Tahiti Infos
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Première génération




L’an 2000, un millénaire rugissant et la promesse d’une nouvelle ère. C’est dans cette ambiance frénétique que je fus conçu. Je me souvenais avoir été accueilli comme un messie et exhibé à qui voulait bien m’admirer pendant mes premiers mois d’existence. Je fus témoin de grands moments de bonheur et d’amusement. Le premier sentiment de stupeur qui me traversa ne se présenta qu’un an plus tard environ. Hina parlait vite, ses paroles me transperçaient, saccadées : « Tu as vu à New-York ? ». Cette conversation se répéta plusieurs jours durant, avec tous ses amis. Puis, petit à petit, je la sentis plus distante. Je n’émettais guère plus de bruit. Un jour même, elle m’abandonna dans le tiroir de la chambre d’une pension à Tikehau. C’est un jeune farani qui me trouva là, gisant et silencieux. Je redevins un compagnon fidèle. Je sentis à nouveau le soleil brûlant et les embruns de l’océan sur mon armature de plastique. A travers moi fut diffusée une explosion de joie lorsque Kelly Slater affronta la terrible vague sans flancher pour la troisième fois de sa carrière. Je redécouvris les musiques des bringues et les invitations à nous rejoindre sur la plage envoyées aux copains. Mais l’effroi encore me frappa de plein fouet lorsque je dus servir de messager pour annoncer à mon jeune propriétaire que l’avion de Temae, dans lequel se trouvait son meilleur ami, n’arriverait jamais jusqu’à la piste de Faa’a. Je fus jeté contre un mur et retombai sur le sol, brisé. Mon compagnon devint terne et taciturne. Il n’avait plus le cœur à la fête et sa planche ne verrait plus les vagues de la presqu’île. Un soir où il noyait son chagrin je lui fus subtilisé. Le pick-up roulait à vive allure, les passagers se frottaient les mains d’avoir trouvé un spécimen qui ne divulguerait point d’information compromettante sur leurs sournoises activités. Je servis alors d’intermédiaire entre des clients désespérés et des fournisseurs peu scrupuleux. Un soir sur son jet-ski, alors qu’il venait de quitter son repaire sur un motu de Huahine, un de ces malfrats me jeta dans le grand large, craignant d’être suivi. Mon armure fragile fut à nouveau mise à rude épreuve. Au gré des courants je dérivai sans but ni raison d’émettre. Quand tout à coup un chant mélodieux irradia ma carapace fragile. Elles étaient de retour. Les majestueuses annonçaient le renouveau et l’espoir des temps nouveaux. Je fus remonté à la surface dans des filets de pêche. L’homme harassé par sa journée de travail maugréa en me retirant de ses mailles. Une fois revenu sur la terre ferme il me remit entre les mains d’une charmante petite fille. La mignonne me pressa contre elle puis me colla à son oreille en babillant qu’aucun vilain virus ne l’empêcherait de devenir la nouvelle Moeata lors du prochain Heiva. L’heure était à nouveau aux rires, à la musique et à la danse. Mon époque désormais révolue, je m’éteignais sur une Polynésie plus vivante, aguerrie et flamboyante que jamais. Te ora noa ra !
Vincianne Piquet Gauthier