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Henriette Kamia, une autre façon de voir


TAHITI, le 2 juin 2021 - La fédération Te Niu o Te Huma, qui a récemment dévoilé son nouveau site internet, est présidée par Henriette Kamia. Originaire des Marquises, elle est devenue enseignante, s’engageant au fil du temps dans le milieu associatif. Non-voyante depuis ses premières années d’enseignement, elle tient à son autonomie et se bat pour celle des autres personnes porteuses de handicap.

"Nous avons des devoirs, mais aussi des droits. Je tiens à défendre les droits des personnes handicapées", insiste Henriette Kamia, présidente de la fédération Te Niu o Te Huma. Elle est également présidente fondatrice de Handisport, a participé à la naissance de la Maison polynésienne du handicap. Il y a tant de choses à voir, "et à revoir" ! Elle veut voir changer les choses, c’est-à-dire les aménagements, installations, équipements, mentalités, mais aussi la réglementation. Pour cela, elle se donne les moyens. Elle ne veut rien "casser", elle cherche toujours à "améliorer les situations en douceur". Elle fait des propositions argumentées, illustrées, éprouvées. "On ne veut pas être dans l’obligation, mais dans la valeur ajoutée !". Son idée ? "Mutualiser pour être force de propositions".

Elle reconnaît de récentes avancées dans les transports, le logement, l’insertion, "disons que cela va dans le bon sens", mais cela reste insuffisant à son goût.

Une éducation à la dure

Henriette Kamia est née aux Marquises en 1955, sur la petite île de Fatu Hiva. Ses parents, aimant, étaient coprahculteurs. À l’âge de 6 ou 7 ans, elle est allée à l’école "chez les bonnes sœurs de Hiva Oa". Elle a suivi sa scolarité à l’école Sainte-Anne. "Aujourd’hui, c’est mixte mais, à l’époque, c’était chacun chez soi ! Les garçons étaient chez les frères." À l’époque également, les enfants quittaient leur île pour dix mois. "On ne rentrait que pour les grandes vacances de juillet." À l’école, loin des siens, elle se sentait un peu "comme en prison". Les jeunes filles participaient à tous les travaux : le ménage, la construction… "Le curé faisait l’architecte, nous on cassait la montagne à la barre à mine, on allait chercher le gravier, le sable, c’était nous les camions !" Elle dit aussi avoir reçu des coups de balai, "il n’y avait pas que les parents qui nous rossaient !".

Elle ne se rappelle pas ses vacances, sans doute trop courtes, sur Fatu Hiva. "J’ai l’impression de ne pas en avoir eues !" Mais, elle ne se plaint pas. "On a appris à respecter nos enseignants, nos encadrants." Elle a suivi le primaire et le collège à Hiva Oa avant de partir pour Tahiti "car ensuite, il n’y avait plus rien aux Marquises, ni dans le public, ni dans le privé". Elle avait 17 ans. En y repensant, elle croit bien avoir toujours voulu être dans l’éducation.

Dans tous les cas, elle a quitté le lycée en 1re, ses parents ne pouvant assumer financièrement sa scolarité. "J’avais des frères et sœurs qui suivaient." Elle a passé et réussi un concours d’entrée à l’École normale et un autre pour entrer à l’école d’infirmière. "J’ai choisi l’école normale car, en fin de compte, j’avais peur de la mort. Un de mes yeux ne fonctionnait plus." Elle a pu avoir des bourses pour continuer. Deux ans d’études l’attendaient. "Une première année très théorique avec quelques séances en classe et une seconde plus pratique. On avait des stages et un examen à la fin de cette deuxième année." Mais elle n’a pas atteint son objectif comme elle l'envisageait. Un problème de santé est survenu : une thrombose veineuse bilatérale, conclurent les médecins. "En fait, l’un de mes yeux ne fonctionnait plus", raconte Henriette Kamia qui n’imaginait pas alors qu’elle perdrait un jour complètement la vue. "J’ai passé l’examen de deuxième année avec un seul œil."

Elle a démarré l’année scolaire suivante dans une école à Faa’a, mais au bout d’un mois, elle n’y voyait plus. Elle était au volant quand c’est arrivé. "D’un coup, j’ai vu tout flou. Le destin a voulu que je m’arrête, heureusement devant la maison d’une copine ! Je suis allée la chercher pour qu’elle me conduise à l’école à Faa’a afin de prévenir le directeur." Henriette Kamia fut hospitalisée à Tahiti puis évasanée en France. En arrivant à Paris, elle voyait encore. Elle perdit complètement la vue progressivement dans les six mois qui suivirent.

Tout cela, pour Henriette Kamia, est une "leçon de vie". Elle dit s’être "rebellée". Elle s’est battue. "Je me suis faite toute seule !" Ses parents auraient préféré qu’elle rentre à Fatu Hiva. "Je voulais vivre !" Elle a décidé d’aller en France, d’apprendre le braille pour pouvoir ensuite l’enseigner au fenua. "Je tenais à rester dans l’éducation." Elle séjourné deux ans à Marseille et "ça a été dur pour moi qui avait toujours été chouchoutée par ma famille. En France, j’ai appris à me débrouiller, j’ai pris connaissance des codes en ville pour me déplacer, je me suis habituée à utiliser une canne."

Se battre et se faire respecter

À Tahiti, une école pour les personnes sourdes existait déjà. Elle se situait à Paofai. Une classe pour les déficients visuels a vu le jour ensuite au sein du Centre de l’éducation de l’ouïe et de la parole (Cedop) ouvert à Pirae. "Au début, on était trois", raconte Henriette Kamia qui a enseigné dans ce centre (fermé depuis). Elle y a travaillé entre 1980 et 2010, année au cours de laquelle elle a pris sa retraite. Elle a dû dépasser un certain nombre d’obstacles, à commencer par… les déplacements. Elle habitait Punaauia, loin de son lieu de travail. Elle a trouvé une maison à Arue, la rapprochant un peu du Cedop, sans régler pour autant la problématique du transport. Il lui a fallu trouver une entente avec le chauffeur de bus pour pouvoir circuler librement.

Son engagement dans les associations s’est construit sur la base de sa propre expérience et de son propre vécu : "Comment une personne porteuse de handicap peut-elle aller travailler si elle ne peut pas se déplacer ?", lance-t-elle parmi d’autres questions. En 1986, a été nommée présidente d’une association, découvrant de nouveaux obstacles. "Je ne vois pas et, parfois, je signais des papiers sans vraiment savoir ce que c’était, j’ai pris peur car j’engageais ma responsabilité." L’année suivante, elle prenait les choses en main, montant un bureau composé de personnes de confiance. Depuis, sa motivation et sa ferveur au combat n’ont pas changé.

Contacts

Tél. : 40 819 819 <br /> Mail : [email protected]

Le nouveau site Handicap Polynésie est consultable en neuf langues (chinois, anglais, français, allemand, italien, japonais, portugais, russe et espagnol), cette plateforme, qui se veut inclusive, est destinée à tous les Polynésiens, porteurs de handicap ou non.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 2 Juin 2021 à 17:00 | Lu 2199 fois