Tahiti Infos

"Aucun Gouvernement n’a autant fait pour la reconnaissance des conséquences des essais nucléaires"


La ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts, réalise une visite officielle en Polynésie française du 17 au 22 février prochains.
La ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts, réalise une visite officielle en Polynésie française du 17 au 22 février prochains.
PAPEETE, 15 février 2017 - La ministre des Outre-mer est attendue en Polynésie française vendredi matin, pour une visite officielle de quatre jours dans la collectivité. Ericka Bareigts a accepté de répondre aux questions de Tahiti Infos, au sujet de dossiers d’actualité, un mois après les sinistres causés par les fortes pluies du 22 janvier et alors que le Parlement vient de supprimer définitivement la notion de "risque négligeable" de la loi Morin. Une réunion de travail est également programmée avec le président Fritch pour finaliser la rédaction de l’Accord de Papeete, à un peu plus de deux mois de l’échéance du mandat présidentiel de François Hollande. Interview.

Aide aux sinistrés

Vous arrivez à Tahiti un mois presque jour pour jour après les fortes pluies du 22 janvier. L’Etat a très vite réagi en débloquant le fonds de secours d'extrême urgence. Des aides supplémentaires ont également été annoncées par votre ministère. Arrivez-vous avec des engagements au sujet de ces dotations complémentaires ?
Nous avons réagi immédiatement pour apporter notre aide aux Polynésiens qui ont été durement touchés par ces intempéries. J’ai, en urgence, mobilisé 200 000 euros (23,8 millions Fcfp : NDLR) pour financer des solutions d’hébergement pour les sinistrés, des opérations de déblaiement, de mise en sécurité des infrastructures, et l’approvisionnement en eau potable de certaines zones. Face aux besoins, j’ai porté cette aide à 300 000 euros (35,8 millions Fcfp : NDLR). J’ai également annoncé ma venue sur place le plus rapidement possible : je me rendrai dans les communes les plus touchées dès vendredi, pour y échanger avec les habitants.
J’ai également décidé d’activer le fonds de secours dans son volet indemnisation. Ce dispositif, indépendant des assurances, pourra indemniser les dommages subis par des biens non assurés ou non assurables des communes et de la collectivité de Polynésie française, des particuliers, des petites entreprises, des agriculteurs ou encore des pisciculteurs. Le haut-commissaire instruira les dossiers dans les six mois, avec l’objectif d’une indemnisation la plus rapide possible pour que les sinistrés puissent reprendre le cours normal de leurs activités. Nous examinerons à la fin de ce processus d’indemnisation si des besoins persistent. Si tel était le cas, nous pourrions envisager la mobilisation d’autres outils. Mais la priorité, pour l’instant, est de pouvoir procéder aux indemnisations, le plus rapidement possible.

Si l’Etat a vite réagi suite à cette catastrophe, des voix se sont élevées en Polynésie pour critiquer la faiblesse des aides d’urgence accordées jusqu’à présent. Comprenez-vous ces critiques ?
Je voudrais clarifier les choses. Les 300 000 euros dont nous parlons sont des crédits d’urgence : ils ont été mobilisés tout de suite et ont financé les opérations les plus urgentes de mise en sécurité des populations. Comme je l’ai indiqué, des indemnisations auront lieu dans un second temps, sur la base des dossiers transmis au Haut-commissariat. L’Etat a donc mobilisé tous les moyens nécessaires pour faire face à la situation, et j’ai suivi personnellement leur mise en œuvre.

Indemnisation des victimes du nucléaire

Dans la loi "Egalité réelle", le compromis adopté le 9 février sur proposition du gouvernement, en contrepartie de la suppression de la notion de risque négligeable de la loi Morin, est la création d’une commission de suivi chargée de proposer "les mesures destinées à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires". Pouvez-vous nous expliquer ce que vous redoutiez en l’absence d’une telle commission ?
D’abord, avec le vote de la loi Egalité réelle, nous avons franchi une étape historique pour la reconnaissance des victimes des essais nucléaires avec l’inscription de la suppression du risque négligeable. Ensuite, rien n’aurait été possible sans l’engagement du Président de la République, qui s’était exprimé ici-même, en février 2016. Aucun Gouvernement n’a autant fait pour la reconnaissance des conséquences des essais nucléaires sur la population polynésienne et sur le territoire.
L’action du Gouvernement a été guidée par le principe de justice pour assurer la réparation que la solidarité nationale doit prendre en charge. L’action de la commission poursuivra le même objectif : elle sera chargée de veiller à ce les indemnisations soient réservées aux victimes qui ont été exposées aux essais nucléaires. Elle évaluera la mise en œuvre du nouveau dispositif, pour qu’il bénéficie au mieux aux victimes.
Avec cette mesure, c’est une nouvelle page qui s’ouvre dans la relation avec la Polynésie française, en construisant une mémoire apaisée et juste du "fait nucléaire".

