniques agricoles, l’architecture, l’artisanat ou les styles chorégraphiques. La plupart des dessins sur le sable ont plusieurs fonctions et niveaux de signification : ils peuvent être “lus” comme œuvres artistiques, sources d’information, illustrations de récits, signatures ou simples messages et objets de contemplation. Ce ne sont pas de simples “images”, mais une combinaison de connaissances, de chants et de récits empreints de significations sacrées ou profanes. Un maître dans l’art du dessin de sable doit par conséquent non seulement connaître parfaitement les motifs, mais aussi comprendre leur signification. De même, il doit être capable d’interpréter les dessins pour les spectateurs.”
 

Parlez bichlamar

La langue officielle, dans cet ancien condominium franco-britannique n’est ni l’Anglais ni le Français, mais le Bichlamar (ou Bichelamar), mélange de plusieurs langues et dialectes compris de tous dans toutes les îles du Vanuatu. Ce mot “bichlamar” viendrait de “bêche de mer”, les holothuries qu’achetaient les négociants européens aux indigènes du Pacifique au XIXe siècle. Nous vous proposons quelques expressions, le reste, vous l'apprendrez sur le terrain :
  • J'y vais maintenant : Ale mi go
  • Le cas de “blong” dérivé de belong :
  • S'il vous plaît : Plis
  • Merci : Tangkyu
  • Merci beaucoup : Tangkyu tumas
  • Désolé : Sori 
  • Je ne comprends pas le Bichlamar ! : Mi no save bichlama ! 
  • Combien ça coûte ? : Hamas long hem ? 
  • Pouvez-vous m'emmener à Vila ? : Yu save sakem mi long Vila ? 
  • Je suis content, merci : Mi glad tumas, tangkyu
  •  
  • haos blong mi = ma maison
  • naef blong yu = ton couteau
  • wil blong trak = pneu de voiture
  • mit blong pig = viande de cochon
  • buk blong rid = livre de lecture
  • wota blong dring = eau potable
  • mi go long taon blong pem bred = je suis allé en ville pour acheter du pain
  • hem i man blong drink = c'est un ivrogne
  • hem i blong Tanna = il est de Tanna

Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 7 Janvier 2021 à 20:44 | Lu 16937 fois