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Aux origines du tatau....


Aujourd’hui, la Polynésie française est l’un des temples du tatouage, mais la pratique de cette discipline est bien plus ancienne que le peuplement de nos îles.
Aujourd’hui, la Polynésie française est l’un des temples du tatouage, mais la pratique de cette discipline est bien plus ancienne que le peuplement de nos îles.
Tahiti, le 15 novembre 2019 - La tenue, la semaine dernière à Tahiti, d’une manifestation consacrée au tatouage a mis une fois de plus en exergue le talent de nos tatoueurs qui inspirent aujourd’hui leurs confrères dans le monde entier ; mais si les mots français de tatouage ou anglais de tattoo dérivent du tahitien tatau, et si, indubitablement, les tatouages marquisiens d’hier et d’aujourd’hui comptent parmi les plus élaborés, il n’en demeure pas moins que cette technique est bien plus ancienne ; c’est en effet en Europe que le tatouage serait né voici plus de cinq mille ans.
 
Le tatouage est un art millénaire, certes pas aussi ancien que l’homme, mais indubitablement extrêmement vieux. On soupçonne que les peintres des grottes ornées d’Europe ne se contentaient pas de décorer les parois de cavernes ; il est plus que probable qu’ils se peignaient aussi le corps et peut-être qu’ils se le tatouaient. 
A défaut de preuves concrètes concernant nos ancêtres Cro-Magnon, l’homme tatoué le plus vieux de l’histoire a un peu plus de 5 300 ans ; il s’agit d’Ötzi, ce chasseur retrouvé momifié dans les glaces en 1991, à 3 210 mètres d’altitude (dans les Dolomites, à la frontière entre l’Italie et l’Autriche).

61 tatouages sur Ötzi

Le premier homme tatoué dont on a retrouvé la trace est Ötzi, vieux de 5 300 ans. Il portait 61 tatouages sur le corps, essentiellement aux articulations.
Le premier homme tatoué dont on a retrouvé la trace est Ötzi, vieux de 5 300 ans. Il portait 61 tatouages sur le corps, essentiellement aux articulations.
Depuis sa découverte, la momie a été auscultée de très nombreuses fois. Récemment, vingt-trois ans après sa découverte, grâce à l’imagerie multispectrale, des tatouages jusqu’alors invisibles ont été mis au jour portant la collection de cet « ink man » préhistorique à 61 tatouages, répartis sur 19 régions de son corps (Ötzi avait 46 ans au moment où il fut tué d’une flèche en montagne).  Les marques que portent Ötzi sont très souvent des lignes parallèles groupées, certaines, au creux de son genou droit et de sa cheville gauche formant des croix. L’emplacement de ces tatouages surtout concentrés sur des articulations laisse penser qu’il s’agissait d’une pratique à but médicinal destinée à atténuer les douleurs, une forme d’acuponcture avant l’heure. 
La technique du tatouage au chalcolithique (3350-3100 av. JC) est très différente des techniques modernes : l’épiderme était incisé et sur ces petites plaies on frottait des substances faite d’herbes et de chardon de bois.

Momies égyptiennes tatouées

Des momies égyptiennes vieilles de 4 000 ans ont été découvertes, porteuses de spectaculaires tatouages sans doute à but cultuels.
Des momies égyptiennes vieilles de 4 000 ans ont été découvertes, porteuses de spectaculaires tatouages sans doute à but cultuels.
Un peu plus tard, on sait que le tatouage était également présent dans l’ancienne société égyptienne. Trois momies datant d’environ 2000 ans av. JC portent des tatouages ; la plus connue est la prêtresse de Hathor Amunet, découverte au temple de Deir el-Bahari. Elle porte des lignes et des points le long de ses bras, de ses jambes et de son abdomen ; ses deux autres voisines portent également des tatouages à l’évidence reliés à une fonction religieuse. 
Ces figures pourraient avoir été inspirés par celles, peut-être plus anciennes et beaucoup plus nombreuses effectuées au sud de l’Egypte, en Nubie (actuel nord Soudan et extrême sud de l’Egypte) où des tombes contenant des momies tatouées ont été mises au jour. Il est à noter que les personnes tatouées dans ces régions sont pratiquement toutes des femmes.

