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Agriculture durable : l'aquaponie fait des émules à Tahiti


Teanuanua nous présente l'un des poissons dont les déchets alimentent ses salades.
Teanuanua nous présente l'un des poissons dont les déchets alimentent ses salades.
HITIA'A, le 12 juin 2017 - Teanuanua a créé sa première ferme aquaponique à Tahiti il y a 5 ans, après de longues années d'études, d'essais et d'erreurs. Cette technique inspirée de la permaculture, de l'hydroponie et de l'aquaculture permet d'élever des poissons et de faire pousser des plantes sans engrais ni pesticides. Il partage désormais ses connaissances et techniques avec les agriculteurs et amateurs intéressés.

Teanuanua est le spécialiste local de l'aquaponie, un mélange d'aquaculture et d'hydroponie. Après trois ans d'études de biologie en Australie, puis cinq ans pour apprendre sur le tas en créant ses premières installations aquaponiques, il a désormais toute une ferme opérationnelle et multiplie les installations chez les particuliers et les professionnels avec son entreprise Rima Ninamu.

Il partage également ses connaissances avec la prochaine génération. Justement, il vient de terminer une formation de cinq semaines, où 9 stagiaires ont acquis toutes les techniques de l'aquaponie. Ils ont assisté à l'évolution des culture, ont fait les semis, les transferts des plantes, assisté à toute la production en plein champ (agriculture bio) et en hors-sol (hydroponie)…

>> La page Facebook de Rima Ninamu

Ces stagiaires sont divisés entre les agriculteurs professionnels qui rêvent de reconversion, les aspirants agriculteurs qui veulent partir sur un bon pied et des particuliers bricoleurs à la main verte qui créent de petites installations artisanales. Tous sont d'accord sur une chose après avoir terminé : le chemin est semé d’embûches, mais il en vaut la peine. Car le système a un rendement particulièrement élevé tout en ne produisant que de la nourriture sans pesticide et sans engrais artificiels (on ne dit "bio" que pour de la culture en plein champ). Un agriculteur nous le confirme : "l'aquaponie, c'est clairement une solution d'avenir."


Les stagiaires ont terminé leur formation avec des projets plein la tête.
Les stagiaires ont terminé leur formation avec des projets plein la tête.

Teanuanua Teriipaia-Rentier
"Cette unité produit quarante salades à la semaine"

Tu es le fondateur d'une entreprise spécialiste de l'aquaponie ?

L'entreprise s'appelle Rima Ninamu, la main bleue. Nous installons des unité aquaponiques construites sur mesure, prêtes à l'emploi. Nous faisons aussi de la formation. L'aquaponie c'est le mariage entre l'aquaculture, l'élevage de poissons, et la culture hors-sol, l'hydroponie. Une fois mariés ça fait un joli enfant qui s’appelle aquaponie !

Nous sommes dans ton installation, tu peux nous la présenter ?
Là nous avons environ 320 poissons dans les deux bacs. On les nourrit quotidiennement avec des aliments riches en protéines. Il y a un filtre qui permet de capturer les éléments solides en suspension dans l'eau, puis il y a un filtre très important, un filtre biologique qui contient les bactéries responsables du cycle de l'azote. Elles convertissent l’ammoniaque toxique contenu dans les déchets de poissons en nitrites, et ces nitrites sont convertis en nitrates. Les plantes utilisent ces nitrates comme nourriture pour alimenter leur croissance. Toute l'eau filtrée alimente la culture hydroponique et le champ bio à côté, et la nourrit avec ces nutriments. On utilise aussi un lombri-compost. C'est une boite à compost où les lombrics se nourrissent de déchets verts, ce qui permet de créer un engrais naturel liquide appelé "worm tea" qui est riche en oligo-éléments, en potassium, en phosphore et encore en nitrates. Ça nourrit aussi les bactéries, c'est un des meilleurs engrais qui existe, et c'est gratuit ! Là il y a 160 salades alimentées par le double de poissons. Et en complément, on peut même manger nos poissons !

