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​Le 18 juin 1944, dix Tamari’i tahiti parachutés en enfer


A gauche : Le SAS tahitien Albert Colombani (Fonds Colombani). A droite : Orairai Mahahe et Manarii Fateata (Fonds Shigetomi. Courtesy Orairai).
A gauche : Le SAS tahitien Albert Colombani (Fonds Colombani). A droite : Orairai Mahahe et Manarii Fateata (Fonds Shigetomi. Courtesy Orairai).
PAPEETE, 17 juin 2019 - Le 18 juin, ce n’est pas uniquement l’Appel du général de Gaulle en 1940. Il y a 75 ans, le 18 juin 1944, alors que la bataille suprême est engagée depuis l’aube du 6, dix Tamari’i tahiti sont jetés dans la bataille de Saint-Marcel en Bretagne. Ces SAS participeront ensuite à plusieurs combats de la Libération.

Ils étaient dix, trois natifs des Iles sous-le-Vent, les deux frères Etienne et Albert Colombani ainsi que Orairai Mahahe, deux natifs des Marquises, Piutaioa Kiipuhia dit Puma et Tahiaumoea Tehaamoana et les cinq autres de Tahiti : Nicolas Teo Tevaearai Paaeho, Pita Tihoni, Manarii Fateata, Punua Teai et Ernest Marama Tetuaea Constantin. Tous s’engagent en 1943 dans le 1er bataillon d’infanterie de l’air, corps des free french squadron des Special air services anglais, les SAS. 

Les dix volontaires tahitiens ont gagné l’île de Makatea pour embarquer à destination d’Auckland, le 23 mars 1943, sur le Trienza, navire minier de la compagnie des phosphates. Ils quittent la Nouvelle-Zélande fin avril 1943 sur le S/S Monowai pour Glasgow, où ils arrivent le 2 juin.

Là les Tahitiens sont conduits à la parachute training school où effectuant leurs sauts réglementaires, avant d’être brevetés parachutistes.

Les Tahitiens découvrent la rigueur du climat écossais conjuguée à la sévérité des entrainements britanniques pendant plus d’un an afin de se préparer aux actions de guérilla sur les arrières de l’ennemi. Les SAS seront surnommés par Radio Paris à la solde de l’occupant : les sanguinaires aux bérets noirs.

Dans la nuit du 12 juin 1944, une dizaine d’avions des squadron 196 et 299  de la Royal Air Force larguent quatre-vingt SAS au-dessus de Saint-Marcel. Parmi eux se trouvent les sticks de l’aspirant Arsène Juillard et du sergent Alexandre Oguer du 4 e SAS encadrant les Tahitiens.

A Saint-Marcel, la résistance du Morbihan a installé un véritable camp retranché où sont organisés et équipés les volontaires F.F.I. soit l’équivalent d’un effectif de deux mille cinq cents hommes aux ordres du Colonel Chenailler dont le nom de guerre est Morice. 
Ce rassemblement de quelques milliers de combattants patriotes et de SAS autour de Saint-Marcel conduit le dimanche 18 juin 1944 à une réaction offensive lourde des Allemands. 

​La bataille de Saint-Marcel

Le capitaine Larralde et les SAS tahitiens sont en position au manoir de Sainte-Geneviève et couvrent le secteur de Bois Joly, tenu aussi par le bataillon FFI Le Gouvello. Un poste de secours est organisé dans un des pavillons. Vers 8h15, un détachement de la 7e compagnie du 2e régiment de parachutistes allemands se déploie rapidement vers eux. Les militaires progressent à travers les champs de blé et sous le couvert des taillis. Cinq résistants surpris en conversation avec une adolescente de 15 ans affectée à la garde de vaches sont abattus sans sommation. L’objectif des Allemands est de prendre la ferme de Bois Joly pour en faire un point d’observation et d’attaque de Sainte-Geneviève.

