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​Le prof sadique écroué


Tahiti, le 8 septembre 2020. Humiliations, sévices, crachats, gifles… Après 20 ans d'omerta, une avalanche de témoignages s'abat sur Massimo Raveino, 61 ans. Reconnu coupable de violences aggravées sur une vingtaine d'élèves de CM1, il a écopé de 2 ans de prison ferme avec mandat de dépôt.
 
"Il écrasait les joues, et quand la bouche était ouverte il crachait dedans". L'un après l'autre, chaque élève décrira aux enquêteurs la même signature, sadique et perverse. Soit 21 jeunes enfants âgés de 8 à 10 ans. Des déclarations corroborées sur les réseaux sociaux par quelques centaines d'autres, devenus adultes. Cité à comparaître pour violences aggravées sur mineur devant le tribunal correctionnel, Massimo Raveino, 61 ans a écopé de 2 ans de prison ferme avec mandat de dépôt, et interdiction d'exercer une fonction en lien avec des mineurs. Les juges ont même été plus sévères que le procureur. Ce dernier ayant requis 36 mois dont 2 ans avec sursis. "Au lieu de faire de l'école un lieu où on tire vers le haut, monsieur Raveino en a fait une sphère de sadisme, un défouloir" commente le procureur.

Piégés derrière les portes closes de la salle de classe, les élèves de CM1 racontent les sévices et les humiliations devenues la norme. "La chèvre," "le gros", "l'handicapé", ou le "mahu". D'abord affublés de petits noms dégradants, les élèves sont forcés à "défiler comme des miss". Quand ils se trompent, ou qu'ils "n'écoutent pas", il leur ordonne de se mettre à genou, parfois "pendant des heures". "Après il demandait aux autres élèves de nous tirer les oreilles, ou de nous pincer, et s'ils refusaient de le faire, il passait derrière et il leur faisait un massage thaïlandais" témoigne un élève lors des auditions. Cruel, le procédé consiste à enfoncer les doigts dans leurs petites épaules, "jusqu'à les faire pleurer".

Il achète leur silence avec des pièces de 100 francs

Il y aussi les sévices à tendance "scato", dont chaque évocation provoque une expression de dégoût sur le visage des parents, sur le banc de la partie civile. "Pourquoi leur cracher dans la bouche ?" interroge Nicolas Léger, président de la cour. "Pour leur dire de ne pas cracher sur les autres" se défend l'intéressé. "En leur crachant dans la bouche ?" persiste Nicolas Léger. Pas de réponse. "Vous confirmez ces punitions collectives ?" tente-t-il à nouveau, citant le cas d'un enfant aux oreilles devenues "violettes". "J'avais délégué le choix de la sanction au conseil de classe" tente l'homme à la barre. "Une classe d'élèves de 8 ans, ce n'est pas le conseil de l'ordre des médecins, ni une démocratie participative monsieur. Bon et les brimades physiques, vous confirmez ?" recadre le président. "C'était pas tous les jours, c'était exceptionnel" se hasarde le sexagénaire.

Reste que sur les réseaux sociaux, 618 autres personnes portent les mêmes accusations. Essentiellement des anciens élèves. Preuve d'une certaine omerta. "On avait tellement peur des représailles, qu'on préférait se taire" raconte une ancienne élève, aujourd'hui 30 ans et mère de famille. L'instituteur allait jusqu'à acheter leur silence avec des pièces de 100 francs. "Les gifles", "les coups de pieds", "les coups derrière la tête", "les pets au visage" : c'est désormais une avalanche de témoignages qui s'abat sur le prévenu. 

"Une relation marquée par la soumission à l'autorité"

"Monsieur comble le déficit affectif dont il a été victime par des sévices corporels" analyse l'expert psychiatre, soulignant un décalage entre son discours et celui des élèves. "Il se situe sur le même registre que les enfants. Il nie la réalité des faits et ne présente aucune forme d'empathie". "Narcissique pervers", Massimo a "besoin d'être admiré dans une relation marquée par la soumission à l'autorité."

Affecté à l'école de Vai'aha à Faa'a depuis 2013, Massimo a pourtant été visé par de nombreux signalements auprès du directeur, qui a préféré attendre "une preuve". Celui-ci est d'ailleurs poursuivi pour "non dénonciation de mauvais traitements, privations, agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur". Il a fallu attendre un certificat médical et un dépôt de plainte d'un parent courageux, 20 ans après les premiers dérapages, pour que l'affaire sorte au grand jour. "Une politique de l'autruche" qui lui coûtera quatre mois de prison avec sursis, et cinq ans de mise à l'épreuve.
 

Du parachutisme aux salles de classe

Originaire de Huahine, Massimo reçoit une éducation particulièrement stricte. Membre d'une fratrie de 12 enfants, il se voit infliger très jeune des "punitions sévères" assorties de "châtiments corporels". A l'âge de dix ans, il intègre l'internat du collège Lamennais à Tahiti. S'il est pris en charge en semaine, l'adolescent erre dans les rues de Papeete, devenant "SDF le week-end".
Malgré un contexte familial difficile, il obtient son bac et s'envole pour la métropole pour des études de droit. Bien qu'il décroche une licence de droit, il s'engage dans l'armée et choisit d'intégrer une unité de parachutistes à Pau. Sous-officier à l'âge de 24 ans, il est envoyé avec les forces françaises au Liban, où il échappe aux deux attentats suicides de Beyrouth le 23 octobre 1983. Cinquante-huit parachutistes français périront dans l'explosion. "J'ai perdu tous mes amis ce jour-là" déclare Massimo aux experts. En état de stress post-traumatique, le militaire passe en sas de décompression. À son retour à Tahiti 4 ans plus tard, il entame une reconversion. Ce sera dans l'enseignement. Il effectue d'abord des remplacements, avant de passer le concours de l'école normale avec succès. En parallèle de son poste d'instituteur, il devient responsable du département technique de l’arbitrage pour la fédération tahitienne de football.
 

Soi-disant confiné pour échapper à son procès

8h30. Une dizaine d'enfants accompagnés de leurs parents attendent sagement sur le banc de la partie civile, un prévenu qui n'arrive pas. Alors que tout le monde s'est déplacé, les juges décident de suspendre l'audience une heure le temps d'aller chercher le principal intéressé, qui fera donc l'objet d'un mandat d'amener. Finalement joint par téléphone, le prévenu justifie son absence par un "confinement strict". Prétexte qui s'avère faux après vérification auprès de l'institut Louis Malardé. C'est finalement dans les rues de Papeete que Massimo Raveino est retrouvé, puis escorté au palais de justice. Après toute cette agitation, hors de question pour les juges de renvoyer l'affaire, malgré la requête de Me James Lau, l'avocat de la défense. Le procès aura bien lieu. En guise de protestation, le conseil a claqué la porte. Massino Raveino n'a pas sollicité l'assistance d'un autre commis d'office.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Mardi 8 Septembre 2020 à 19:34 | Lu 13547 fois