Bretons et Pictes tatoués

Lorsque Jules César entreprit la conquête de la Bretagne (actuelle Angleterre), ses armées se retrouvèrent à lutter face à des troupes de guerriers couverts de tatouages, d’où le nom de Breton qui leur fut donné, du celtique pretani, signifiant tatoué.
Lorsque Jules César entreprit la conquête de la Bretagne (actuelle Angleterre), ses armées se retrouvèrent à lutter face à des troupes de guerriers couverts de tatouages, d’où le nom de Breton qui leur fut donné, du celtique pretani, signifiant tatoué.
En Asie, datant de la fin du deuxième millénaire av. JC, des momies tatouées ont également été mises au jour (en Chine et en Sibérie), preuve que cet art chargé de significations a voyagé dans le Vieux Monde.
Plus proche dans le temps, les Bretons, un demi-siècle avant la naissance de Jésus, arboraient des tatouages couvrant en partie leur corps, et ce depuis des lustres. D’ailleurs, les mots de Breton et de Bretagne viennent du latin Britanni, lui-même issu d’un ancien mot celtique, pretani, signifiant tatoué, peint. Un « Britannique » au sens étymologique du terme est donc un tatoué ! Shocking...
Dans le même registre et à la même époque, vivaient dans l’actuelle Ecosse le peuple Picte, qui, lui aussi, avait pour coutume de se tatouer le corps. Le mot Picte lui-même, qui désigna ce regroupement de peuplades farouchement hostiles aux Romains, vient du latin picti voulant dire « hommes peints ». Invaincus et apparemment invincibles, le Pictes forcèrent l’empereur romain Hadrien à construire un mur au nord de l’Angleterre entre 122 et 127 apr. JC, pour isoler la Bretagne conquise des hordes de Pictes.
Les Romains commentèrent cette habitude Outre-manche de se tatouer le corps. Pour l’historien Hérodien,« les Bretons se tatouent le corps de peintures variées et de figures d'animaux de toutes sortes. Voilà pourquoi ils ne s'habillent pas, pour ne pas dissimuler leurs dessins corporels ».

Marquer esclaves et criminels

Au début du premier millénaire, le tatouage s’est répandu au Japon mais d’une curieuse manière ; certains motifs étaient jugés nobles et étaient réservés à la caste dominante, alors qu’à l’autre extrémité de l’échelle sociale, les criminels, les condamnés, les bandits étaient tatoués, préfiguration sans doute de ce que deviendront ensuite les tatouages yakuzas des mafias nipponnes (aujourd’hui, le tatouage est désigné par deux mots, irezumi ou horimono).
En Europe, dès la Grèce antique, les esclaves furent systématiquement tatoués pour pouvoir les reconnaître en cas de fuite. Marqués à vie, comme du bétail, ils étaient ainsi aisément identifiables car ils portaient généralement sur le front une chouette ou un navire de guerre. Les Romains reprirent cette habitude mais en marquant leurs esclaves de manière moins ostensible. 
Au sein de l’armée romaine, le tatouage était aussi systématiquement utilisé pour reconnaître les mercenaires et suivre ainsi leur degré de fidélité ou au contraire d’infidélité à l’empereur. 
Toujours à Rome, les condamnés étaient marqués sur le visage au fer rouge, mais progressivement cette technique fut abandonnée au profit du tatouage indélébile. En Chine également, les criminels condamnés à une peine étaient tatoués sur le visage ; figurait sur le dessin le motif de la peine, le tout s’accompagnant du bannissement de la province où avait eu lieu le forfait.

Message caché sur crâne rasé !

L’anecdote la plus croustillante concernant le tatouage dans l’Antiquité concerne Histiée, tyran de la ville de Milet, au VIe siècle av. JC. Il n’appréciait guère d’être soumis au roi perse Darius, qui le retenait dans sa capitale, Suse. Pour déstabiliser Darius, Histiée décida d’organiser en sous main une révolte dans la province de Ionie, en 500 av. JC. Le chef des mutins était un dénommé Aristagoras. Pour lui donner le signal de la révolte, Histiée fit raser le crâne de son plus fidèle homme et il fit tatouer l’ordre de révolte sur ce crâne nu. Il cacha son messager aux yeux des Perses et lorsque ses cheveux eurent repoussé, il l’envoya chez Aristagoras. Celui-ci lui rasa alors la tête une seconde fois, lut le message et les consignes et déclencha les hostilités. Arstagoras connut une fin cruelle puisque lors d’une expédition en Asie Mineure, il fut capturé et crucifié, en 494 av. JC.