Le groupe de Larralde et les tahitiens se retrouvent rapidement en première ligne. Avançant en terrain découvert, les Allemands sont fauchés mais resserrent l’étau en particulier sur Sainte-Geneviève.  A 10h, Saint-Geneviève que les assaillants croient être le poste de commandement français subit une nouvelle attaque allemande appuyée par des tirs de mortiers. A 14h, l’ennemi repasse à l’offensive, renforcé de parachutistes de la redoutable division Kreta et d’un bataillon d’infanterie de géorgiens surnommés les cosaques. Les Tahitiens du sergent Oguer se défendent farouchement. 

Les combats sont au corps-à-corps et à la grenade. Les SAS tahitiens sont cités : Parachutistes plein d’allant et de courage, ont vaillamment combattu à Saint- Marcel le 18 juin 1944. A été un exemple pour les patriotes qui combattaient avec eux. Albert Colombani est blessé. Il est évacué sur l’infirmerie de Sainte-Geneviève. Une balle l’a frappé à la cuisse pour ressortir au niveau de la fesse. Après quelques soins, il retourne au combat.

Le répit vient de l’air avec un squadron de chasseurs bombardiers Thunderbolt de la Royal Air Force qui effectue vers 15h30 un close air support et déverse un feu ininterrompu pendant plus d'une heure sur l’ennemi. Mais ça ne suffit pas. 

En début de soirée, le décrochage est organisé par une nuit sombre, à travers champs et bois, à destination du château de Callac et sous une pluie battante. Une longue file de véhicules et environ 2000 hommes quittent le camp de Saint-Marcel.

Fateata Manarii sérieusement blessé est évacué. Il se réfugie dans une famille bretonne et échappe à la traque des Allemands. Fateata reste ainsi caché trois semaines jusqu'à la libération de Vannes puis il est transporté à la clinique de Malestroit.

Fortunes diverses

Le sergent Alexandre Oguer et les Tahitiens Pita Tihoni et Mahahe Orairai, qui ont été tous les deux légèrement blessés pendant les combats de Saint-Marcel, tentent de regagner le secteur d’Elven. Ils sont épuisés, affamés. Après de longues heures de marche, ils tombent dans une embuscade et sont finalement faits prisonniers. Tehaamoana, Tetuaea, Teavaearai (Paaheo), Etienne Colombani, Kiipuhia et Teai sont également faits prisonniers. Tous sont transférés en Allemagne en juillet 44. Et subissent les mauvais traitements réservés aux SAS. Ainsi, Tehaamoana a les ongles des doigts de la main arrachés avant de connaître le Stalag. 

Lors de son retour avec les volontaires du Bataillon du pacifique sur le Sagittaire, ironie du sort, le SAS Tehaamoana décède au large des côtes marquisiennes suite à un empoisonnement alimentaire et certainement faute de soins appropriés.

Les SAS tahitiens faits prisonniers sont transférés en Allemagne pour être stationnés dans divers camps qui seront libérés par les russes en avril 1945, ou les américains le 8 mai 1945.

Il semble que Kiipuhia a perdu les ongles de ses doigts de pied. Il est libéré par les Américains, le 9 avril 1945 pour être dirigé sur l'hôpital de Francfort. De retour en France, il subit plusieurs interventions chirurgicales. 

Lors de l’évacuation de Callac, Albert Colombani se fond dans la région d’Auray, échappe à la traque des unités allemandes et de la milice. Là, il encadre et forme les maquisards bretons au maniement des armes. Fin août 1944, on retrouve Albert Colombani dans la Loire avec le 4e SAS impliqué dans les opérations motorisées de reconnaissance et de harcèlement des convois allemands fuyant l’avance alliée depuis le débarquement de Provence.  

En décembre 1944, face à la contre-attaque allemande dans les Ardennes belges, les deux frères d’armes tahitiens Albert Colombani et Manaraii Fateata se retrouvent. En avril 45, ils sont parachutés avec 700 autres combattants au-dessus de la Hollande, pour l’opération Amherst. 

Source : Jean-Christophe Shigetomi, délégué de la Fondation de la France libre en Polynésie française et auteur de l'ouvrage Tamari’i Volontaires, les Tahitiens dans la Seconde Guerre mondiale (2015). 


Rédigé par JPV avec J.-C Shigetomi le Lundi 17 Juin 2019 à 08:52 | Lu 4106 fois