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1787 : Fleuriot de Langle massacré aux Samoa


C’est à coups de casse-tête et sous une grêle de pierres que les hommes entourant Fleuriot de Langle trouvèrent la mort le 11 décembre 1787. Le capitaine de L’Astrolabe n’avait que 43 ans.
C’est à coups de casse-tête et sous une grêle de pierres que les hommes entourant Fleuriot de Langle trouvèrent la mort le 11 décembre 1787. Le capitaine de L’Astrolabe n’avait que 43 ans.
Tahiti, le 13 août 2021 - On ne compte plus le nombre de marins tués par des indigènes lors de la longue exploration du Pacifique, mais il en est quelques-uns dont le décès eut des conséquences bien plus tragiques que leur seule mort. Le massacre de Paul Fleuriot de Langle et de onze autres de ses compagnons, aux îles Samoa le 11 décembre 1787, est sans doute l’un des épisodes qui eut le plus de retentissement car non seulement de Langle fut tué pour quelques inutiles barriques d’eau douce, mais en outre, sa disparition précipita la fin de l’expédition de La Pérouse sur les récifs de Vanikoro en 1788. Retour sur une tragédie qui eut pu être évitée...
 
Au XVIIIe siècle, le pire ennemi des marins n’était pas l’hostilité des indigènes, la faim ou la soif, mais un mal bien plus pernicieux, le scorbut. Sans nourriture contenant de la vitamine C (acide ascorbique), les équipages tombaient malades et finissaient par mourir dans de terribles souffrances, sans que personne ne pût soupçonner les raisons de ces hécatombes à répétition. 

Air malsain et eau des futailles 
 
Seuls des fruits et des légumes frais pouvaient permettre de maintenir en bonne santé des marins, mais à l’époque (en 1787), on pensait généralement que c’était l’air malsain des cales où s’entassaient les marins qui était responsable de cette affection. 
D’autres, dont le capitaine James Cook et Paul Fleuriot de Langle, estimaient que c’était le manque de fraîcheur de l’eau douce des futailles, à bord de leurs navires, qui générait cette affection. 

Pourtant, bien avant la fin du XVIIIe siècle, on savait que l’apport en fruits frais, essentiellement des agrumes (oranges, citrons...) permettait d’éviter la maladie. Dès 1604, l'explorateur François Martin explique, dans sa Description du premier voyage fait aux Indes orientales, qu’“il n'y a rien meilleur pour se préserver de cette maladie que de prendre souvent du jus de citron ou d'orange, ou manger souvent du fruit, ou bien faudra faire provision des sirops de limon, d'oseille, d'épine-vinette, d'une herbe appelée coclearia, qui semble porter en soi le vrai antidote, et en user souvent”

La France avait commémoré par un timbre et une enveloppe premier jour les deux bateaux de l’expédition, L’Astrolabe et La Boussole.
La France avait commémoré par un timbre et une enveloppe premier jour les deux bateaux de l’expédition, L’Astrolabe et La Boussole.
La Pérouse et de Langle pas d’accord
 
Oui mais voilà, la science, la médecine en particulier était loin à cette époque d’avancer à pas de géant et l’empirisme était souvent préféré à tout autre procédé. C’est ainsi que lors de l’expédition de La Pérouse, les équipages des deux navires, L’Astrolabe et La Boussole, souffrirent de manière grave du scorbut.

Jean-François de La Pérouse, chef de l’expédition qui porta très vite son nom, était persuadé que la maladie n’avait rien à voir avec la qualité de l’eau de ses barriques, même s’il ne niait pas que dans celles-ci, des tonneaux en bois, la conservation d’une eau de qualité relevait effectivement de la gageure. Mais de là à perdre son temps à faire des aiguades à tout bout de champ, il y avait un pas qu’il se refusait à franchir. 

Capitaine de la frégate L’Astrolabe, Paul Fleuriot de Langle, un ami très proche de La Pérouse (ils avaient, entre autres, participé ensemble à la guerre d’indépendance des États-Unis), était persuadé du contraire. Pour lui, c’était l’eau plus ou moins croupie des futailles qui causait ce terrible scorbut à ses hommes. Aussi, dès qu’il en avait l’occasion, faisait-il procéder à des aiguades, convaincu que de l’eau fraîche ramenée à bord guérirait les malades.

