​Fruits et légumes, la fièvre des prix


Tahiti, le 8 avril 2020 - Peu ou pas d’importations, des initiatives pour écouler leur production… Les maraichers du fenua ont tout le marché. Ils ont aussi l'opportunité de démontrer leur capacité à répondre aux besoins des Polynésiens. Une façon donc de tester l'autonomie alimentaire et la possibilité de répondre à une demande à des prix abordables pendant l'épidémie. Les derniers relevés de prix de la DGAE donnent un aperçu, contrasté. Côté légumes, même en PPN, les prix peuvent faire tousser les consommateurs.
 
Depuis le début de l'épidémie de Covid-19, la mise en place des market drive et le développement des livraisons à domicile de produits agricoles ont mis en lumière les besoins de la population polynésienne. Des besoins auxquels quasiment seuls les producteurs locaux doivent répondre dans ce qui ressemble à une expérimentation grandeur nature de la souveraineté alimentaire prêchée par certains. 
  L'autonomie alimentaire testée  
C'est un fait. Les fruits et légumes frais locaux sont à l’abri de la concurrence extérieure. Déjà protégés par un système de quotas à l’importation, la production locale bénéficie désormais de la réduction de la desserte aérienne. Plusieurs légumes frais comme les salades, qui ne peuvent pas être acheminés par la voie maritime, ne peuvent en effet plus être livrés au fenua du fait de l'arrêt des rotations commerciales aériennes. Une façon d’expérimenter donc sur une courte période notre autonomie alimentaire et la capacité des producteurs à répondre à une demande réduite. Les hôtels et restaurants ayant en effet fermé leurs portes, seuls les ménages sont acheteurs. La période permet aussi de constater si, faute de concurrence extérieure, les prix pratiqués vont permettre à tous de s’approvisionner à moindre coût. Des dérapages en théorie contenus, plusieurs légumes locaux ont réintégrés la liste des produits de première nécessité (PPN) en janvier dernier après une période de liberté des prix guère concluante semble-t-il.
  Retour dans les PPN  
Plusieurs productions maraichères locales ont en effet fait l’objet d’un aller-retour furtif hors de la liste de PPN. Un retrait-retour effectué en moins d’un an qui n’est pas unique. Corned Beef et thon ont également été retiré de la liste au début de l'année dernière pour y retourner respectivement il y a quelques semaines et jours. Le 15 février 2019, le conseil des ministres décidait en effet de sortir les tomates entières, concombres, choux verts et choux blancs, pota, laitues, navets, aubergines, taro, courgettes de la liste des PPN. Les prix de ces fruits et légumes frais et non épluchés de production locale, devenaient ainsi libres d’être fixés par les commerçants. Une décision alors justifiée par la volonté du gouvernement “de retirer certains produits où l’encadrement administratif n’a eu que peu d’effet sur les prix de vente”.
 
Moins d’un an plus tard, fin janvier 2020, le gouvernement décidait de les réintégrer dans la liste “suite aux fluctuations récentes du prix des légumes frais”. Un reclassement qui avait pour effet “de supprimer la TVA de 5% et de limiter les marges globales de distribution à 120 Fcfp/kg pour les tomates et à 35% pour les autres légumes” à compter du 1er février 2020. Une mesure qui visait donc à rendre plus abordables et “maintenir l’accès à nos populations les plus démunies et particulièrement celles des îles éloignées aux produits frais nécessaires à leurs besoins quotidiens”. En l'absence de réglementation, les prix auraient grimpé dans certains réseaux de distribution et les agriculteurs auraient perdu “la mainmise sur le prix” selon un ingénieur de la CAPL.
  Petite baisse puis forte hausse  
La comparaison dans le temps des relevés de prix effectués par la DGAE est à cet égard intéressante. Le service du Pays a en effet effectué des relevés sur Tahiti en mars 2019, février et mars 2020 sur ces produits. Des périodes qui permettent donc de comparer au même moment de la saison les prix pratiqués, qu’ils soient libres –de mars 2019 à janvier 2020– ou réglementés, à savoir depuis février 2020. En février, les prix moyens relevés par la DGAE des navets, concombres, tomates et pota étaient inférieurs entre 10 et 15% à ceux pratiqués en mars 2019 au moment où les prix étaient devenus libres. Un constat positif qui pouvaient laisser supposer que la réintroduction sur la liste des PPN avaient eu un effet favorable sur les prix. Sauf qu'entre février et mars 2020, alors que l'épidémie a rattrapé la Polynésie, les productions locales, principalement maraichères, ont vu leur prix fortement grimper à quelques très rares exceptions près. 
  Des hausses supérieures à 40% en un mois   
Si, sur un mois, le prix moyen des tomates ou de la laitue en sachet n'ont progressé que de 4,4%, celui des autres productions locales a connu des hausses à deux chiffres : +17,1% pour le chou vert, +26,6% pour le pota vert, +46% pour le navet et le pota blanc et +67,6% pour la courgette. Des hausses de 70 à 170 Fcfp le kilo selon les cas. Avec un prix moyen compris entre 300 et 350 Fcfp, le concombre local trouvait des amateurs. Désormais vendu en moyenne à 585 Fcfp, soit une hausse de +92,7% en un mois, il est moins évident que ce légume trouve sa place dans les assiettes polynésiennes. 
Du côté des fruits locaux, le phénomène est moins perceptible, les prix moyens de la banane locale et du citron étant en baisse. Seuls la pastèque et le pamplemousse connaissent des hausses significatives sur un mois, respectivement de +7,8 et +29,3%. La réintroduction dans la liste des PPN afin d'éviter les fluctuations n'a semble-t-il pas fonctionné.
  Demande, pluie ou abus ?  
Reste à savoir d'où proviennent ces hausses de grande ampleur. L'explication économique consisterait à dire que l'offre des producteurs est inférieure à la demande des consommateurs, les prix seraient alors tirés vers le haut. Une explication qui ne tient pas longtemps. Lors de la conférence agricole organisée fin février, les producteurs avaient, comme tous les mois, informé les services du Pays de l'état de la production locale prévue pour mars 2020. Des chiffres communiqués qui témoignaient de l'absence d'intérêt d'importer certains légumes dont la production locale suffirait à répondre aux besoins locaux. Concombres, courgettes, aubergines et pamplemousses étaient ainsi produits en nombre suffisant, leur importation était interdite. Celle relative aux navets était limitée à sept tonnes par voie maritime. La production locale est donc supposée être suffisante sans que cela génère des tensions sur les prix d'autant que certains producteurs ont indiqué avoir du mal à écouler leur production. Les marchés communaux étant fermés et l’accès aux commerces alimentaires moins aisés, les ventes s'en trouveraient réduites. 
 
Les conditions climatiques ont également pu perturber la production. L’épisode pluvieux du 29 février dernier est ainsi dans toutes les têtes. Il était tombé sur Tahiti et Moorea en 24 heures autant de précipitations qu’en un mois. Un phénomène limité qui venait après une saison des pluies relativement clémente et qui n'avait pas l'objet de calamités agricoles importantes.
 
Le statut de PPN est censé pourtant garantir des prix bas et abordables aux plus démunis. Une fois le prix du producteur local fixé, la marge de commercialisation prévue par les textes s'applique. Il reste que le prix producteur est libre, la marge maximale de 35% s'applique à partir de celui-ci, quel que soit son niveau. Le système n'empêche donc pas le consommateur de subir de fortes fluctuations ou quelques producteurs de retrouver effectivement la mainmise sur les prix.



Rédigé par Sébastien Petit le Mercredi 8 Avril 2020 à 23:14 | Lu 7226 fois