​Starlink, OneWeb, des ouvertures à surveiller


Tahiti, le 22 décembre 2025 - Saisie par le président de la Polynésie française, l’Autorité polynésienne de la concurrence a rendu lundi un avis sur le projet de loi du Pays relatif à l’évolution du cadre juridique des télécommunications extérieures, autrement dit la possibilité d’ouvrir l’internet aux archipels non couverts par la fibre à des opérateurs potentiels comme Starlink ou OneWeb. L’avis transmis au gouvernement comporte 22 recommandations.

 
Dans un contexte marqué par l’arrivée de nouveaux câbles sous-marins internationaux et par le développement rapide des technologies satellitaires à orbite basse (Starlink, OneWeb ou encore Amazone Leo, anciennement projet Kuiper, en cours de développement), l’APC souligne l’importance de moderniser le cadre réglementaire afin d’améliorer la connectivité du territoire, en particulier dans les archipels les plus éloignés.
 
Aussi, dans un communiqué diffusé lundi, l’Autorité se félicite de la fin du monopole de l’Office des postes et télécommunications (OPT) sur les capacités satellitaires, évolution qu’elle appelait déjà de ses vœux dans ses recommandations antérieures. Une fin de monopole qui pourrait se traduire uniquement sur les archipels éloignés et non pourvus de capacité de fourniture d’internet via la fibre.
 
“Les solutions satellitaires apparaissent en effet particulièrement adaptées aux territoires isolés de la Polynésie française, où le déploiement d’infrastructures terrestres demeure techniquement complexe et économiquement contraint”, note l’Autorité polynésienne de la concurrence.

Une absence d’étude d’impact problématique

Cependant, l’Autorité relève que le projet de loi a été élaboré “sans étude d’impact préalable” “Cette absence de modélisation constitue une limite substantielle à l’évaluation des conséquences attendues du dispositif, alors même que l’entrée de nouveaux acteurs, fondés sur des technologies radicalement différentes, est susceptible d’affecter durablement la structure et les équilibres du secteur”, explique l’APC dans son avis. Starlink avec ses offres en dessous des prix proposés actuellement, pourrait déstabiliser le marché de façon notable par exemple sur un territoire très étendu et où il est très couteux d’implanter ses infrastructures. “Le déploiement de la fibre optique en Polynésie française apparaît constituer le meilleur rempart pour les opérateurs locaux vis-à-vis de l’entrée des opérateurs satellitaires sur le marché des FAI”, encourage l’Autorité. L’absence de l’étude d’impact met aussi le doute sur les rentes fiscales du Pays qui pourraient être atteintes par l’arrivée de ces nouveaux opérateurs étrangers, même sur des zones faiblement peuplées.
 
Enfin, l’APC note le danger à venir du développement d’une technologie qui permettrait à un utilisateur de téléphone mobile de se connecter directement à un de ces relais étranger, sans avoir à passer par un opérateur local, pour accéder à internet. Les premiers essais sont en cours chez différents opérateurs et pourraient casser le marché local.

Pas n’importe quel archipel

D’un point de vue concurrentiel, le projet de loi repose sur une segmentation du territoire destinée à réserver l’intervention des opérateurs satellitaires aux zones insuffisamment desservies par les infrastructures terrestres ce qui bloque de facto la faculté pour les opérateurs de proposer librement leurs services sur l’ensemble du territoire.
 
Une approche qui “s’inscrit néanmoins dans la continuité des analyses développées par l’Autorité dans son avis relatif à l’itinérance mobile, dans lequel elle avait déjà souligné que des mécanismes de zonage peuvent être envisagés, à titre encadré, dès lors qu’ils reposent sur des critères objectifs, transparents et révisables”, explique l’Autorité de la concurrence dans son avis.
 
Dans cette perspective, l’APC souligne la nécessité de définir des critères clairs et opposables, assortis d’une publication officielle du zonage et d’une révision périodique.
 
L’Autorité insiste enfin sur l’importance de prévoir des mécanismes de consultation publique et de reclassement encadrés, afin de garantir la sécurité juridique des opérateurs et la prévisibilité du cadre réglementaire.

Un plus pour les usagers des îles

L’Autorité polynésienne de la concurrence souligne enfin que, s’agissant des zones faiblement desservies, l’intérêt du consommateur doit constituer un critère central de mise en œuvre du dispositif retenu. Si le choix devait être fait de maintenir un monopole (actuellement Eutelsat qui propose une bonne qualité pour la téléphonie mais un temps de latence trop important pour Internet), celui-ci ne saurait être dissocié d’exigences effectives en matière de qualité de service et de performances offertes aux usagers, telles que le déploiement effectif d’une boucle locale en fibre optique. “À défaut, les populations concernées pourraient se trouver privées à la fois de l’accès direct aux solutions satellitaires de nouvelle génération et d’infrastructures fixes aptes à assurer un niveau de connectivité conforme aux standards actuels”, assure l’APC.