Vingt cocos et deux poules
 
La Boussole et L’Astrolabe étaient partis de Brest le 1er août 1785. Certes, les deux navires avaient multiplié les escales sur la côte est et ouest du Pacifique, mais ils avaient quitté le Kamtchatka, à l’extrême est de la Sibérie le 29 septembre 1787 et n’étaient parvenus qu’à la mi-décembre 1787 aux îles Samoa, après donc deux mois et demi de mer sans la moindre escale. Autant dire que les équipages étaient en piteux état et que le manque de produits frais et donc de vitamine C se faisait cruellement sentir, sans d’ailleurs que personne ne se doute de l’origine de la maladie.

Aux Samoa, la situation ne s’améliora guère. A la première île touchée, la plus orientale, dans ce qui s’appelait alors l’archipel des Navigateurs comme l’avait baptisé Bougainville, La Pérouse et de Langle obtinrent, le 6 décembre, une vingtaine de noix de coco et deux poules. Pas de quoi retaper deux équipages de plus de deux cents hommes... Dans deux autres îles, le contact fut certes établi mais là encore, de vivres point ou si peu. 

Finalement, La Pérouse décida de se rendre à Tutuila qu’il nomma à tort Maouna. L’île était de grande taille (142,3 km2 ; c’est aujourd’hui la plus grande des Samoa américaines), la population nombreuse, les mouillages à peu près sûrs et les vivres potentiellement en quantité abondante. “Nombreux étaient les villages, innombrables les pirogues qui arrivaient chargées de cochons, de cocos, de poules, de pigeons et de fruits. On voyait des ruisseaux tomber en cascades au pied des villages ; on aurait donc en abondance les vivres et l’eau”.

Des fruits et des femmes...
 
Si la rade choisie par les deux bateaux français était peu sûre pour la qualité des ancrages, en revanche, l’accueil de la population fut cordial et amical et de suite, des embarcations furent mises à la mer pour aller faire de l’eau douce. La confiance régnait, La Pérouse débarqua et de Langle fit mieux puisqu’il partit à pied explorer une anse voisine et en revint conquis par la sûreté et la beauté du site et du village qui y était implanté.

L’aiguade était très pratique, les canots demeurant très proches de la côte (à demi-portée de pistolet) et l’on en vint très vite à des échanges fructueux : de la verroterie essentiellement contre des fruits, des poules et, cerise sur le gâteau, des femmes accortes et fort jolies qui n’hésitèrent pas à monnayer leurs charmes. 

Après des mois de mer, impossible pour les marins de résister à de telles invites... Inutile de faire un dessin, l’escale s’annonçait sous les meilleurs auspices ! Commentaire de La Pérouse : “Des Européens, des Français surtout n’ont point d’armes contre de pareilles attaques ; elles parvinrent, sans beaucoup de peine, à percer les rangs ; alors les hommes s’approchèrent et la confusion augmenta”.

Ce genre d’assaut, La Pérouse savait comment y résister (plus ou moins...) en revanche, il était loin de comprendre ce qui se passait dans la tête de ses hôtes que les actes de quelques filles aguicheuses, les leurs, ne troublaient pas le moins du monde. En réalité, les Samoans, ravis de voir les marins occupés par leurs femmes, étaient là pour faire du troc certes, mais également pour évaluer les forces des nouveaux venus. Et très vite, un premier test eut lieu : un indigène s’empara d’un maillet et roua de coups un des marins, le frappant sur les bras et le dos. La Pérouse fit saisir l’agité par quatre de ses hommes qui le jetèrent à l’eau. 

Mais il était clair, pour qui prenait le temps d’observer, que les Samoans regardaient ces hommes avec un certain mépris, conscients de la supériorité de leurs forces physiques. 
De Langle commandait une frégate, L’Astrolabe, de cinq cents tonneaux avec un équipage de 114 hommes à bord.
De Langle commandait une frégate, L’Astrolabe, de cinq cents tonneaux avec un équipage de 114 hommes à bord.

De Langle s’entête
 
Après ce premier incident, indisciplinés, turbulents, fantasques même, les Samoans laissèrent les quelques Français qui étaient alors à terre embarquer à bord de leurs chaloupes et regagner leurs deux navires. 