Quel est l'intérêt de ce système par rapport à une culture dans le sol classique ?
L'intérêt c'est une plus grande productivité avec un rendement plus élevé. Là les salades poussent trois semaines en nurcerie et quatre semaines en croissance. Donc en sept semaines, les graines de salades sont devenues des salades prêtes à la vente. En conventionnel il faudrait 10 à 12 semaines selon les variétés, avec les pesticides et engrais chimiques qui vont avec. Cette unité-là produit à peu près quarante salades à la semaine.

Combien ça coûte de créer une installation aquaponique ?
Une unité varie de 90 000 francs pour une petite installation prête à l'emploi, et jusqu'à plusieurs centaines de milliers de francs, ça dépend de l'objectif de production. On dimensionne avec le nombre de légumes que tu veux par semaines.

Comment gérez-vous les ravageurs et les maladies sans pesticides ?
Pour les ravageurs on utilise essentiellement du savon soir et de l'huile essentielle d'oranges douces. Après, on varie les cultures pour éviter une densité importante d'une même culture, ça évite d'attirer des grosses populations de ravageurs. C'est une approche plus "permaculture" de la gestion des ravageurs, parce que l'aquaponie c'est de la permaculture, on utilise des acteurs vivants pour faire pousser les plantes. Les bonnes bactéries utilisées pour le cycle de l'azote aident aussi à lutter contre les bactéries pathogènes qui attaquent les plantes. En utilisant ces bactéries on crée un système plus stable, et il y a moins de place pour les mauvaises bactéries.

Il y a aussi un champ bio ici.
Effectivement, là on fait du plein champ qu'on arrose avec l'eau des poissons et le lombri-compost. Il n'y a aucun engrais ou pesticides chimiques. On a là aussi l'approche permaculture, avec des plate-bandes florales pour recruter ou éloigner les insectes. Le mot-clé c'est "diversité", on alterne les cultures, par exemple on ne met pas que des tomates, là il y a aussi des poivrons, du choux, des oignons blancs, des courgettes des aubergines, du basilique… Ça créer un système plus stable, qui n'attire pas de grandes populations d'un seul type de ravageur. Il y a une vraie complémentarité entre tous ces acteurs vivants. Là par exemple pour lutter contre l'aleurode, qui ravage les tomates, on utilise des œillets d'Inde, ces petites fleurs oranges.


Ken Lin, agriculteur à Taravao
"Je pense que d'ici quelques années il n'y aura plus d'agriculture conventionnelle"
Pourquoi participer à cette formation sur l'aquaponie ?

Je travaille dans la ferme familiale, c'est de l'agriculture conventionnelle. Aujourd'hui j'aimerai me tourner vers quelque chose de beaucoup plus propre. Les gens font beaucoup plus attention à ce qu'ils mangent, la demande augmente pour l'agriculture biologique ou raisonnée… Alors autant commencer à changer dès maintenant. En plus de ça, nous voulons aussi faire plus attention à nous, à nos travailleurs qui traitent. On essaie de les protéger au maximum, les former aux dosages. Mais ce sera plus simple sans aucun pesticide…

Est-ce que ces connaissances sur l'aquaponie vont être rentabilisées ?
Et bien, avec l'aquaponie, mais aussi avec l'agriculture bio et la permaculture, on est sur une meilleure gestion du travail, la production et les prix de vente sont plus élevées. Et bien sûr on fera des économies sur les produits de traitement, parce qu'on n'en utilisera plus, ou alors ce seront des produits certifiés bio utilisés au cas par cas.

Tu crois que ce sera la meilleure solution au long terme ?
Je pense que d'ici quelques années il n'y aura plus d'agriculture conventionnelle, c'est presque sur. Mais je pense qu'il faudra au moins cinq à dix ans pour convertir une exploitation comme la notre à ces nouvelles techniques, donc je préfère commencer jeune. Là j'ai 22 ans, mais j'espère que d'ici ma trentaine j'aurai réussi et j'aurai quelque chose de mieux pour l'avenir.

Les 9 stagiaires et l'équipe de Rima Ninamu
Les 9 stagiaires et l'équipe de Rima Ninamu
Remarque : L'aquaponie ne doit pas être confondue avec l'aqua-poney, un sport récemment créé en France.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 12 Juin 2017 à 19:35 | Lu 17128 fois