Le maintien du monopole de l’OPT sur les câbles sous-marins internationaux en question


S’agissant des câbles sous-marins internationaux existants, l’Autorité polynésienne de la concurrence estime que “le maintien du monopole de l’OPT peut se justifier par la propriété des infrastructures et par les investissements consentis, sous réserve d’un encadrement strict des conditions d’accès, fondé sur des principes de transparence et de non-discrimination”. Une réflexion logique portée par les investissements colossaux que l’OPT a dû consentir pour la pose du premier câble, Honotua.
 
Mais l’APC relance le débat concernant l’arrivée des projets portés par Google et s’interroge sur l’évidence qui semble admise que ce soit l’OPT qui gère cette arrivée, sans appel d’offres.
 
“Pour les projets de câbles internationaux portés par Google, l’Autorité considère que le maintien d’un monopole de commercialisation au profit de l’OPT ne paraît pas justifié une fois les infrastructures mises en service, sous réserve que la Polynésie française dispose bien d’un accès effectif et sécurisé aux capacités issues de ces câbles”, explique l’APC.
 
Sans visibilité suffisante sur le contenu précis des accords conclus ou en cours de négociation, l’Autorité polynésienne de la concurrence “recommande une ouverture des capacités, afin de stimuler la concurrence, d’améliorer la qualité de service et de favoriser une baisse des prix au bénéfice des consommateurs polynésiens”.

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS
 
Procéder, à l’occasion des prochaines révisions du CPT, à la réalisation d’une étude d’impact destinée à anticiper les conséquences de l’entrée d’opérateurs privés de télécommunications extérieures et à en apprécier les bénéfices potentiels ainsi que les risques éventuels. Poursuivre le déploiement des réseaux de fibre optique en Polynésie française dans les zones où ce déploiement est techniquement et économiquement viable, afin de préserver l’attractivité des offres d’accès fixe proposées par les opérateurs locaux. Examiner l’adaptation du cadre réglementaire existant à l’arrivée prochaine des services mobiles par satellite (DtC). Veiller à ce que les conditions d’établissementimplantation exigées demeurent proportionnées et non discriminatoires. Préciser, dans les textes d’application de l’article LP. 212-16 du CPT, les critères objectifs, transparents et non discriminatoires encadrant la limitation éventuelle du nombre d’autorisations. Assurer la mise en œuvre d’une consultation publique effective préalablement à toute décision du Conseil des ministres visant à limiter le nombre d’autorisations délivrées.  Assortir la création d’une zone faiblement connectée (zone 2) à des obligations de déploiement de la boucle locale en fibre optique, accompagnées, le cas échéant, d’un financement public adéquat.  Définir, dans les textes d’application, des critères objectifs, mesurables et évolutifs permettant de qualifier une zone comme insuffisamment desservie, tenant notamment compte de la qualité de service effectivement rendue. Prévoir une révision périodique de la segmentation territoriale afin de tenir compte des évolutions technologiques et des besoins des usagers. Maintenir les exigences de transparence et de publication du zonage sous forme cartographique. Définir, au niveau législatif ou réglementaire, des critères objectifs et vérifiables encadrant le déclenchement de la procédure de reclassement d’un site donné. ; Prévoir que toute décision de reclassement soit précédée d’un avis technique indépendant et d’une procédure permettant aux opérateurs concernés de présenter leurs observations. Limiter strictement les effets de bord de la procédure de reclassement, en encadrant les situations de zones hétérogènes et en instituant un réexamen périodique rigoureux par le régulateur. Veiller à ce que toute asymétrie réglementaire soit strictement justifiée, proportionnée et fasse l’objet d’une réévaluation régulière. Assurer, chaque fois que possible, une neutralité technologique dans la définition et l’application des régimes applicables aux différentes catégories d’opérateurs. Assortir l’autorisation d’établir et d’exploiter un réseau de télécommunications d’obligations spécifiques à la charge des opérateurs satellitaires, tenant à la transmission d’informations sur les terminaux utilisés et à la mise en œuvre effective de mécanismes de restriction géographique conformes à la segmentation territoriale définie par le Pays. Veiller à ce que les procédures de contrôle soient proportionnées, transparentes et assorties de délais et de mécanismes d’adaptation appropriés pour les acteurs concernés. Modifier le cadre réglementaire afin de qualifier le signal issu des câbles Honotua et Manatua comme une « prestation d’accès et d’interconnexion obligatoire » au sens du CPT. Mettre en place d’une séparation juridique, ou à défaut fonctionnelle, entre les activités commerciales d’Onati et les activités de réseaux et d’infrastructures essentielles. Instaurer une régulation indépendante de l’accès au marché de gros des télécommunications. Réexaminer la pertinence du maintien du monopole de l’OPT sur les télécommunications extérieures issues des câbles sous-marins déployés par Google, une fois ces infrastructures mises en service. Adapter le cadre réglementaire afin de qualifier les signaux issus des câbles Google comme des « prestations d’accès et d’interconnexion obligatoires » au sens du CPT.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Lundi 22 Décembre 2025 à 18:03 | Lu 606 fois