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Ils battent le pavé pour dépister les Infections sexuellement transmissibles chez les travailleurs du sexe


Les maraudes sont composées de bénévoles et de professionnels de la santé, certains prenant sur leur temps personnel.
Les maraudes sont composées de bénévoles et de professionnels de la santé, certains prenant sur leur temps personnel.
PAPEETE, le 3 juillet 2016 - Depuis plusieurs semaines, une équipe, composée de bénévoles de l'Ordre de Malte et du Secours catholique ainsi que des personnels de santé, arpente les rues pour faire de la prévention et effectuer des dépistages auprès des travailleurs du sexe.

19 heures sonnent à la cathédrale de Papeete. A l'intérieur du lieu sacré, certains fidèles prient, d'autres discutent. Voilà près d'une heure qu'un épais manteau noir a recouvert la ville. Une légère brise se lève et rafraîchit l'atmosphère. Dans les rues adjacentes, Père Christophe se tient debout à côté du "truck de la miséricorde". Ce soir, l'homme d'église ne rassemble pas ses fidèles mais un petit groupe de bénévoles. Objectif de la nuit: faire une maraude afin d'effectuer de la prévention et des dépistages d'infections sexuellement transmissibles auprès des populations dîtes "à risque". Une poignée de minutes plus tard, le docteur Nguyen arrive. L'équipe de bénévoles est au complet. Le camion démarre.
Direction les arcades d'un bâtiment près du pont de l'Est. Une fois sur place, tout le monde s'affaire à la tâche. Tables, tabourets, lampes électriques, trousses de soin et questionnaires apparaissent petit à petit. L'ambiance est bon enfant. Chacun y va de sa petite phrase pour faire sourire.
A peine l'équipe a-t-elle largué les amarres que déjà, une première "patiente" arrive.

"ÇA ME RASSURE"

La jolie brunette est élancée, a la taille mince et des traits fins. Les bises claquent. Les salutations sont chaleureuses. Vaea* prend place en face du Docteur Nguyen. En toute confiance, elle remplit le questionnaire et répond aux questions du médecin. La travailleuse du sexe se laisser piquer le doigt pour le dépistage. Quelques instants plus tard, une gouttelette de sang y fait son apparition. La jeune femme presse dessus avec un coton, le sourire toujours aux lèvres. Le dépistage est un test anonyme et sans douleur. "Je viens ici plusieurs fois par semaine, confie celle qui exerce dans la rue depuis janvier dernier. Je sais qu'ils sont là pour faire les tests, ça me rassure. Je peux venir ici sans problème, c'est gratuit et totalement anonyme." Sans cette maraude près de son lieu de travail, Vaea ne se déplacerait pas d'elle-même. Celle qui rêvait d'être journaliste ne serait jamais dépistée et continuerait son travail sans connaître son état de santé.
"Si tu ne mets pas de capotes, j'enlève pas ma culotte", chantonne un des bénévoles comme pour dédramatiser la situation. Vaea le regarde, amusée. "Le problème, ce n'est pas le fait de ne pas vouloir mettre la capote. Moi, j'insiste toujours pour que le client la mette. Mais voilà, beaucoup ne veulent pas, ou payent moins cher s'ils la mettent. Certains vont même refuser et vont aller voir ailleurs… Toutes ces situations sont compliquées", soupire la jeune femme.
Père Christophe se lève et part à la rencontre des autres travailleuses : celles, trop timides, qui n'osent pas venir d'elles-mêmes. De l'autre côté de la rue, deux d'entre elles attendent en fumant des cigarettes. Père Christophe les salue et les invite à se rapprocher de leur camion de fortune. "Venez avec nous, on va s'asseoir et discuter quelques minutes…"
Les deux jeunes femmes acquiescent et lui emboitent le pas. Arrivées au camion, Stéphane l'infirmier leur donne un jus de fruits. La discussion s'engage. "C'était quand la dernière fois que tu as fait le test?", Leila* ne sait plus très bien. Son amie non plus. Sourires gênés. Après avoir fini leurs boissons, l'une d'entre elles prend son courage à deux mains et se dirige vers la table pliante où le docteur Nguyen attend. Voyant que Leïla le fait, sa collègue approche à son tour.
Après avoir discuté longuement avec Père Christophe, les deux femmes repartent avec une réponse à leurs interrogations, des conseils de professionnels de la santé et des préservatifs. Elles embrassent chaque bénévole avant de disparaître au détour d'une rue.

