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Biomim4Coral : une nurserie de corail sans plastique


Tahiti, le 7 septembre 2020 - Exit les arbres à coraux en plastiques. Biomim4Coral repense les pépinières coralliennes en cultivant ses boutures sur des arbres en pandanus tressés par des artisans des Australes. Porté par le Criobe et l'Institut polynésien de biomimétisme (IPB), le projet s'inspire des forêts pour créer de l'ombre et faire tomber la température de l'eau, facteur de blanchissement.
 
Posés entre 6 et 10 mètres de fonds entre la baie de Cook et celle de Opunohu, de curieux sapins sont bercés par les courants. Pas de guirlandes suspendues dans cette forêt sous-marine, mais des boutures de corail. La pépinière du Criobe (*) cultive ici depuis trois ans des arbres artificiels à coraux. C'est sur leurs branches que les boutures se développent avant d'être greffées sur un récif corallien. Bien qu'innovante, la technique de sauvegarde arrivée tout droit des Etats-Unis (lire encadrée) ne protège pas les greffes contre les pics des températures. En 2018 et en 2019, deux vagues de blanchissement ont décimé près de 50% des jeunes pousses (1 600 sur 3 200), obligeant les pépiniéristes à revoir la structure de leur arborescence. Structure par ailleurs, peu respectueuse de l’environnement.

En tube de PVC, la composition des arbres se heurte en effet à la démarche de préservation des récifs coralliens. "En termes de dégradation du plastique, c'est pas terrible. Si d'un côté tu fais une action positive et que la manière d'y arriver a un impact négatif, quel est le coût bénéfice ?" interroge Laetitia Hédouin, chargée de recherche CNRS. Outre l'usage de plastiques et de colles chimiques, ce type de pépinière requiert un travail manuel extrêmement fastidieux, coûteux et chronophage. "On est obligé de fixer les implants coralliens sur le récif un par un", développe la chercheuse.

Laisser le corail reprendre son souffle

Si dans l'ensemble pourtant, le concept fonctionne, il n'est pas suffisamment efficace contre le réchauffement, sachant qu'au-delà de 29 à 30 degrés le corail entre dans un état de stress thermique. Résultat, il se vide de ses nutriments (zooxanthelle). Ainsi trop fréquents, les épisodes de blanchissement ne laissent pas le temps au récif de se régénérer : à force d'expulser les microalgues qui les font vivre, les espèces coralliennes les plus fragiles, à l'instar de l'Acropora, menacent de disparaître. "C'est un peu comme nous, quand on a de la fièvre : à 37 degré ça va, mais si on reste à 39 degré trop longtemps, au bout d'un moment les fonctions vitales sont atteintes" illustre la scientifique.

"On s'est demandé comment faire pour limiter le stress au sein de la pépinière, sachant que le blanchissement est dû à une combinaison de température et de fortes lumières." La réponse, ils la trouveront dans le biomimétisme, démarche tendance qui consiste, comme son nom l'indique, à imiter la nature. "On a choisi la fonction d'ombrage qu'on peut trouver dans les forêts, on a redessiné nos arbres avec des plateaux qui créent de l'ombre au sein du champ" poursuit Laetitia. En partenariat avec l'Institut polynésien de biomimétisme (IPB), le Criobe a donc mis au point le projet Biomim4Coral.

"Se faire connaître" avec Tech4Islands

Les branches en PVC des arbres laissent donc la place à des cerceaux tissés en pandanus par des artisans des Australes. "L'idée c'est qu'elles colonisent complètement le pandanus, qu'elles le recouvrent, et au bout de six mois il nous suffit de poser le plateau sur le récif avec un système d'attache, plutôt que de coller une par une les boutures" résume la chargée de projet. Immergés vendredi seulement, les premiers prototypes sont à l'essai. "Tout se passe comme prévu à ce stade, commente François  Briant, fondateur de l'institut. Plusieurs associations focalisées sur la restauration corallienne en Polynésie ont déjà exprimé le souhait d'utiliser nos nurseries dans un futur très proche." C'est d'ailleurs l'objectif visé par le projet en participant à Tech4Islands : "se faire connaître" et "décrocher des financements" au passage.

* (Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l'Environnement)
 

​ Le père de l'arbre à coraux

C'est à un collectionneur de poissons que l'on doit le concept d'arbre à coraux. L'Américain Ken Nedimyer a créé la Fondation de restauration du corail (CRF), en 2007 à Key Largo (Floride), en réponse au déclin généralisé des espèces de coraux sur le récif situé au large de la Floride, entre Miami et Key West. Plus grande organisation de restauration de coraux de récifs au monde, c'est elle qui assure la majeure partie du travail de sauvegarde en Floride et dans les Caraïbes, s'appuyant sur une dizaine de salariés et une armée de bénévoles. Selon l'AFP, la fondation dispose de plus de 500 arbres artificiels en Floride, permettant de faire pousser plus de 50 000 coraux. Pour ce "jardinage" très particulier, l'organisation associe des touristes à des fins pédagogiques. Des initiations que l'institut de biomimétisme propose depuis peu avec Eleuthera Plongée Tahiti.

Rédigé par Esther Cunéo le Lundi 7 Septembre 2020 à 19:18 | Lu 18089 fois