De Langle comme La Pérouse étaient bien conscients que sur ce mouillage sur fond de corail, ils risquaient de perdre leurs ancres (à l’époque, la chaîne n’avait pas encore été inventée et ce sont des cordages de chanvre qui raclaient les fonds). Tout fut donc préparé pour un appareillage définitif, mais alors que les préparatifs étaient menés bon train, de Langle s’opposa au départ. On dit même que les deux capitaines, amis de longue date, se fâchèrent quelque peu, de Langle demandant avec insistance à La Pérouse de demeurer toute la nuit près des côtes de Tutuila, pour pouvoir, le lendemain, venir dans l’anse qu’il avait reconnue et qui lui avait paru très accueillante. Mais pour y faire quoi, grand Dieu, se demandait La Pérouse ! De l’eau douce, il y en avait plus qu’assez à bord, alors que le capitaine de L’Astrolabe ne voulait pas en démordre : selon lui, il fallait changer l’eau de toutes les barriques pour être sûr de juguler le scorbut. 

A contrecœur, La Pérouse finit par céder aux suppliques de son collègue, d’autant que celui-ci rendait La Pérouse responsable du scorbut et avait assuré ce dernier qu’il ferait partie du premier voyage à la côte pour faire le plein d’eau fraîche dans cette nouvelle baie. Tout devait bien se passer, tout serait rapidement mené et les deux navires pourraient alors continuer leur route. 

La Pérouse, fâché mais fatigué, finit par céder. De Langle, en obtenant finalement gain de cause, ne savait pas qu’il venait de signer son arrêt de mort et, à terme, celui de La Pérouse et de tous ses hommes...

Monsieur de Langle était un homme d’un jugement si solide et d’une telle capacité, que ces considérations, plus que tout autre motif, déterminèrent mon consentement, ou plutôt firent céder ma volonté à la sienne”, expliqua La Pérouse.

La crème des deux équipages...
 
On l’a compris, de Langle voulait à tout prix retourner à terre dans l’anse voisine de celle où les équipages s’étaient ravitaillés et La Pérouse y consentit à contrecœur, demeurant sous voiles à proximité de la côte toute la nuit et se rapprochant du rivage au petit matin. 

Mais alors, quelle déception ! La marée était basse, les vagues formées, le rivage nettement moins accessible que la veille à marée haute et par mer d’huile, ce qui allait obliger les marins à d’acrobatiques manœuvres pour leur aiguade. La Pérouse, comme il s’y était engagé, expédia de bonne heure son grand canot et sa chaloupe, commandés par MM. Mouton et Boutin, vers L’Astrolabe. Un capitaine, six hommes d’armes et tous les malades du scorbut y furent embarqués, en plus d’une vingtaine de futailles vides, à remplir d’eau douce.

Avec ses canots et chaloupes, de Langle embarquait pour sa part avec MM. Le Gobien, garde de la Marine, de La Martinière et Lavaux ainsi que MM. De Vaujuas, malade convalescent, Colinet et Lamanon. Ce dernier n’était autre que le botaniste de l’expédition ; autant dire qu’il comptait parmi les personnages les plus importants du voyage dans le Pacifique. Au total, ce furent soixante-et-un hommes qui embarquèrent à destination de la plage, des hommes qui constituaient dans leur majorité la crème des deux équipages. 

On parle souvent, au XVIIIe siècle, de la nécessité d’aiguades pour remplir les futailles ; voici ces modèles de tonneaux en usage dans la marine de l’époque.
On parle souvent, au XVIIIe siècle, de la nécessité d’aiguades pour remplir les futailles ; voici ces modèles de tonneaux en usage dans la marine de l’époque.
Un endroit dangereux
 
Face au scorbut, de Langle était un piètre médecin certes, mais il avait pris soin d’armer de fusils et de sabres les marins, tandis que six pierriers avaient été installés dans les chaloupes.

Le trajet ne fut pas rapide puisque les petits bateaux mirent trois-quarts d’heure avant d’atteindre la côte où la surprise fut totale ; au lieu d’une anse largement ouverte, facile d’accès, ce n’était partout que des patates de corail prêtes à éventrer la plus robuste des coques ; les vagues y déferlaient avec force, le chenal d’accès à la plage était très étroit et peu profond et, finalement, les deux plus grosses embarcations se retrouvèrent échouées dans à peine trois pieds d’eau ; les petits canots réussirent à atteindre le rivage, mais ils s’écartèrent de la petite passe, pour ne pas être emportés par les vagues venant se briser sur le sable. 

De Langle était plus que contrarié ; sa merveilleuse anse vue la veille était devenue, caprice de la météo, un endroit dangereux qui allait demander d’énormes efforts pour descendre à terre tous les malades afin de les installer et de les faire se reposer et surtout pour remplir et charger d’eau les vingt tonneaux. 