INSTAURER LA CONFIANCE

Pour le dépistage, une prise de sang au bout du doigt suffit.
Pour le dépistage, une prise de sang au bout du doigt suffit.
En ce dernier jour de juin, la nuit est calme. Parmi tous les travailleurs sur le trottoir, certains ne prêtent aucune attention au camion et ses occupants. "Il est parfois dur de les convaincre. Installer un climat de confiance reste notre plus gros objectif à l'heure actuelle. Il faut leur parler, leur montrer ce qu'on fait, leur expliquer… Ce sont des choses qui prennent du temps", commente l'infirmier, qui travaille aussi avec les SDF.
Le truck file à travers les rues de Papeete. Deuxième arrêt près d'un bâtiment désaffecté. Deux travailleuses du sexe attendent. "Il n'y a pas grand monde ce soir", regrette l'une d'entre elles. "On fait le test?" lui soumet le Docteur Nguyen. "Je l'ai fait il n'y pas si longtemps que ça, lui répond-elle. Et tu n'as pas pris de risques depuis?" Cette dernière souffle un "non" discret. Pas de test, peu importe.
Le volet prévention prend le relais. L'équipe du docteur Nguyen leur distribue des préservatifs avant de repartir. Prochain arrêt : le parc Bougainville.
Près du front de mer, les artisans rangent leur stand. Les clients du snack terminent leur repas. L'équipée continue un peu plus loin. Ce soir-là, les travailleurs du sexe se font discrets, pour cause de Heiva. "Il n'y a pas grand monde visiblement. Ce sera difficile de continuer", présume le docteur Nguyen. Il est près de 22 heures, l'équipe décide d'abandonner la maraude pour la soirée. Retour à la cathédrale. L'air est devenu plus frais. La plupart des fidèles a disparu. Les bénévoles s'embrassent et se donnent rendez-vous dans deux semaines : même heure, même endroit, même mission.
* Les prénoms ont été modifiés

" Ce n'est que le début mais il faut agir vite! "

Docteur Nguyen.
Docteur Nguyen.
Depuis quand faîtes-vous ces maraudes?
C'est assez récent. Nous avons commencé à la faire auprès des populations SDF d'abord. Et là, nous commençons à travailler avec les populations vraiment exposées, c'est-à-dire les travailleurs du sexe.

Comment fonctionne cette opération?
Nous en sommes à la phase d'exploration pour nouer le contact avec les gens. Normalement, les travailleurs du sexe ont des zones d'actions bien particulières. Par exemple, une personne ne va pas changer de zone tout le temps. Elle reste fixée. Tandis que nous, si nous restons au même endroit, nous n'allons avoir que les gens qui sont autour qui vont venir. Nous n'atteindrons pas les autres personnes qui sont aussi dans le besoin. C'est pour cette raison que je souhaite avoir un vrai camion aménagé. Avec ceci, nous pourrions avoir une sorte de QG mobile avec lequel il serait possible de se déplacer tranquillement, quelque soit les conditions météorologiques.

Pourquoi avoir lancé ces maraudes?
Actuellement, il y a une explosion des infections sexuellement transmissibles! A l'heure actuelle, nous faisons de la prévention et quelques missions de dépistage, mais ce n'est pas assez. L'idée, à terme, est d'atteindre plus de monde. Nous souhaitons faire un suivi à long cours, non pas simplement des actions coup de poing comme celle-ci. Il faudrait que les travailleurs du sexe puissent avoir un recours régulier au test, non pas seulement le VIH et la syphilis, mais aussi d'autres tests concernant les autres IST pour pouvoir les détecter à temps, les soigner tout de suite et éviter la transmission. Ca c'est l'idée. Plus tard, si l'on peut, avec la collaboration d'autres services bénévoles, on pourrait imaginer un "package" un peu plus complet pour accéder aux gens qui ne font pas appel au système médical standard. Nous souhaiterions mettre en place un suivi pour les IST mais aussi pour contrôler la tension, le diabète, l'obésité, les habitudes additives comme le tabac, l'alcool et le paka. Il faut enrichir la démarche avec une équipe un peu plus multidisciplinaire et voir comment on peut proposer quelque chose de plus complet et moins stigmatisant. C'est-à-dire faire une sorte de "package", une sorte de carte de santé pour tous et mettre de l'argent dedans, plutôt que de le dépenser dans des conneries!

