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Carburants: la vente à perte voulue pour décembre, sans faire l'unanimité


Crédit Sameer Al-DOUMY / AFP
Crédit Sameer Al-DOUMY / AFP
Paris, France | AFP | lundi 18/09/2023 - Après le plafonnement des prix de l'essence pour faire face à l'inflation, le gouvernement a sorti la carte de la vente à perte de carburants, une mesure qu'il veut rendre effective "début décembre" mais accueillie lundi avec une part de scepticisme.

"Ce sera effectif j'espère le 1er décembre puisque le texte de loi (sur les négociations commerciales entre producteurs et distributeurs, NDLR) sera examiné à l'Assemblée début octobre", a affirmé lundi le ministre de l'Economie Bruno Le Maire sur France 2, ajoutant que la mesure durerait "six mois".

Elisabeth Borne l'avait annoncée samedi, levant un vieux tabou. Le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres le 27 septembre, a confirmé Bercy à l'AFP.

La vente à perte est interdite en France depuis 1963 et est loin de faire l'unanimité, bien qu'elle ait été envisagée plusieurs fois face à l'inflation.

Le groupe RN (88 députés) y est  défavorable, a dit son vice-président Sébastien Chenu sur Public Sénat. Pour le député LFI Eric Coquerel, la mesure causera "un dérèglement qui avantage la grande distribution".

Si elle était votée, la question sera de connaître le nombre de stations-service qui l'utiliseront, car on imagine mal les indépendantes vendre à perte leur principale source de chiffre d'affaires, contrairement aux grandes surfaces utilisant l'essence pour attirer des clients dans les rayons.

En France, environ un tiers des 10.000 à 11.000 stations sont gérées par TotalEnergies (3.400), et une moitié par la grande distribution. Environ 2.500 sont indépendantes.

Francis Perrin, directeur de recherche à l'Iris, table au mieux sur "des opérations exceptionnelles" sur "un mois ou deux" par les grandes surfaces, en fonction des "zones géographiques et des situations de concurrence" mais pas une vente à perte généralisée.

Cet été, les prix des carburants sont repartis à la hausse, frôlant deux euros le litre, dans le sillage de l'envolée du pétrole. Et la tendance risque de se confirmer, avec les réductions de production décidées par des pays producteurs.

"Complètement décalée"

La vente à perte "peut répondre à un enjeu de très court terme (...) l'un des inconvénients c'est qu'il n'y a pas de ciblage", a réagi Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, sur Franceinfo.

C'est une mesure "complètement décalée", affirme à l'AFP Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce, recommandant un ciblage "de ceux qui roulent le plus".

"Je suis très très sceptique", dit Patrice Geoffron, professeur d'économie à Paris Dauphine. "Il y a un effet d’annonce. Mais il ne faut pas se leurrer, la grande distribution a des marges assez réduites, elle va se rattraper ailleurs".

Dans une note, le cabinet Asteres estime que la mesure "ne semble pas être en mesure d'accroître sensiblement le pouvoir d'achat des ménages", la probabilité qu'un grand nombre de distributeurs l'applique étant mince et leurs marges déjà faibles.

Il souligne le risque d'une hausse des prix des autres produits pour "compenser" et d'un évincement des petites stations.

Indépendants mécontents

"Mes adhérents vivent à 40, 50% voire plus de la vente du carburant, donc s'ils vendent à perte, je leur donne trois mois", s'est indigné Francis Pousse, président du syndicat professionnel Mobilians, représentant 5.800 stations-service hors grandes surfaces.

Le gouvernement a rendez-vous lundi pour lui présenter des mesures d’urgence mais aussi "penser l’avenir", a dit dimanche la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Le financement de bornes de recharge rapide notamment sera à l'ordre du jour.

De nombreux distributeurs ont déjà ces derniers mois vendu du carburant à prix coûtant. La plupart se sont engagés la semaine dernière à poursuivre jusqu'en fin d'année.

TotalEnergies a lui annoncé qu'il prolongerait l'an prochain le plafonnement à 1,99 euro par litre du prix de l'essence et du gazole.

Avec la vente à perte, le gouvernement fait "un pari de six mois, mais après?", interroge l'économiste Patrice Geoffron, qui "constate qu'il n'y a aujourd'hui pas grand-chose dans la boîte à outils de la politique publique".

"Seule antidote", accélérer la sortie du pétrole, une "question de survie économique", dit-il, au moment où Elisabeth Borne présente lundi aux partis les axes de sa "planification écologique".

le Lundi 18 Septembre 2023 à 04:42 | Lu 159 fois