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Un septuagénaire poursuivi pour le meurtre d’un homme de 23 ans


Tahiti, le 17 février 2020 - Le procès d’un septuagénaire poursuivi pour meurtre s’est ouvert lundi devant la cour d’assises de Papeete pour deux jours. L’accusé, un homme de 71 ans auquel il est reproché d’avoir poignardé le compagnon de sa nièce à Marokau dans les Tuamotu le 20 décembre 2015, encourt trente ans de prison.  
 
Meurtre ou légitime défense ? Le procès d’un retraité de 71 ans accusé de meurtre s’est ouvert lundi devant la cour d’assises de Papeete. Il est reproché à ce père de six enfants, ancien employé du Centre d’expérimentations nucléaires en Polynésie (CEP), d’avoir porté des coups de couteau mortels au concubin de sa nièce sur l’atoll de Marokau dans les Tuamotu le 20 décembre 2015.

Meurtre à l'arme blanche

Ce jour-là, peu après 20 heures, les enquêteurs de la Section de recherches (SR) de Papeete sont informés par un militaire de la compagnie des archipels qu’un meurtre à l’arme blanche a eu lieu sur un petit atoll reculé des Tuamotu, Marokau. La victime, un jeune homme de 23 ans qui est père de deux enfants en bas âge, a été découverte gisant au sol à quelques dizaines de mètres de la maison où elle vit avec sa concubine. Aucun témoin direct n’a assisté aux coups mortels. 
 
Les premiers éléments recueillis par le policier municipal de l’atoll laissent à penser que l’affaire a débuté sur fond de violences conjugales. Le soir des faits, et après avoir passé plusieurs heures à boire avec des amis, la victime a rejoint son domicile où se trouvait sa compagne. Des violences ont éclaté au sein du couple et la jeune femme s’est réfugiée au domicile de son oncle, un homme de 67 ans qui vit à 60 mètres de chez elle. Entendant des cris, le vieil homme est sorti de sa maison et s’est retrouvé face au compagnon de sa nièce qui, selon ses déclarations, lui a porté des coups. 

Changement de versions

Après cette première scène de violence, le jeune homme est parti puis revenu à la charge pour en “découdre”. Toujours selon ses déclarations, l’accusé, qui ne “savait pas comment se défendre”, s’est emparé d’une “lance à cochons” de deux mètres sur laquelle était fixé un couteau de 30 centimètres et a poignardé la victime à plusieurs reprises. Entendu sur les faits à plusieurs fois, le septuagénaire invoquera tout d’abord un drame “accidentel”. Au fil des interrogatoires, il reconnaître finalement être l’auteur des coups, portés pour “se défendre”
 
L’autopsie pratiquée sur le corps de la victime quelques jours après le drame avait fait état d’un taux d’alcoolémie relatif à 1,3 gramme par litre de sang et avait démontré que le jeune homme avait été touchée à cinq reprises. Deux des cinq coups portés s’apparentent, selon le médecin légiste, à des blessures de “défense”
 
Suite au drame et dans l’attente de l’arrivée des enquêteurs de la SR sur l’atoll, l’accusé et sa femme avaient été isolés à la mairie afin d’empêcher d’éventuelles représailles. Le corps du jeune homme avait été entreposé dans un congélateur. 

"Protéger" son foyer

Quatre jours après les faits, l’accusé avait été mis en examen puis placé en détention provisoire. Le procès de cet homme, qui a depuis été libéré et placé sous contrôle judiciaire, s’est ouvert lundi devant la cour d’assises de Papeete pour deux jours de débats en présence de la concubine de la victime qui s’est constituée partie civile. 
 
Comme il en est d’usage, la personnalité de l’accusé a été évoquée en détail. L’homme, qui a travaillé en qualité de mécanicien pour le CEP entre, 1964 et 1998, est marié, père de six enfants et grand-père de 20 petits-enfants. Depuis 2011, il vit à Marokau dont sa femme est originaire et perçoit une retraite de 380 000 Fcfp par mois. 
 
Interrogé sur sa version des faits lundi, l’homme a indiqué qu’il avait commis ce geste pour “protéger son foyer” et qu’il n’avait jamais eu l’intention de “tuer” la victime. “A ce moment-là, je n’avais pas d’autre solution, cette arme était le seul moyen de protection”, a-t-il affirmé avant que sa femme ne s’avance à son tour à la barre. Elle a indiqué qu’elle avait assisté à la première scène de violence mais pas à la seconde scène fatale car elle était allée se “cacher”. Est ainsi ressortie toute la difficulté de cette affaire du fait de l’absence de témoins, de l’arrivée tardive des enquêteurs et des changements de versions de l’accusé.

Absence de "certitudes"

Entendu par la cour d’assises, le gendarme de la SR qui avait dirigé l’enquête a lui aussi relevé un “dossier difficile”, en raison du manque de “témoins directs” et des premières auditions qui ont laissé le sentiment de “tourner en rond”. Également interrogé par la cour, l’un des enquêteurs, qui avait procédé à la garde à vue de l’accusé a indiqué qu’il n’avait aucune “certitude” sur le dossier cinq ans après les faits. A la barre, l’homme, qui se trouve en “fin de carrière” a fustigé la complexité de faire une telle enquête dans un endroit aussi reculé : “Je voulais vous faire savoir qu’il est très compliqué de travailler comme cela. Nous sommes arrivés avec deux jours de retard et nous avons perdu des éléments. Dans ce type d’affaires, nous aurions dû entendre tout le monde mais nous n’avons pas pu le faire”. Selon cet enquêteur, lors de sa garde à vue, l’accusé, qui se déplaçait avec des béquilles à l’époque des faits, ressemblait alors à un “homme marqué” qui pouvait avoir agi par “peur”, par volonté de “se défendre” ou de “protéger sa nièce”

Stupéfaction

En ce premier jour de procès, l’avocat général a, lui aussi, soulevé les incertitudes du dossier en rappelant que le lieu du meurtre n’avait pas été mis sous scellés durant les deux jours nécessaires aux enquêteurs pour arriver sur l’atoll. Le représentant du ministère a tenu à réaffirmer qu’au regard de la “détermination” de l’accusé, de la “gravité des coups”, de la “nature de l’arme” et de la “multiplicité” des coups, la thèse de la légitime défense ne pouvait raisonnablement pas être envisagée. 
 
Témoin central du dossier en raison de sa présence sur les lieux, le policier municipal de l’atoll a succédé à ses collègues militaires à la barre pour témoigner devant la cour d’assises. L’homme a évoqué la victime, un jeune coprahculteur qui était gentil “devant tout le monde” mais qui frappait parfois sa femme sur le corps, “jamais au visage”. Le muto’i a qualifié l’accusé de “calme”, “simple” et “sans histoires”. Alors que l’avocat général l’interrogeait, la cour d’assises a appris avec stupéfaction que ce policier municipal était désormais marié avec la concubine de la victime et qu’il s’était mis en couple avec elle deux mois seulement après le décès du jeune père de famille et qu’ils étaient désormais parents de deux enfants. Nouvelle qui a jeté le trouble sur une potentielle relation adultérine qui aurait commencé alors que la victime était encore vivante. 

A la barre, l’ancienne concubine de la victime a confirmé les déclarations de celui qui est désormais son mari en expliquant qu’elle s’était tardivement constituée partie civile car elle n’a “pas d’emploi”
 
Le procès s’achèvera mardi après les réquisitions et les plaidoiries. L’accusé, s’il est reconnu coupable de meurtre, encourt trente ans de réclusion criminelle. 
 
 

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 17 Février 2020 à 17:57 | Lu 2933 fois