Face à ce qui s’annonçait potentiellement comme un désastre, de Langle décida dans un premier temps de repartir et de se rendre là où il avait déjà rempli ses barriques la veille. Sauf qu’à terre, on espérait bien faire accoster les visiteurs : force cochons, fruits et victuailles avaient été amenés sur le rivage où nombre de femmes et d’enfants attendaient les Français en leur faisant signe de venir. Difficile de résister d’autant que finalement les futailles furent aisément mises à l’eau. 

Plus de 1 200 indigènes...
 
Une haie de soldats fut formée pour protéger les marins chargés de remplir les tonneaux et tout commença en définitive fort bien... Sauf qu’après un certain temps, les indigènes venus des pirogues qui avaient approché les deux grands navires et bien d’autres venus d’on ne sait où s’étaient amassés sur la plage ; les marins estimaient qu’ils étaient environ deux cents, surtout des femmes et des enfants, au moment où ils avaient abordé ; ils étaient maintenant bien plus de mille, probablement douze cents et ce nombre ne cessait de grandir. Quant à l’ambiance, elle était loin d’être amicale, mais malgré tout, de Langle put faire charger ses tonneaux remplis d’eau douce sur les chaloupes. Malheureusement, la marée était au plus bas et les Français calculèrent qu’ils ne pourraient pas reprendre le large avant seize heures, donc tard dans l’après-midi. En clair, ils étaient bloqués sur place, à la merci de centaines d’indigènes paraissant nettement plus hostiles que la veille. A l’avant de son embarcation, de Langle, fusil en main, surveillait cette foule immense, grondant, criant parfois, s’agitant en tous sens ; il avait défendu à ses hommes de tirer espérant que la raison l’emporterait mais lorsque les pierres commencèrent à s’abattre sur les marins, lorsque les guerriers samoans entrèrent dans l’eau à mi-cuisse, bien décidés à empêcher les chaloupes de partir, il était clair que la situation avait totalement basculée.

Cette autre gravure met en scène la mort des membres d’équipage de l’expédition La Pérouse. Le botaniste Robert de Lamanon fit partie des victimes.
Cette autre gravure met en scène la mort des membres d’équipage de l’expédition La Pérouse. Le botaniste Robert de Lamanon fit partie des victimes.
Tué à coups de casse-tête
 
Tout à coup, lancées avec la force que leur donnaient des frondes, des dizaines de pierres s’abattirent sur les Français. De Langle eut le temps de tirer deux coups de fusil. Il tomba à l’eau et immédiatement il fut tué à coups de casse-tête et de pierres.

La chaloupe de La Boussole, commandée par M. Boutin, était toute proche. Lui aussi avait installé tout son monde dans son embarcation, avec les tonneaux remplis d’eau. Dès que les premiers coups de feu partirent, du côté de la chaloupe de de Langle, lui-même fit tirer une salve meurtrière ; mais ni lui ni ses hommes n’eurent le temps de recharger leurs armes, rien ne pouvant dès lors stopper la marée samoane. Comme de Langle, Boutin fut tué ainsi que tous les hommes tombés du côté des indigènes alors que les autres, la plupart blessés à la tête par les pierres, se jetèrent à l’eau de l’autre côté pour être récupérés par les petits canots. 

Les Samoans en effet firent un instant l’impasse sur les fuyards, occupés à piller les deux chaloupes et à arracher aux marins morts tous leurs effets personnels, petit laps de temps qui permit à MM. Vaujuas et Mouton de recueillir les blessés ; les futailles furent bien entendu jetées à la mer pour faire de la place aux hommes sauvés du massacre et faute de munitions, sûr également qu’il ne restait aucun Français vivant aux mains des Samoans, les canots prirent le plus vite possible le large. 

La Pérouse évite un second massacre
 
Un canot trop chargé s’échoua à la sortie de la petite passe ; des indigènes tentèrent de s’en emparer mais une salve permit de les faire reculer et de dégager la petite embarcation. A cinq heures du soir, maculées du sang des blessés, les canots accostèrent enfin au flanc des deux frégates alors entourées d’une centaine de pirogues se prêtant en toute innocence à l’habituel troc. Il est clair que ces Samoans n’avaient pas conscience de ce qui venait de se passer à terre et qu’ils n’en étaient pas les complices. 

