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Affaire Pouvana'a : ces doutes qui plaident en faveur d'une révision


Affaire Pouvana'a : ces doutes qui plaident en faveur d'une révision
PAPEETE, 19 décembre 2017 - L'affaire Pouvana'a a Oopa sera instruite par la chambre criminelle de révision des condamnations pénales avant fin 2018. Un point sur les éléments historiques inconnus des magistrats et des jurés lors du procès Pouvana'a, en octobre 1959.

La commission de révision et de réexamen des condamnations pénales a renvoyé lundi à Paris le dossier Pouvana’a a Oopa devant la chambre criminelle de révision des condamnations pénales, après 3 ans et demi d’instruction.

Une enquête a été conduite à Tahiti où un juge d’instruction de Papeete a été saisi en 2015 par commission rogatoire pour effectuer un certain nombre de diligences, confiées à la section de recherches de la gendarmerie.

Surtout, des éléments historiques aujourd’hui mis en évidence par le rapport de la commission d’enquête de l’assemblée de la Polynésie française en 2012, grâce à une recherche confiée à Jean-Marc Regnault sur des fonds d’archives jusqu’alors classés "secret défense" permettent d'éclairer avec une lumière nouvelle les événements qui ont conduit à l'arrestation de Pouvana'a a Oopa, puis son procès et sa condamnation à l'exil, l'année suivante.

A l'issue d'un procès expéditif instruit à Tahiti, accusé d’avoir voulu provoquer l'incendie de Papeete en 1958 par fourniture de moyen, aide et assistance, détention d'armes à feu et de munitions sans autorisation, le député Pouvana'a avait été condamné en octobre 1959 à 36000 Fcfp d'amende, huit ans de prison et 15 ans d'exil puis déchu de son mandat de député en 1960. Le metua s'est battu toute sa vie pour être réhabilité.

Ce qui était inconnu du grand public à l'époque du procès

Pour Jean-Marc Regnault, "une révision ne se justifie que si des faits nouveaux sont avérés. Aujourd’hui, il n’en manque pas". Comme il l'expose dans l'ouvrage Pouvana'a et De Gaulle, la candeur et la grandeur, publié en octobre 2016, le problème de la révision se résume à cette question, pour l'historien : Comment auraient réagi les juges (ou au moins les jurés) s’ils avaient connu les éléments que voici résumés ? :

- La réunion du Conseil de Cabinet du 7 octobre 1958 qui se termina par ces phrases : "impossibilité de maintenir en place un Vice-président se comportant comme il le fait, mais […] il est impossible d’attendre le délai [légal]",
- les télégrammes de septembre et octobre 1958 donnant quasiment l’ordre au gouverneur de mettre Pouvanaa hors d’état de nuire aux intérêts de la France,
- les courriers envoyés par le gouverneur Sicaud et les rapports de l’armée qui condamnaient Pouvanaa avant de l’avoir jugé,
- la correspondance de Jacques Foccart dont il ressort qu’il dirigeait l’opération contre le député,
- les correspondances échangées entre le gouverneur et le ministre de la FOM pour tenter de déterminer où Pouvanaa serait le plus sévèrement condamné,
- la note du chef de cabinet d’Edmond Michelet qui estimait que "le dossier est vide" ce que sembla également admettre le ministre de la FOM puisque, selon lui, un jugement en métropole aurait abouti à un acquittement,
- s’ils avaient su que le président Bonneau et le procureur avaient eu de graves différends avec le député,
- s’ils avaient eu connaissance des pressions exercées par le pouvoir politique et l’Administration sur le cours de la Justice,
- s’ils avaient su que le capitaine Bouvet chargé de l’arrestation de Pouvanaa avait, certes, fait son devoir, mais que sa conviction profonde ne devait pas être de croire dans les reproches adressés au député,
- s’ils avaient su que F. Fourcade et J-B. Céran-Jérusalémy avaient mis en doute que des Tahitiens aient pu se livrer aux tentatives d’incendie telles que l’accusation les présentait,
- s’ils avaient pu entendre des témoins à décharge,
- s’ils avaient eu connaissance du rapport de J. Bruneau qui expliquait le but de sa mission,
- s’ils avaient eu connaissance de la mise en place de cellules d’action psychologique par le gouverneur et par l’armée, dans le but affiché de créer un climat politique défavorable aux accusés,
- s’ils avaient pu prendre conscience que l’organisation judiciaire et les pratiques des magistrats ne garantissaient pas les droits des accusés,
- s’ils avaient pu prendre conscience que le droit était bafoué puisque le président de la Chambre des mises en accusation était la même personne qui présida la Cour criminelle,
- s’ils avaient eu connaissance de la politisation extrême de l’affaire,
- s’ils avaient pu percevoir que le procès n’était que le prélude à l’utilisation de la Polynésie comme centre d’essais nucléaires ?

"Les jurés auraient-ils accepté d’être des "pions" au service d’une volonté politique ? Les avocats de la défense, montrant certaines de ces pièces au procès n’auraient-ils pas inversé le cours donné par le président Bonneau ?", questionne Jean-Marc Regnault. "Au moins, n’auraient-ils pas fait prévaloir que le doute doit bénéficier à l’accusé ?"

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 19 Décembre 2017 à 15:14 | Lu 1959 fois