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2ème journée colloque à l’ISEPP : des mots pour le dire…


2ème journée colloque à l’ISEPP : des mots pour le dire…
Ce mercredi matin, l’identité sexuée était le fil conducteur des interventions de l’ethnologue Serge Tcherkezoff et John Mairai, linguiste reconnu en Polynésie française. L’un a surtout développé l’asymétrie qui existe aux îles Samoa, entre les « garçons-comme-des-filles » et les « filles-comme-des-garçons », notamment par la question : peut-on être « Tom-boy » (garçon manqué par exemple). Tout en restant dans le domaine des mots, John Mairai a clairement défini sa vision sur la traduction du mot « Homosexuel » en langue tahitienne. Ce dernier a d’ailleurs entrepris un véritable travail avec le comité linguistique sanito « Teni Pioi » qu’il préside.

Le premier sujet abordé était « pour une épistémologie du désir : à propos de la catégorie problématique du « troisième sexe » présenté par Serge Tcherkezoff, en remplacement de la chercheuse du CNRS, Françoise Douaire laquelle n’a pu être présente ce matin. Son exposé a mis en évidence une certaine crise « identitaire » de l’ensemble des catégories sexuées qui a commencé il y a plus de 40 ans. Jusque-là, on connaissait surtout le contexte « homme-homme » et « femme-femme », mais désormais il éxiste ce que certains ont nommé « le troisième genre » (third gender en anglais), c’est-à-dire « homme-comme-une-femme » et inversement. Une notion qu’il faut toutefois prendre, selon la spécialiste, avec des « pincettes ».

Pour cela, prenons le cas polynésien, en l’occurrence le cas tongien (qui se réfère pourtant à la définition du mahu tahitien). En clair, ce sont biologiquement des hommes mais qui se comportent de manière complètement féminine. Dans ces îles, on nomme le 3ème garçon, fa’afafine.( car il est élevé à la manière d’une fille).

Il se trouve que ce genre est trouvé dans les familles nombreuses. Selon Serge tcherkezoff, il se peut que certaines de ces familles, se disent peut-être un jour : « tiens, il nous faudrait peut-être une autre fille dans la famille. » mais ce cas ne serait une règle. Il reste toutefois la problématique de la terminologie, quel terme adopter ? tant il vrai qu’il existe une réelle difficulté sur le choix d’une expression à utiliser lors de la rédaction d’articles comparatifs « on est vite limité. ». Cependant, la terminologie « non hétéro normative » semblerait être « ce que l’on a de mieux. » continuait d’expliquer Serge Tcherkezoff.
L’autre mot qui est « transgenre » a un inconvénient puisqu’il incite souvent à penser en terme de catégorie de genre et à la transformation. « Chaque fois que l’on utilisera ce terme transgenre, il faut mettre des guillemets ».

Selon la société et la région, la signification et les modalités de classification change radicalement. L’exemple de la tribu des Inouit en est la démonstration. Dans ces communautés isolées, les croyances imposent qu’un nouveau né peut changer de sexe ( ils croient que l’enfant né avec un sexe qui n’était pas celui qu’il avait dans le ventre de sa mère)

Le terme « socialisation inversée » s’applique aux coutumes « de sexualisation » des inouit. Toujours d’après leurs croyances, le chevauchement de la frontière des sexes est associé à l’attribution du nom d’un ascendant décédé récemment. Si une fille reçoit le nom d’une grand père qui vient de décéder, ses parents peuvent l’habiller en habit d’homme ( puisqu’elle porte le nom d’un homme) mais à l’âge de l’adolescence, elle revêtira des habits de fille. Il en est de même pour les garçons.

Sans transition, Serge Tcherzekoff a enchaîné avec l’ambiguité du terme « Tom-boy », ou plutôt de l’asymétrie qui régne entre ceux que l’on nomme « garçons-comme-des-filles » et les « filles-comme-des-garçons ». Selon l’ethnologue, la première catégorie peut s’insérer plus aisément dans la société. D’ailleurs, ils sont socialement reconnus. En revanche, la seconde catégorie subit encore l’ostracisme, voire la rejet total de la société comme cela est visible aux Samoa. Aucun père samoan ne favorise ce genre de glissement des genres, même s’il arrive que cela soit accepté par d’autres membres de la famille, parfois éloignée.

Le « tom boy » subit les remarques les plus désobligeantes et ne trouvera aucun encouragement ni soutien de la part des membres de sa familles, y compris de ceux qui ont changé d’orientation comme les fa’afafine, c’est-à-dire les éfféminés. La fille tom boy, se voit comme fille, aura des rencontres sexuelles avec des garçons. Elle se fera avoir, mais ne recherche pas forcément l’acte. Mais dans le cas où celle-ci tomberait enceinte, cela sera synonyme d’exclusion d’office. Les parents samoan n’aiment pas les « tom boy » et disent parfois « quoi, elle est enceinte ? donc, elle faisait semblant. Elle nous a trompé alors ? » entraînant ainsi des problèmes.

