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Terres rares : le débat doit être porté à l’ONU pour Oscar Temaru


Oscar Temaru : "Je ne suis pas d’accord pour demander à l’Etat de nous rendre ce qui nous appartient"
Oscar Temaru : "Je ne suis pas d’accord pour demander à l’Etat de nous rendre ce qui nous appartient"
PAPEETE, 10 novembre 2015 – Le groupe UPLD s’est exprimé mardi matin au sujet de la proposition de résolution portée par le Tahoera’a pour élargir la compétence minière du Pays aux "matières premières stratégiques". Ce débat n’a pas sa place à Paris mais à New York devant l’Organisation des nations unies (ONU), pour le groupe souverainiste.

L’information avait été révélée par Tahiti infos la semaine dernière. Le président de l'assemblée, Marcel Tuihani, a déposé le 21 octobre dernier une proposition de résolution demandant à l’Etat la modification de la loi statutaire pour donner pleine compétence à la collectivité sur l’exploitation minière dans les profondeurs océaniques de sa zone économique exclusive (ZEE). Diverses études constatent depuis une trentaine d'années la présence abondante de minerais rares sur les fonds marins polynésiens. Mais le statut de 2004 restreint la compétence du Pays en matière d'exploitation minière. Il ne lui accorde aucune compétence sur l'exploitation des matières premières dites "stratégiques". Or la liste de ces ressources minières "stratégiques" est vague. Elle est fixée par décret et peut être modifiée à tout moment par le gouvernement français, ce qui en fait une chasse gardée nébuleuse de l'Etat français.

L'élargissement des compétences polynésiennes que souhaite aujourd'hui le Tahoera'a ne pourra avoir lieu qu’à l’issue d’une modification de la loi organique. Tel est l’enjeu de la demande portée par la proposition de résolution soumise par Marcel Tuihani. Le texte demande la modification de la loi organique polynésienne et de deux articles du code minier national : "Les Polynésiens doivent pouvoir appréhender les potentialités de leur zone économique exclusive dans toute leur dimension scientifique (…) Les ressources présentes dans la ZEE doivent en priorité servir au développement économique de la collectivité. La Polynésie française doit pouvoir tirer profit, le moment venu, de l’exploitation de ces gisements", y est-il exposé.

Cette proposition de résolution est loin d’être en mesure de faire l’unanimité à l’assemblée. Le texte devait être présenté pour avis ce vendredi en commission des Institutions. Hasard du calendrier ? Son évocation a été reportée sine die à la demande de l’élue Tapura Virginie Bruant. Le gouvernement Fritch pourrait ne pas souhaiter la voir adoptée par la représentation polynésienne pour ménager ses relations avec Paris. Une telle position pose problème pour l’avenir de ce texte alors que les élus pro-Fritch ne devraient plus tarder à disposer de la majorité absolue dans l’hémicycle.

Pour des raisons bien différentes, le soutien de cette proposition de résolution semble être précaire à l’UPLD. Le groupe souverainiste a réagi mardi à ce qu’il juge une ambition nouvelle du Tahoera’a, en constatant le soudain intérêt du parti autonomiste pour cette question des gisements minéraux sous-marins de la ZEE polynésienne. L'UPLD parle d'incohérence : "La compétence statutaire en matière d’exploitation des gisements de ressources dites stratégiques a délibérément été abandonnée par le gouvernement polynésien dès la réforme de 1996 et confirmée par la révision statutaire de 2004", précise le parti souverainiste en ne manquant pas de souligner qu’à chaque fois Gaston Flosse était aux manettes.

"Je ne suis pas d’accord pour demander à l’Etat de nous rendre ce qui nous appartient", explique en outre le leader indépendantiste Oscar Temaru. Pour lui, comme pour Antony Géros et Richard Tuheivava qui se sont exprimés, la collectivité est réinscrite depuis le 17 mai 2013 sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser de l'ONU : "Nous avons une ressource minière qui est estimée entre 10 et 15 milliards de dollars au kilomètre carré : comment a-t-on pu renoncer à ça d’un revers de la main ? C’est une trahison en complète violation du droit de souveraineté du Pays. C’est pas à Paris, ni à Bruxelles mais à New York qu’il faut aller régler ça".

Que voulez-vous dire ?

Oscar Temaru : En 1986, pour mon premier discours à l’assemblée territoriale, je suis intervenu avec un caillou de Faa’a. (…) Je disais que notre pays ressemble à ce caillou. Il ne représente rien pour certains. Mais pour l’œil expert, compte tenu de toutes nos ressources des fonds sous-marins (c'est différent). On savait déjà. Et il y a eu cette fameuse réponse de M. Gaston Flosse. « Si on pouvait transformer les cailloux de Faa’a en or, on pourrait demander l’indépendance de notre Pays ». Trente ans après, ils s’aperçoivent que notre pays a des ressources colossales dans les océans qui nous entourent. Ils savent également qu’aujourd’hui les plus grosses entreprises françaises fusionnent avec des entreprises allemandes pour venir explorer et exploiter ces ressources. (…) Nous sommes très déçus. Nous disons que c’est de la trahison ; que c’est le viol du droit du peuple maohi à l’autodétermination : ces ressources nous appartiennent. Nous n’avons pas besoin de la France pour exploiter ces ressources. Le statut (…) de 2004 ne nous donne pas compétence pour l’exploitation des matières premières stratégiques. (…) Ils (les autonomistes) sont divisés aujourd’hui sur cette question. Les uns (pro-Fritch) disent qu’il faut laisser ça à l’Etat ; et le président de l’assemblée va soumettre une proposition de résolution pour demander à l’Etat de nous rendre cette compétence. Où est la cohérence ? Nous, nous sommes cohérents depuis le début : ces ressources nous appartiennent, comme cela est prévu par la charte des Nations unies, et notamment par la résolution 1514.

Si certains autonomistes sont d’accords avec cela, pourquoi annoncez-vous que vous ne voterez pas cette résolution ?

Oscar Temaru : Je viens de vous dire que l’on attend de voir le texte de cette résolution et de l’analyser. Mais demander cette compétence en restant dans le cadre statutaire actuel ne sert à rien. Ce sera toujours la raison du plus fort : « might is right ». C’est comme cela que ça se passe depuis toujours. Depuis les négociations pour le statut de 1977 on marche au bâton et à la carotte. (…)

Pensez-vous que le Tahoera’a est mûr aujourd’hui, compte tenu de cette démarche pour vous soutenir dans vos démarches à l’ONU ?

Oscar Temaru : C’est ce que j’essaye de faire à chaque rencontre que nous avons avec eux. Il (Gaston Flosse) m’a parlé de son projet de statut de Pays associé. Je lui ai répondu non : il faut parler d’Etat, associé avec qui il veut.
Mais je pose la question : seront-ils jamais mûr ? (…) Ils ne sont pas à une incohérence près. (…) Nous sommes de notre côté cohérents avec les objectifs que nous visons depuis toujours
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Là, on voit que le Tahoera’a abonde dans le sens de l’UPLD avec cette proposition de résolution.

Oscar Temaru : Si cette résolution va dans le sens que nous souhaitons, bien sûr que nous allons soutenir comme nous avons soutenu la résolution demandant une réparation à l’Etat pour les dégâts occasionnés pendant les 30 ans d’essais nucléaires.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 10 Novembre 2015 à 15:04 | Lu 2392 fois