Les associations anti-nucléaires analysent cette disposition comme un nouveau moyen dilatoire, pour retarder les indemnisations. Que leur répondez-vous ?
Comme je l’indiquais, nous poursuivons un objectif de justice. Il faut donc veiller à ce que le régime bénéficie aux victimes directement concernées. Ce sera le rôle de la commission. J’ajoute qu’elle sera composée pour moitié de représentants du Parlement, ce qui est un gage de contrôle démocratique. Je veux donc rassurer les associations.

Contribution au service public de l'électricité (CSPE)

En octobre 2016, Paris avait répondu à la demande des parlementaires polynésiens que "l'application de la contribution au service public de l'électricité se heurtait à la répartition des compétences entre l'État et les territoires de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française" ; mais que des analyses complémentaires étaient en cours pour examiner d'autres possibilités d'application à la Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Un rapport a été réalisé à ce titre, mais non encore rendu public. Que précise-t-il ?
Effectivement, ce rapport conclut qu’au vu des compétences du territoire, une extension partielle de la Contribution au Service Public de l’Energie n’est juridiquement pas envisageable. Mais il souligne que le territoire pourrait tout à fait mettre en place un mécanisme similaire à celui de l’Hexagone. Ce dispositif, à la main du Pays, pourrait notamment financer le développement des énergies renouvelables pour la production électricité et les actions de maîtrise de la demande d’énergie, tout en garantissant des tarifs de vente identiques pour tous les Polynésiens.
Le rapport propose également que cet effort soit accompagné par l’Etat au travers de la signature d’un contrat de partenariat pour promouvoir les énergies décarbonnées, qui pourrait comprendre trois volets. Un premier pour le financement des projets de production en mobilisant le Fonds de financement de la transition énergétique. Un autre pour l’assistance technique sur des enjeux comme le raccordement des énergies renouvelables, la promotion des smarts grids ou le stockage. Enfin, un dernier sur l’association de la Polynésie française aux négociations internationales sur le climat.

Pensez-vous que la collectivité d’outre-mer polynésienne bénéficiera un jour du soutien de l’Etat au titre de la CSPE, à l’instar de Wallis-et-Futuna ?
Comme je viens de l’indiquer, cela n’est pas possible juridiquement dans la mesure où la compétence énergie est dévolue sans ambigüité à la Polynésie française.

Accord de Papeete

Lors de votre séjour à Tahiti, une séance de travail doit avoir lieu au sujet de l’accord-cadre dit de Papeete, "pour le développement de la Polynésie française dans la République", selon les termes de François Hollande. Que devra nécessairement contenir le texte de cet accord, selon vous ?
Le Président de la République lors de son déplacement ici il y a un an, avait souhaité que l’on puisse travailler ensemble à cet accord. Il constituera la base du partenariat entre la Polynésie et l’Etat pour les prochaines années. Il rappelle les engagements mutuels de l’Etat et du Pays au service du développement de la Polynésie française, sans négliger aucune dimension.
Tous les grands défis de la Polynésie française seront évoqués : le changement climatique, le développement économique, le désenclavement… Nous souhaitons que cet accord puisse inscrire l’accompagnement de l’Etat dans la durée.

Vous êtes en possession depuis novembre dernier d’une proposition d’accord faite par le gouvernement Fritch. Des arbitrages sont encore en cours à Paris. Qu’est-ce qui ne convient pas dans la proposition polynésienne ?
Des échanges ont lieu depuis octobre sur ce sujet. L’accord de Papeete porte des avancées et les fondements de notre partenariat dans de nombreux domaines. Nous avons voulu prendre le temps de la concertation avec tous les ministères concernés pour sécuriser au mieux l’accord.

Pensez-vous qu’il sera donné à François Hollande de le ratifier avant la fin de son mandat présidentiel ?
Je le souhaite et nous faisons tout pour cela ! Ce nouveau pacte avec la Polynésie française, c’est l’aboutissement d’une démarche ambitieuse qui doit poser les fondations d’un véritable partenariat pour les prochaines années.

Rédigé par Propos recueillis par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 16 Février 2017 à 05:00 | Lu 1754 fois