Tahiti Infos

Retrouvailles




        (À la mémoire de Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun)

J’avais décidé de me rendre au Salon du livre cet après-midi de novembre 2020. 
Je m’avançai vers les stands. Soudain mon cœur se mit à battre très fort : l’homme de dos aux longs cheveux gris ondulés si caractéristiques, c’était…Jean-Marc. Non, impossible, je me trompais. Je revis son enterrement à Moorea. Mais l’homme se retourna, son visage s’éclaira :
« Louisa ! Je t’attendais. Viens, nous allons écouter Alan Duff qui fait une conférence, sur  la diffusion du livre dans son pays. »
Alan Duff ? Mais c’est en 2002 qu’il avait abordé ce sujet ! Jean-Marc vivant, Alan Duff en 2002, comment était-ce possible ? 
J’étais tellement stupéfaite que je ne posai aucune question mais suivis Jean-Marc et je l’entendis me dire : 
« Tu sais, j’écris une nouvelle pièce de théâtre, je vais t’envoyer le tapuscrit. » 
Avant de devenir journaliste j’ai fait des études de Lettres donc je relisais parfois ses textes et il me demandait mon avis de lectrice. Il avait l’air en pleine forme contrairement à la dernière fois où je l’avais vu, si fatigué mais tellement combatif. J’ai toujours pensé qu’on pourrait accoler à son nom l’expression qu’il avait employée pour parler d’Henri HIRO : « Héros polynésien » : un ‘aito, Jean-Marc, peur de rien, toujours prêt à un nouveau défi. Et là, il était tout fringant. Incompréhensible…
« J’ai arrêté de fumer » me déclara-t-il. Je t’avais dit que j’allais le faire quand je serais moins angoissé. »   
Je me souvins de cette conversation avec mon compagnon et moi. Il nous avait aussi révélé sa maladie presque comme si c’était un détail.
De plus en plus étonnée je me sentais perdue dans le dédale des années. Nous arrivions près du lieu de la conférence. 
Soudain tout se brouilla. J’ouvris grand les yeux et m’aperçus que j’étais dans ma voiture garée sur le parking. Épuisée par une nuit quasiment blanche consacrée à terminer un article, je m’étais endormie. Je pensais alors au  roman de Proust Le temps retrouvé et me dis que j’avais retrouvé une sorte de puzzle formé de moments passés, certains vécus au Salon du livre ou ailleurs, d’autres irréels dont ces retrouvailles avec cet ami cher, une des rares personnes dont on peut dire qu’elles sont irremplaçables car elles sont des promesses vivantes de nouveauté et de création. Et c’est en me rendant au Salon du Livre, ce lieu imprégné de la présence de tant de créateurs, près du paepae a HIRO, que j’avais pu recevoir la grâce de ce rêve.
Je sortis donc de ma voiture, pleine d’allant, comme si les amis perdus, Jean-Marc, Alex du Prel et tous les grands créateurs du passé qui ne mourront jamais vraiment tant qu’il y aura des lecteurs, me regardaient en souriant depuis « les balcons du ciel »1.
 
Patricia Bennel
1 « Les balcons du ciel » : citation de Charles Baudelaire dans le poème Recueillement.