Les marins, à bord, décidèrent de faire tout leur possible pour venger leurs amis et il fallut toute l’énergie de La Pérouse et de ses officiers pour éviter un second massacre sur les Samoans entourant les deux navires. Un coup de canon, chargé de poudre seulement, ne les mit pas en fuite, mais lorsqu’une pirogue venue de la côte les informa de ce qui venait de se passer, les Samoans comprirent qu’il leur fallait à leur tour partir au plus vite pour éviter une probable vengeance.

Au matin, soixante-et-une personnes avaient quitté les frégates pour se rendre à terre ; il n’en rentra que quarante-neuf, beaucoup dans un piteux état : de Langle était mort, mais également le botaniste de Lamanon et le capitaine d’armes Talin, ainsi que neuf autres matelots. 

Le courageux Boutin avait été sauvé in extremis mais souffrait de cinq blessures à la tête et d’une à l’estomac. M. Colinet avait un bras cassé, un doigt cassé et deux blessures à la tête ; le chirurgien de L’Astrolabe, M. Lavaux, avait de telles blessures à la tête qu’il fallut de résoudre à le trépaner ; le père Receveur était blessé à un œil, tous les autres marins souffrant de diverses blessures.

Beaucoup de spécialistes pensent que si Fleuriot de Langle n’avait pas été tué aux Samoa, jamais l’expédition La Pérouse n’aurait fini par un double naufrage à Vanikoro.
Beaucoup de spécialistes pensent que si Fleuriot de Langle n’avait pas été tué aux Samoa, jamais l’expédition La Pérouse n’aurait fini par un double naufrage à Vanikoro.
Impossible vengeance...
 
La Pérouse, bien entendu, souhaitait envoyer à terre un contingent pour venger ses hommes, mais la météo, l’état de la mer et la géographie de cette anse maudite ne lui permirent pas de tenter l’aventure, au risque de perdre encore beaucoup de marins. 
M. Boutin lui expliqua que cachés par la végétation, les indigènes pouvaient, en cas de débarquement, demeurer à l’abri de la mousqueterie tout en infligeant de lourdes pertes avec leurs frondes. Enfin le large récif de corail mettait le village à l’abri des canons des deux frégates. Il n’y avait, en réalité, plus rien à faire d’autre que de partir. 
Le 14 décembre 1787, L’Astrolabe et La Boussole levaient leurs ancres à regret pour l’île d’Oyolava. A leur bord, vingt blessés graves encombraient l’infirmerie et les entreponts. 
Pour un peu d’eau douce parfaitement inutile, de Langle avait perdu la vie. Mais bien pire, il était le plus habile des officiers de l’expédition et son absence allait se payer quelques semaines plus tard au prix fort : La Boussole et L’Astrolabe se brisèrent pendant un orage sur les récifs de l’île de Vanikoro en 1788. On n‘entendit plus jamais parler d’aucun membre de ce qui devait être la plus riche, la plus prestigieuse et la plus importante expédition française dans le vaste Pacifique...

Inhumé en... 1889

Mort le 11 décembre 1787, Fleuriot de Langle n’a été conduit à sa dernière demeure que cent deux ans plus tard, puisqu’il repose depuis le 25 juin 1889 à Brest dans un coffret en laiton de 39 cm x 15 cm. 

Ses restes ont en effet pu être rapatriés des Samoa un siècle après le drame lui ayant coûté la vie ; le capitaine de L’Astrolabe avait été enterré sous un arbre, à Tutuila, pas très loin du site où il avait été tué.

Les Samoans vus par La Pérouse

Ces insulaires (ndlr : les Samoans) “sont les plus grands et les mieux faits que nous ayons encore rencontrés, étonnants par les proportions colossales de leur corps. Les hommes ont le corps peint ou tatoué de manière qu'on les croirait habillés ; ils ont seulement autour des reins une ceinture d'herbes marines. Leurs cheveux sont très longs ; ils les retrouvent souvent autour de la tête. Ils sont presque tous couverts de cicatrices. La taille des femmes est proportionnée à celle des hommes : elles sont grandes, sveltes et ont de la grâce.”

Tonga, Norfolk, l’Australie...

