Une proposition pour retoucher la loi Morin


Tahiti le 16 décembre 2025. La conférence des Présidents de groupes à l’Assemblée nationale a choisi la proposition de loi visant à améliorer l’indemnisation des victimes de l’exposition aux essais nucléaires en Polynésie française proposée par Mereana Reid-Arbelot, pour être débattue lors de la semaine transpartisane de janvier 2026 à l’Assemblée nationale. Des actes forts y sont proposés comme l’abandon du seuil de 1 millisievert ou encore le remboursement des sommes engagées par la CPS pour les soins des personnes atteintes de maladies radio-induites reconnues.

 
Mardi, la députée indépendantiste se félicitait sur les réseaux sociaux de cette décision qui fait suite au rapport d’enquête parlementaire conduit par cette dernière et Didier Le Gac, député du Finistère.

"Notre engagement est clair", écrit la députée. "Faire reconnaître toutes celles et tous ceux qui ont contribué, volontairement ou non, à une page de notre histoire qui a façonné la puissance stratégique de la France. Cette reconnaissance doit aller de pair avec la mémoire, le respect, la réparation et la réconciliation, notamment envers les populations directement exposées en Polynésie française."

Sa proposition de loi, enregistrée le 2 décembre dernier par la présidence de l’Assemblée nationale, vise "à reconnaître les victimes de l’exposition aux essais nucléaires français et améliorer leur indemnisation."

Appuyé par le rapport de la commission d’enquête qui revenait, notamment, sur "la fragilité scientifique du seuil d’exposition actuellement utilisé pour apprécier les demandes, l’extrême difficulté voire l’incapacité du régime en vigueur à produire des décisions perçues comme justes, ainsi que la nécessité d’un dispositif cohérent, transparent et compréhensible par tous", la proposition de loi devra franchir les obstacles dressés devant elle à l’Assemblée nationale et au Sénat.

"Les conclusions de la commission d’enquête confirment l’existence d’une rupture de confiance durable entre les populations frappées par les conséquences des essais et les institutions de la Polynésie française et de l’État’" explique Mereana Reid-Arbelot dans sa proposition. "Restaurer cette confiance suppose d’adapter le droit aux réalités scientifiques, de simplifier la procédure, de garantir l’égalité de traitement pour les individus et pour les collectivités."

Fin du millisievert

Evidemment, la transformation du risque négligeable de la première loi Morin en 2010, transformé en seuil de 1 millisievert en 2017, est dans le viseur de la proposition de loi. "Le CIVEN, lui-même, lors des auditions de la commission d’enquête, a admis que ce seuil était un seuil administratif et de gestion et qu’il n’avait aucune valeur scientifique", étaye la députée.

"L’objet de la présente proposition de loi vise à refonder le régime d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français" est-il alors écrit dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. "Elle renforce la reconnaissance des préjudices, clarifie les modalités d’instruction des dossiers et améliore la transparence du processus décisionnel. Cette réforme substitue à la présomption de causalité actuellement en vigueur une présomption d’exposition, fondée sur la réalité historique et scientifique des retombées radioactives. En reconnaissant que les personnes présentes dans les zones et périodes affectées ont été exposées aux rayonnements émis par les essais, cette nouvelle approche permet de sécuriser le droit à réparation tout en évitant d’affirmer un lien de causalité que la science ne peut établir individuellement avec certitude."

La proposition de loi introduit également une dimension collective en prévoyant le remboursement par l’État des dépenses de santé liées aux pathologies potentiellement radio-induites, répondant ainsi à une attente ancienne et légitime. Un remboursement déjà évoqué par le précédent ministre des Outre-mer, Manuel Valls. "Il y a des discussions en cours avec la CPS sur le niveau d’indemnisation (70 000 euros évoqués par dossier de personne malade de cancer radio-induit, remboursés par la CPS, NDLR), qu’il va falloir faire sur des bases scientifiques", expliquait-il dans les colonnes de Tahiti Infos en juillet dernier.
 

Les articles de la proposition de loi

Article 1 : L’article 1er redéfinit les personnes pouvant bénéficier de l’indemnisation. Il remplace le préjudice fondé sur l’établissement d’un lien de causalité entre une pathologie potentiellement radio-induite et une exposition aux rayonnements ionisants par un préjudice fondé sur le risque créé par l’État en exposant des populations civiles ou des personnels militaires. Ainsi, dès lors qu’une personne a été exposée aux retombées des essais nucléaires et qu’elle présente une pathologie susceptible d’en résulter, le droit à réparation est reconnu. L’article étend également cette définition aux victimes dites « indirectes » ou « par ricochet » en reconnaissant le préjudice propre des ayants droit, notamment les conjoints et les membres du premier cercle familial. (…) Les nouvelles dispositions sont rendues rétroactives : elles s’appliqueront aux demandes d’indemnisation déposées avant la promulgation de la présente loi, y compris pour les ayants droit. La redéfinition du champ des bénéficiaires s’accompagne de la création d’une commission temporaire chargée d’établir un constat partagé entre l’État et les organismes d’assurance maladie concernés. Cette commission évaluera les dépenses déjà supportées par ces organismes pour la prise en charge des victimes – à partir de leurs données comptables ou, lorsque nécessaire, par une estimation forfaitaire.

Article 2 : L’article 2 précise les conditions de temps et de lieu permettant d’identifier les personnes exposées, y compris celles exposées in utero, ayant ultérieurement développé une pathologie potentiellement radio-induite. S’agissant de l’Algérie, les dispositions actuelles de la loi du 5 janvier 2010 sont maintenues. Pour la Polynésie française, trois situations sont définies : durant les essais atmosphériques, durant les essais souterrains et la phase de démantèlement, les atolls de Moruroa et Fangataufa.

Article 3 : L’article 3 renforce le rôle de la Commission de suivi des conséquences des essais nucléaires (CSCEN). Il lui confie désormais le pouvoir de mettre à jour la liste des maladies potentiellement radio-induites, sur la base des demandes reçues et des travaux scientifiques nationaux et internationaux.

Article 4 : L’article 4 adapte les procédures du CIVEN aux nouvelles bases du régime d’indemnisation. La référence au seuil d’exposition d’un millisievert par an est supprimée.

Article 5 : L’article 5 encadre les modalités de versement de l’indemnisation.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 16 Décembre 2025 à 14:02 | Lu 431 fois