Le tabu des religions

Judaïsme, islam, christianisme, toutes les grandes religions monothéistes, pour des raisons diverses, se sont opposées au tatouage, ce qui explique que la pratique a quasiment disparu en Europe jusqu’aux découvertes et aux explorations en Océanie au XVIIIe et au XIXe siècle. 
Dans le judaïsme, le tatouage est interdit (Lévitique 19 :28 : « vous ne devez pas vous faire de tatouage », le commandement divin devant permettre aux Juifs de ne pas faire comme les peuples polythéistes se gravant sur le corps des images de leurs dieux (Deutéronome 14 : 2).
Au Moyen-Âge, l’Eglise catholique a fermement condamné cette ornementation corporelle, considérant que le tatouage était une marque du diable. En 787, le pape Adrien a officiellement interdit le tatouage, décision renforcée un peu plus tard par un texte de Charlemagne, Admonitio generalis. Plus tard, les protestants se fièrent eux aussi à une lecture très rigoriste de la Bible, interdisant le tatouage notamment en Océanie:« Présentez vos corps comme un sacrifice vivant, saint et que Dieu peut approuver : un service sacré que vous offrez en utilisant votre raison » (Romains 12:1).
L’Islam de son côté, qui interdit toute représentation humaine dans les mosquées, prohibe également le tatouage qui, selon le clergé, consiste à altérer la création divine qu’est l’homme. Le tatouage est proscrit, jugé comme étant un acte sataniquequi génère une malédiction divine et qui empêche les ablutions (un interdit contourné par les « tatouages » au henné, simples teintures qu’affectionnent notamment les femmes).
En revanche, hindouisme et bouddhisme sont nettement plus ouverts au tatouage, la pratique concernant également les animistes en Asie.

En Océanie...

Dans le triangle polynésien, les Pascuans, à l’est, étaient porteurs de très nombreux tatouage, les hommes comme les femmes.
Dans le triangle polynésien, les Pascuans, à l’est, étaient porteurs de très nombreux tatouage, les hommes comme les femmes.
En Océanie, le tatouage est une tradition bien ancrée, bien « encrée » oserons-nous écrire. Les Samoans notamment, mais aussi les Pascuans, les Tongiens, les Marquisiens, les Maoris, entre autres, utilisèrent le tatouage comme une pratique d’initiation et d’affirmation de l’individu dans son groupe social, le tatoué marquisien par exemple portant sur lui une véritable carte de visite, une sorte de passeport permettant de connaître sa place dans la société. Les femmes, dans l’Océanie, portaient elles aussi, des tatouages (on pense au moko maori par exemple arboré sur le menton). Nous serons volontiers peu disert sur les tatouages en Polynésie, beaucoup d’ouvrages spécialisés y faisant référence mieux qu’on ne peut le faire en quelques lignes (cf. notre encadré « à lire).

Les Maoris étaient célèbres au XIXe siècle pour leurs tatouages faciaux, les moko.
Les Maoris étaient célèbres au XIXe siècle pour leurs tatouages faciaux, les moko.

Aux Samoa aujourd’hui encore, les hommes trouvent leur place dans la société notamment grâce aux tatouages rituels, une coutume ancienne demeurée bien vivace.
Aux Samoa aujourd’hui encore, les hommes trouvent leur place dans la société notamment grâce aux tatouages rituels, une coutume ancienne demeurée bien vivace.

Au Japon, le tatouage était répandu comme le montre cet ancien cliché datant de 1870. Les yakuzas des mafias portent aujourd’hui un certain nombre de tatouages très reconnaissables (souvent multicolores).
Au Japon, le tatouage était répandu comme le montre cet ancien cliché datant de 1870. Les yakuzas des mafias portent aujourd’hui un certain nombre de tatouages très reconnaissables (souvent multicolores).

À lire

  • Tatouage Polynésien d’hier à aujourd’hui (Teva Sylvain, Cécile Kœssler, Richard Allouch, Ed. Pacific Promotion Tahiti SA).
  • Mau Moko, le monde du tatouage maori (Ngahuia Te Awekotuku et Linda Waimarie Nikora. Ed. Au vent des îles).
  • L’art du tatouage aux îles Marquises (K. Steinen. Ed. Haere Po)
  • Les Marquisiens et leur art. Volume I : le tatouage (Karl von den Steinen. Ed. Au vent des îles).
  • Revue Tribal Tatoo Tahiti Tatu Art (N° 1, 2 er 3)
  • Te Patutiki, dictionnaire du tatouage polynésien des îles Marquises, tome I et II (Teiki Huukena. Ed. Tiki Edition)
  • Le tatouage Samoan. Un rite Polynésien dans l'histoire (Sebastien Galliot et Maurice Godelier. Ed. CNRS)

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 15 Novembre 2019 à 14:11 | Lu 3780 fois