La Pérouse, après avoir quitté les Samoa se rendit aux Tonga (où il ne put faire escale compte tenu des vents contraires), à Norfolk (où il ne put pas, non plus, débarquer) et enfin à Port Jackson en Australie (le 26 janvier 1788). Les Anglais, à cette époque, quittaient Botany Bay pour le site de Port Jackson, devenu Sydney. Ils n’avaient pas de vivres à offrir aux Français (mais de l’eau et du bois) ; L’Astrolabe et La Boussole reprirent donc leur route non sans que La Pérouse ait pu laisser en bonnes mains ses notes de voyage qui permettent de suivre son expédition jusqu’à cette époque. 
La suite on la connaît : Nouvelle-Calédonie, puis Vanikoro où l’expédition disparut entièrement. En quittant l’Australie, La Pérouse avait laissé quelques détails sur la route qu’il comptait suivre : “Je remonterai aux îles des Amis, et je ferai absolument tout ce qui m'est enjoint par mes instructions relativement à la partie méridionale de la Nouvelle-Calédonie, à l'île Santa-Cruz de Mendana, à la côte sud de la terre des Arsacides de Surville, et à la terre de la Louisiade de Bougainville, en cherchant à connaître si cette dernière fait partie de la Nouvelle-Guinée, ou si elle en est séparée. Je passerai, à la fin de juillet 1788, entre la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hollande, par un autre canal que celui de l'Endeavour, si toutefois il en existe un. Je visiterai, pendant le mois de septembre et une partie d'octobre, le golfe de la Carpentarie et toute la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande jusqu'à la terre de Diemen, mais de manière cependant qu'il me soit possible de remonter au nord assez tôt pour arriver au commencement de décembre 1788 à l'île de France”.

Une carrière exemplaire

Paul Antoine Marie Fleuriot, vicomte de Langle, avait vu le jour le 1er août 1744 dans les Côtes d’Armor. Entré dans la royale à quatorze ans, il y fit toute sa carrière jusqu’à son décès aux Samoa.
Engagé dans de nombreuses actions militaires dans l’Atlantique, il fait connaissance avec La Pérouse à Haïti (alors Saint-Domingue) en 1771 et leur amitié demeura forte au fil des ans. 
C’est surtout du côté de la mer des Caraïbes et sur la côte est de l’Amérique, jusqu’à la baie d’Hudson que de Langle marquera l’histoire de la guerre d’indépendance des États-Unis (qui le firent chevalier dans l’ordre de Cincinnatus en remerciement de son engagement en leur faveur). 
Dès 1774, il avait été élu membre de l’Académie de Marine dont il devint le directeur en 1783. On lui doit à ce titre plusieurs publications et une participation active au dictionnaire de la marine. Le 29 novembre 1782, il avait été nommé capitaine de vaisseau après la campagne de destruction des implantations britanniques dans la baie d’Hudson (en compagnie de Kerguelen).
Marin de grande qualité, intellectuel reconnu, il était le véritable chef naval de l’expédition de La Pérouse et d’ailleurs, Jean Baptiste Barthélémy de Lesseps, qui avait accompagné l’expédition sur une partie de son itinéraire et qui avait pu rentrer à Paris par la Russie, apprit de la bouche même de Louis XVI le décès de Fleuriot de Langle ; il eut alors cette phrase prophétique : “Sire, votre expédition est perdue !” L’histoire devait malheureusement lui donner raison...

Les ordres du roi Louis XVI

Voici les consignes écrites que La Pérouse et Fleuriot de Langle avaient reçu de Louis XVI : “Le sieur La Pérouse s'occupera avec zèle et intérêt de tous les moyens qui peuvent améliorer la condition des peuples qu'il visitera, en procurant à leurs pays les légumes, les fruits et les arbres utiles d'Europe ; en leur enseignant la manière de les semer et de les cultiver ; en leur faisant connaître l'usage qu'ils doivent faire de ces présents, dont l'objet est de multiplier sur leur sol les productions nécessaires à des peuples qui tirent presque toute leur nourriture de la terre. Si des circonstances, qu'il est de la prudence de prévoir dans une longue expédition, obligeaient jamais le sieur de La Pérouse de faire usage de la supériorité de ses armes sur celles des peuples sauvages, pour se procurer, malgré leur opposition, les objets nécessaires à la vie, tels que des substances, des bois, de l'eau, il n'userait de la force qu'avec la plus grande modération, et punirait très sévèrement ceux de ses gens qui auraient outrepassé ses ordres. Le roi regarderait comme un des succès les plus heureux de l'expédition, qu'elle pût être terminée sans qu'il en eût coûté la vie à un seul homme.” 

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 13 Août 2021 à 08:21 | Lu 3247 fois