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Anuanuraro : nouvelle peine d’inéligibilité requise contre Flosse en appel


PAPEETE, 15 juin 2016 - Une forte peine d’inéligibilité est requise contre Gaston Flosse à l’issue du procès en appel de l’affaire Anuanuraro. La cour s’est de nouveau intéressée mercredi aux conditions de l’acquisition par la Polynésie française en 2002 de cet atoll cédé par Robert Wan à une époque où ses affaires étaient au plus mal.

Le tribunal correctionnel avait considéré en septembre 2014 que, si le mobile de la vente était établi, il ne constituait pas un "élément constitutif de l'infraction" de complicité de soustraction de bien public et avait prononcé une relaxe générale en première instance. Le parquet avait fait appel de ce jugement concernant Gaston Flosse et Robert Wan. Mercredi, au terme d’un procès en appel qui aura pris une matinée d’instruction à l’audience, l’avocat général a requis 18 mois de prison avec sursis et 5 ans d’inéligibilité contre Gaston Flosse. Brigitte Angibaud demande à la cour de requalifier les faits reprochés à l'ancien président polynésien en détournement de fonds publics. Un an avec sursis et une amende "conséquente" sont demandés à l’encontre de l’homme d’affaires Robert Wan, pour recel de détournement de fonds publics. La cour rendra son arrêt le 20 octobre prochain.

La cour s’est de nouveau intéressée aux conditions qui ont conduit la collectivité à acquérir sans réel dessein, si ce n’est de "constituer une réserve foncière", le 10 avril 2002, l’atoll de 260 hectares d’Anuanuraro, à 650 km de Tahiti, aux Gambier. Acheté pour 850 millions Fcfp à la société Anuanuraro Pearl Island Resort détenue par Robert Wan, ce bien avait fait l’objet d’une évaluation près de 6 fois inférieure (150 millions), quatre mois plus tôt, le 18 décembre 2001, par Direction des affaires foncières. Huit jours plus tard cependant, le 26 décembre 2001, la commission d'évaluations immobilières avait donné son avis favorable sur une seconde évaluation à 763 millions Fcfp, faite par la DAF à la lueur d’une expertise à 1,05 milliard diligentée par l’agent immobilier Henri Bontant, expert près le tribunal et ami de Robert Wan. En janvier 2002, une offre d’achat avait été acceptée en ce sens par l’homme d’affaires avant qu’il ne revienne quelques jours plus tard sur sa décision en demandant finalement 850 millions Fcfp. C’est à ce prix que l’atoll a été acquis en avril 2002 après que le Conseil des ministres en ait délibéré lors de sa séance du 13 mars précédent. La collectivité allant jusqu’à offrir une majoration de 13,6 millions Fcfp d’intérêts moratoires, compte tenu d’un paiement échelonné sur les exercices 2002 et 2003, faute de liquidités suffisantes.

Gaston Flosse : "auteur intellectuel de cette mascarade"

La justice a reconnu en première instance que cette vente avait été faite dans le plus strict respect de la procédure réglementaire en vigueur à l’époque : la décision d’acquérir l’atoll était issue d’une délibération du Conseil des ministres, compétent en la matière ; elle s'était appuyée sur une procédure administrative régulière ; la collectivité avait utilisé une ligne budgétaire dédiée à l’acquisition de réserves foncières. "Une pantalonnade", dénonce aujourd'hui le ministère public.

Pour l’accusation, l’enjeu de ce procès en appel est en effet d’établir qu'il existe à l’encontre de Gaston Flosse dans ce dossier des éléments matériels constitutifs de l’intention de commettre l’infraction de détournement de fonds publics. L’avocat général Brigitte Angibaud l’a rappelée à propos du leader autonomiste et de Robert Wan : il s’agit de "deux hommes qui sont amis, qui se rendaient des services réciproques. Ce dossier ne peut pas être appréhendé en faisant abstraction de ce fait". Pour elle, cette affaire est à considérer dans un "entre soi où les intérêts de la collectivité n’ont que peu de place". Et d’insister : "Gaston Flosse a rendu un service à son ami, non sur ses propres fonds, ce qui aurait été louable mais sur les deniers de la collectivité, ce qui constitue le détournement". L’ancien président est décrit comme "un homme politique qui règne sans partage sur la Polynésie française et dont l’influence est au zénith" à l’époque des faits. Aussi Gaston Flosse est-il présenté à la cour comme l’"auteur intellectuel de cette mascarade".

Pour maître Quinquis, la cour est dans l’incapacité de requalifier les faits de complicité pour faire de Gaston Flosse l’auteur principal : "En réalité, on nous reproche d’avoir procédé par voie d’instigation pour commettre une infraction. Or le nouveau code pénal n’érige pas encore l’instigation en troisième type de participation à une infraction. En fait il n’y a strictement aucun détournement de fonds, sauf pour le juge à interférer dans les choix politiques. Le Conseil des ministres a décidé d’acquérir un atoll après une procédure administrative qui en a déterminé le prix. Rien, ni le haut-commissaire chargé du contrôle de la légalité, rien ne s’opposait à cette transaction qui concerne une réserve foncière que le Pays a parfaitement la possibilité de constituer. Le tribunal correctionnel n’a pas dit autre chose. Je ne vois pas comment aujourd’hui la cour pourrait venir dire le contraire".

La cour a mis sa décision en délibéré pour quatre mois. Réponse le 20 octobre 2016.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 15 Juin 2016 à 17:20 | Lu 3213 fois