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Ukraine: la Russie claque la porte du Conseil de l'Europe


Mikhail Klimentyev / SPUTNIK / AFP
Mikhail Klimentyev / SPUTNIK / AFP
Strasbourg, France | AFP | mardi 15/03/2022 - Comme la Grèce des "colonels" en 1969, la Russie a claqué mardi la porte du Conseil de l'Europe, accusant l'Otan et l'Union européenne de l'avoir mis au service de "leur expansion militaro-politique et économique à l'Est", au 20e jour de l'invasion de l'Ukraine par les forces russes.

"La notification du retrait de la Fédération de Russie de l'Organisation" a été remise mardi à sa secrétaire générale Marija Pejcinovic Buric, a indiqué dans un communiqué le ministère russe des Affaires étrangères. Une notification bien reçue par Mme Buric, a confirmé à l'AFP Daniel Höltgen, porte-parole du Conseil de l'Europe.

Vigie des droits humains en Europe, celui-ci, créé en 1949, réunissait jusqu'alors la quasi-totalité des Etats du continent, 47 au total, dont la Russie depuis 1996, et l'Ukraine depuis 1995. Seul le Belarus, allié de Moscou, n'en fait pas partie.

"Ceux qui nous forcent à prendre cette mesure porteront toute la responsabilité de la destruction de l'espace humanitaire et juridique commun sur le continent et des conséquences pour le Conseil de l'Europe lui-même, qui, sans la Russie, perdra son statut paneuropéen", a repris le ministère russe des Affaires étrangères.

"Tort énorme" 

Principale conséquence concrète de ce retrait, les 145 millions de Russes ne vont plus pouvoir bénéficier de la protection de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), bras judiciaire du Conseil de l'Europe et ultime recours contre l'arbitraire des tribunaux de leur pays.

Moscou est en effet le principal pourvoyeur de dossiers devant la CEDH: plus de 24% des affaires pendantes devant la Cour concernent la Russie, avec certains dossiers emblématiques, comme celui de l'opposant Alexeï Navalny.

Dans son communiqué, la diplomatie russe accuse justement les institutions du Conseil de l'Europe, y compris la CEDH, d'avoir été "systématiquement utilisées pour exercer des pressions sur la Russie et s'ingérer dans ses affaires intérieures".

Moscou avait déjà été suspendu du Conseil au lendemain de l'invasion de l'Ukraine le 24 février. Et des officiels russes avaient laissé entendre en fin de semaine dernière que Moscou s'apprêtait à quitter définitivement le Conseil.

Mais aucune demande formelle n'avait été déposée jusqu'à aujourd'hui.

Mardi, la Russie a donc pris les devants, peut-être pour éviter l'humiliation d'une exclusion qui devenait inévitable : réunie depuis lundi en session extraordinaire, l'Assemblée parlementaire de l'institution (APCE) a voté mardi soir à l'unanimité un texte selon lequel le Comité des ministres doit "demander" à la Russie de "se retirer" du Conseil "immédiatement".

Le Comité, "l'exécutif" du Conseil, devait initialement se réunir jeudi à huis clos pour examiner le texte de l'APCE mais a avancé sa séance à mercredi après l'annonce russe.

Le timing de l'annonce de Moscou "ne m'impressionne pas", a réagi auprès de l'AFP Tiny Kox, le président de l'APCE. 

"Nous devions les exclure parce qu'ils ont franchi la ligne rouge (...) C'est ainsi que nous devons procéder, en accord avec nos statuts", a-t-il expliqué après le scrutin.

Selon lui, "aucune autre organisation internationale n'a montré un tel courage".

"J'espère que (la Russie) se rend bien compte que le fait que 46 Etats membres ont voté de façon unanime pour expulser un pays membre (depuis 1996), c'est quelque chose de tout à fait unique", a-t-il ajouté.

Commentant le retrait concomitant de Moscou de la CEDH, M. Kox estime que "les autorités russes (causent) un tort énorme à leurs propres citoyens".

"Cynisme" 

Conséquence non négligeable, ce départ de la Russie va priver le Conseil de l'Europe de près de 7% de son budget annuel, d'environ 500 millions d'euros.

"Ils pensent qu'ils peuvent sauver leur réputation, mais le monde entier sait les crimes qu'ils commettent", a déploré Lisa Yasko, membre de la délégation ukrainienne à l'APCE, fustigeant le "cynisme" de la Russie.

C'est seulement la deuxième fois que l'institution est confrontée à un tel scénario : la Grèce avait procédé de manière similaire, quittant le Conseil avant d'en être chassée, en 1969, sous le régime dictatorial des colonels. Elle l'avait réintégré en 1974.

En 2014 déjà, les parlementaires russes de l'APCE avaient été privés de leurs droits de vote après l'annexion de la Crimée par la Russie. Après cinq années de vives tensions, la délégation russe avait pu réintégrer l'APCE en 2019, au grand dam des parlementaires ukrainiens.

le Mardi 15 Mars 2022 à 11:53 | Lu 593 fois