Tahiti Infos
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20 ans sans moi




S’appeler James Dean ou Paul Walker et mourir au volant d’une Porsche, ça crée le mythe mais se faire renverser par une Fiat Panda, ça c’est mon destin à moi, Nathan, 18 ans. 
Aux abonnés absents pendant un certain temps, je découvre mon nouvel état végétatif lorsqu’un médecin annonce, dans une chambre d’hôpital,  à mes parents tétanisés que je pourrais ne jamais sortir de ce coma. 
Je veux les rassurer, leur décrire cette plénitude lumineuse et cotonneuse qui est mienne, mais mon enveloppe corporelle est désincarnée.
Bien plus tard, je découvre les joies de la dé-corporation et me retrouve aimanté au plafond de cette chambre lorsqu’on décide de transférer ma dépouille vivante à la maison. J’ai bien changé, en pire et en plus maigre.
Ma petite sœur, Tess la peste, me murmure à l’oreille : «Comme on doit te stimuler, je t’ai fait une compil spéciale que je te passerai en boucle : Barbelivien, les L5 et tous ceux que tu détestes.» La garce ! 
Mon père va, pour sa part, me lire quotidiennement les journaux, informations que je capterai de façon sporadique. Quant à ma mère, elle enrage de ne pas pouvoir m’injecter son bourguignon en intraveineuse. 
J’assiste en spectateur silencieux et immobile aux angoisses de mes proches. Je voudrais tant irradier cette douce chaleur qui est mienne, cette certitude absolue que tout ira bien.
Tess qui réussit à grandir sans s’assagir m’offre un relooking de ma chambre pour fêter mes 10 ans de coma. Evidemment, elle le fait à la sauce paillettes. Mais, au moins, ça fait voyager, ce nouveau cadre. Quant aux visages qui m’entourent, ils se creusent, se marquent. Mon père préfère se taire et me diffuse les journaux radio. Ma mère me masse et me raconte les potins du patelin. 
S’ensuit une longue période onirique pendant laquelle je retrouve des êtres chers disparus, où je découvre tous les impossibles de mon cerveau. Quand, soudain, un bruit me re-connecte à mon entourage physique : des pleurs de bébé !  Tess a trouvé le moyen de se reproduire pendant ma déconnexion. Elle vient me présenter mon neveu qui, selon tous, est mon portrait craché. Je suis réincarné en poupon à couches. Quand je vous dis que ma vie, c’est du  glamour en barre ! 
Ce petit être surprenant posé contre moi me dévisage et semble m’assurer qu’il va prendre le relais mais moi, je ne veux pas me faire ravir la vie. Sa venue réchauffe l’atmosphère familiale et je me permets d’aller voyager virtuellement. 
Mon corps est indolore et inerte, mes aventures métaphysiques me rendent volatile. Je vois les marques du temps apparaître sur mon emballage charnel. Je ne vais quand même pas mourir d’inaction ! 
Un poids m’étouffe : Tess en sanglots m’étreint et me dit : «Ça fait 20 ans que je t’attends, j’ai eu trois gosses. Avec ces grossesses, de muse pour Giacometti, je suis passée à inspiratrice de Botticelli puis de Rubens».
Je m’entends, surpris, prononcer avec une voix d’outre-tombe, devant ses yeux stupéfaits : «T’inquiète Tess, il reste encore Botero».
Claire Le Gall