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11% des femmes de plus de 35 ont Fa'a'amu


PAPEETE, le 10 mars 2018-L'institut de la statistique de Polynésie française a publié vendredi une étude sur le fa'a'amura'a en Polynésie. Contrairement aux idées reçues, l'étude montre c'est une pratique qui concerne principalement les femmes âgées de 40 ans et plus et déjà mères de plusieurs enfants.

La tradition polynésienne de l'adoption existait déjà bien avant l’arrivée des européens. Les familles qui ne pouvaient pas assurer l’avenir de leur enfant, le confiaient en adoption « fa'a'amu" (faire manger) à d’autres familles proches, puis aux amis. Ce phénomène était encore plus marquant dans les archipels, comme aux îles sous le vent où l’usage consistait à promettre un enfant avant sa naissance. Mais avec le temps, les pratiques changent.

Aujourd'hui, 11 % des femmes de 35 ans et plus ont déjà confié un enfant en fa'a'amu révèle la dernière étude de l'institut de la statistique de Polynésie française (ISPF) publiée vendredi. Selon cette même étude, 20 % des femmes de 55 ans et plus accueillent actuellement des enfants fa’a’amu. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les femmes les adolescentes, lycéennes ou étudiantes qui confient leurs enfants en fa'a'amu, mais plutôt les femmes âgées de 35 ans et plus.

Si la pratique reste marginale, elle est ancrée dans la société polynésienne, en effet " la proportion de celles qui ont un jour donné un enfant à fa’a’amu se maintient à un niveau qui oscille autour de 11 % pour les femmes interrogées à partir de 35 ans et ce, quel que soit leur âge (Figure 1). Il faut de plus noter que cette stabilité subsiste malgré l’exceptionnelle baisse de la fécondité qui est passée de 7 enfants par femmes (au sens de l’indicateur conjoncturel de fécondité) dans les années 1950 à 2 enfants par femmes en 2012. Ainsi, le maintien de cette pratique compte tenu de la diminution du nombre d’enfants au sein de chaque famille révèle une véritable persistance du fa’a’amura’a dans la société polynésienne."

Bien que l'on constate une poursuite de la pratique, les chiffres de l'ISPF montre une évolution. En effet, les femmes les plus jeunes confient de moins en moins leurs enfants. Entre 1996 et 2012, la proportion de femmes ayant donné des enfants avant 35 ans diminue. Si en 1996, 12 % des mères de 20 et 24 ans en avaient confié au moins un enfant. Elles sont seulement 4 % en 2012. l'ISPF explique cette évolution par la baisse de la fécondité. "Cette diminution est en partie liée au fait que les mères ont moins d’enfants à donner et que ces enfants naissent en moyenne plus tard. On remarque d’autre part que la proportion de femmes ayant donné un enfant fa'a'amu au-delà de 40 ans reste relativement stable du milieu des années 1990 au début des années 2010." Autour de 45 ans, cette proportion oscille autour de 12 % quelle que soit la génération.

LE FA'A'AMURA'A, UNE PRATIQUE PLUS FREQUENTE DANS LES ARCHIPELS ELOIGNES

Les femmes des îles du vent confient moins leurs enfants en fa'a'amu que le reste des Polynésiennes. En effet, 43% des mères donneuses résident dans les autres archipels. Les femmes résidant dans les Australes et dans les Tuamotu-Gambier confient trois fois plus souvent un enfant que celles qui résident dans les Îles Du Vent (30 % vs 9 %) et les Marquisiennes et celles qui résident dans les Îles Sous-Le-Vent deux fois plus souvent (22 % vs 9 %).
Selon l'ISPF ces femmes sont souvent peu diplômées. Elles sont "originaires et résidentes des îles les plus éloignées de Tahiti, en particulier des territoires où la situation économique s’est le plus dégradée ces dernières années mais aussi dans les lieux les moins affectés par la diffusion des normes de parenté occidentales. Alors que ce sont les femmes qui ont une descendance importante qui donnent le plus d’enfants à fa’a’amu, il est rare qu’elles en confient plus d’un. Concernant celles à qui l’on confie ces enfants, elles se distinguent par une surreprésentation de veuves et de femmes mariées, de potentielles grands-mères. "

Les femmes qui ont le plus d'enfants sont celles qui ont plus propension à les confier en fa'a'mu. " Ce sont les femmes qui ont une descendance finale plus importante qui sont plus susceptibles de confier leurs enfants. Ainsi, 30 % des femmes ayant eu 6 enfants ont au moins donné un enfant à fa'a'amu contre seulement 2 % des femmes ayant eu 1 enfant et 4 % des femmes ayant eu 2 enfants"

Le Fa'a'amura'a, une pratique conomique ?

Selon l'ISPF, " le maintien d’un taux élevé de femmes donnant leur enfant à fa’a’amu peut trouver une explication dans l’accentuation des différences entre les îles et les populations. Traditionnellement, le fa’a’amura’a est souvent présenté en termes de coopération familiale. C’est l’aspect qui se rapproche le plus de la tradition : la famille reste prioritaire. La cause est souvent fortuite (séparation, maladie, précarité, décès), le confiage peut de plus permettre à certains enfants de se « trouver une place », de se sentir désirés et soutenus. […] ce sont dans les archipels les moins accessibles (Australes, Tuamotu-Gambier) que le phénomène est le plus persistant. Par ailleurs, la situation économique des femmes actives s’est dégradée dans ces territoires, augmentant de fait la pression économique sur les familles de grande taille. Souvent associé à des considérations affectives, il est probable que confier et donner un enfant s’accompagne également de considérations économiques."

UNE DEFINITION

Selon Patrick Cerf auteur de "La domination des femmes à Tahiti. Des violences envers les femmes au discours du matriarcat." Tahiti Édition Au vent des îles, 2007, « Le fa’a’amu se réfère à l’adoption d’un enfant souvent par les grands parents, oncles et tantes, frères et soeurs, mais parfois par des personnes étrangères à la famille, qui devenaient les parents nourriciers. Il n’y avait jamais de méconnaissance des parents biologiques et les contacts entre les deux familles étaient toujours maintenus et le fa’a’amu pouvait n’être que temporaire. Cette circulation des enfants faisait partie des échanges sociaux qui contribuaient à établir des alliances ou à renforcer les liens entre les parties ».

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Samedi 10 Mars 2018 à 18:00 | Lu 3080 fois