De quels moyens disposez-vous aujourd'hui?
A l'heure actuelle, c'est un peu du bricolage. Avant ce soir, nous avions une voiture qu'on nous prêtait avec un petit rideau, derrière lequel les patients pouvaient se mettre mais au niveau de l'intimité, ce n'était pas terrible. Aujourd'hui, on nous prête un camion mais il va falloir que nous en achetions un à l'avenir. Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Il nous faut un camion aménagé à l'intérieur avec un petit lit pour faire allonger les patients, des rangements pour mettre les soins et un petit frigo pour conserver les prélèvements… Il faut que l'on trouve ces moyens! Je souhaite que d'ici à la fin de l'année, nous soyons équipés car sinon, on ne pourra jamais monter en puissance! Pour le moment, c'est pas mal, on corrige les défauts de jeunesse mais ce n'est pas suffisant. Désormais, il faut que nous défendions notre projet et que nous trouvions des mécènes prêts à nous aider! Avec ce camion aménagé, nous aurons les moyens d'agir comme un levier et de faire bouger l'épidémie dans un sens ou dans l'autre. Je ne prétends pas que je vais arrêter l'épidémie d'IST en Polynésie. Mais je prétends au moins ralentir le phénomène et éviter la propagation… Et là, ce n'est que le début mais il faut agir vite! Car, si nous ne faisons rien, d'ici quelques années, le nombre de VIH (NDLR: Virus d'immunodéficience humaine) va considérablement augmenter. Cette maladie se propage comme les IST même si sa transmission est moins efficace. Pour l'heure, nous n'avons que très peu de cas connus, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas!

Une épidémie loin d'être nouvelle

"Mais que font les services de santé du gouvernement?" Cette question, beaucoup de monde se la pose. Depuis plusieurs années maintenant, bon nombre de professionnels de santé tirent la sonnette d'alarme: la Polynésie est en proie à une recrudescence des maladies sexuellement transmissibles. Sauf qu'il ne suffit pas d'en parler pour enrayer le phénomène. En mai dernier, le constat était sans appel: les cas de MST ont été multipliés par deux entre 2014 et 2015. Selon un article de Tahiti Infos : "Une synthèse des données de laboratoires relative aux infections sexuellement transmissibles en Polynésie française remise au gouvernement, rapporte une recrudescence alarmante des chiffres de la syphilis, du chlamydia et de la gonococcie (chaude pisse) avec un accroissement par plus de deux des cas identifiés pour chacune de ces maladies."
Le 23 juin dernier, à l'occasion du conseil des ministres, Patrick Howell, ministre de la Santé a détaillé son plan polynésien de prévention contre la prolifération des maladies et infections sexuellement transmissibles. Selon les premières estimations le coût de ce plan est évalué à 40 millions Fcfp, avec un besoin minimal de 15 millions Fcfp avant la fin 2017. A court terme, ce dispositif prévoit la commande immédiate de 40 000 préservatifs et la mise en place d’un programme de sensibilisation des 14-25 ans, dès juillet prochain, puis d’août à janvier 2017 un "plan d’urgence" articulé autour d’un volet "préservatif", d’un volet "dépistage et traitement" et d’un volet "communication". Plusieurs enquêtes ont en outre été annoncées jusqu’en 2018 pour permettre une meilleure compréhension des causes à l’origine des comportements à risque dans la population. Un programme de prévention primaire est ensuite prévu jusqu’en 2022 à la lueur des données.

Rédigé par Amelie David le Dimanche 3 Juillet 2016 à 21:03 | Lu 4132 fois