A Tahiti, tout cela est permis alors qu’aux samoa, ce n’est pas le cas. Sur Internet, on trouvait rarement l’expression tom boy aux samoa, alors qu’aujourd’hui, ça évolue (grâce notamment aux samoan expatriés aux usa par exemple) la parole s’est libérée.La sexualité n’est pas mise en scène aux samoa. Pour l’instant, le sujet des « Tom Boy » reste encore tabou.

Enfin, peut-être une expression pour désigner « homosexuel » en tahitien

John Mairai, que l’on ne présente plus, a capté l’attention de l’auditoire dont la moitié des personnes présentes attendaient ce moment. Avec son humour habituel et sa gentillesse, l’homme aux « multiples talents » a su exposer la problématique de la traduction du mot « homosexuel » en reo mā’ohi.
Jusque-là, la conscience population a, peut-être à tort, adopté les mots « raerae », « māhū », voire aussi « Pētea » pour désigner ce troisième genre ( ou trans-genre, selon les interprétations). Mais le linguiste a démontré à sa manière et ses mots qu’il existerait un terme créé par l’Eglise Sanito, qui serait : homo ‘apeni, une traduction interne, certes, mais qui devrait être officialisée par l’Eglise elle-même. « Mais ce n’est qu’une question de temps » selon John Mairai.

Mais cette expression n’est pas sorti d’un chapeau pa’umotu ou d’un ‘ō’ini (panier en palmes de cocotiers). Il aura fallau repartir dans le passé, grâce notamment aux différents dictionnaires rédigés par des pasteurs tels que John Davies. Comme ce dernier, la plupart des expressions répertoriées reflètent effectivement un aspect « contre nature » du comportement d’un homme attiré par un individu du même sexe. Voici quelques exemples de termes de l’époque : Aipa’i = sodomy, to commit sodomy ou encore Pā’i’a = sodomy.

Pour John Mairai « …C’est comme si que pour ces pasteurs, tous ces mots désignaient les homosexuels ( comme aipa'i ou pā’i’a ) comme māhū qui veut dire efféminé ( mais homosexuel) pareil pour raerae. Mais un māhū, c’ était un homme reconnu pour être un éfféminé, avec un statut de femme, mais commerçant sexuellement avec les hommes. » expliquait-t-il.

A l’époque du roi Pōmare II, le pasteur anglais Crook a été témoin d’une scène insolite( ça l’était en tout cas, pour l’époque) où le souverain s’occupait d’un māhū. « Le roi avait son māhū attitré). Autre exemple, la capitaine William Bligh a eu l’occasion d’assister à l’habillement d’un māhū lequel repliait son sexe vers l’arrière afin de demeurer « aussi plate » qu’une femme.

Ajouté à cela, des « noms d’oiseaux » auxquelles les polynésiens ont souvent fait référence comme l’oiseau (manu), le poulet (moa) ou encore le milan (rae). Les homosexuels ont été comparés aux actions des oiseaux cités. En effet, à l’époque, certains d’entre eux avaient été introduits sur le fenua afin d’éliminer les rats, ou autres parasites. Seulement, les instigateurs de ces projets ne pouvaient pas prévoir ce qui allaient se passer. Certains oiseaux ont fini par manger….les goyaves (au lieu des rats) et les poulets. Cela a permis, à certains, de comparer ces nouveaux « envahisseurs » aux homosexuels d’où par exemple la phrase : manu (oiseau)-‘amu(mangeur de)-moa(ici, voudrait dire, non pas « poulet », mais plutôt « sexe »).

Le mot, plus connu, raerae, viendrait également du nom du Milan appelé rae en tahitien et qui était comparé à un mangeur de pénis. Le mot à tout simplement été répété, comme cela est souvent constaté dans la langue mā’ohi (exemple : ‘amu devient donc ‘amu’amu). Ainsi donc, rae est tout naturellement devenu raerae.

Seulement, il existe une distinction précise entre le māhū et le raerae. Le premier est un statut reconnu au sein de la société polynésienne, mais pas pour le second. Malgré tout, partir des années 60, les raerae ont été associés à la vie nocturne de Papeete jusqu’à devenir une communauté en expansion géométrique, « voire atomique » (pour reprendre la formulation de l’auteur), reconnue pour ses réseaux de recrutement et de prostitution.
C’est donc fort de tous ces éléments que le groupe Teni Pioi, présidé par John Mairai en personne, s’est penchée sur la recherche d’une expression compatible avec le genre concerné.

Selon John, ni mahu ou raerae ne pourrait désigner un homme attiré par un autre homme. La solution serait l’utilisation des deux radicaux : homos et sexus – comme ça a souvent été le cas dans le tahitien lorsqu’il fallait traduire un mot en particulier. Ainsi, après une vingtaine d’heure de délibération au sein du groupe de réflexion religieuse, le mot homo’apeni a fini par être adopté.

A l’heure où l’article est mis en ligne (13h43), le colloque se poursuit avec l’intervention de Niko Besnier, anthropologue de l’Université d’Amsterdam sur le thème des pratiques genrées et sexualités transgressives.

TP

Rédigé par TP le Mercredi 25 Septembre 2013 à 13:46 | Lu 927 fois