Taxation des "ultra-riches": l'idée chemine, la droite et le centre bloquent


JOEL SAGET / AFP
Paris, France | AFP | jeudi 12/06/2025 - Poussée par la gauche et des économistes reconnus, l'instauration de la taxe "Zucman", impôt plancher sur le patrimoine des "ultra-riches", fait son chemin en France, mais bute sur un blocage à droite et au centre, comme en témoigne son rejet probable jeudi au Sénat.

Remède magique face à la dérive des finances publiques ou "signal négatif" adressé aux grands entrepreneurs ? Dans un contexte budgétaire alarmant et alors que le gouvernement vise 40 milliards d'euros d'économies pour construire le prochain budget, les débats de la chambre haute sur cette "taxe Zucman" sont particulièrement scrutés.

Examinée dans l'après-midi à la Haute Assemblée, la proposition de loi prévoit l'application d'une "contribution différentielle" visant les patrimoines de plus 100 millions d'euros.

L'objectif: s'assurer que ces contribuables "ultra-riches" payent bien au moins 2% de leur fortune en impôt. Et empêcher ainsi les effets d'évitement observés dans la fiscalité de certains multi-millionnaires, en mesure de structurer leur patrimoine pour en diminuer la fiscalité.

"C'est un dispositif extrêmement ciblé sur les personnes extrêmement riches et surtout celles qui, parmi les personnes extrêmement fortunées, paient aujourd'hui très peu d'impôts", développe l'économiste Gabriel Zucman, directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité et qui a porté cette proposition à l'échelle mondiale à l'agenda officiel du G20 l'année dernière.

Selon lui, cela rapporterait environ 20 milliards par an, et concernerait 1.800 foyers.

- Société civile mobilisée -

Aux côtés de deux économistes français reconnus internationalement - Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) et Jean Pisani-Ferry, architecte du programme économique d'Emmanuel Macron en 2017 -, il a défendu mercredi dans une tribune au Monde ce mécanisme, "le plus efficace" selon eux pour rétablir le "principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt".

En parallèle, une cinquantaine de maires ont soutenu mardi cette réforme dans une tribune au Nouvel Obs et jeudi matin, une vingtaine de militants des ONG Attac, Oxfam et 350.org se sont réunis devant le Palais du Luxembourg pour remettre aux sénateurs une pétition en faveur de cette taxe, signée par près de 64.000 citoyens. 

Signe que le dossier chemine pas à pas dans l'Hexagone, la proposition de loi, portée par les parlementaires écologistes, a déjà passé le cap de l'Assemblée nationale en février grâce aux voix de la gauche et malgré l'abstention du Rassemblement national. 

L'étape du Sénat est cependant plus périlleuse : sa majorité, une alliance droite-centristes qui soutient le gouvernement, entend rejeter l'initiative en bloc, comme ce fut le cas ces derniers jours en commission.

- "Totalement confiscatoire" -

Motifs d'un rejet qui semble inévitable: la crainte d'envoyer un "signal négatif aux investisseurs étrangers", la possible "inconstitutionnalité" du dispositif et surtout la menace de l'exil fiscal des foyers ciblés, liste auprès de l'AFP le sénateur Horizons Emmanuel Capus, rapporteur du texte au Sénat.

"Ce dispositif est totalement confiscatoire et viole l'égalité devant l'impôt", martèle-t-il, tout en regrettant le "lobbying" organisé ces derniers jours par les partisans du mécanisme auprès du Sénat, et leur "volonté désagréable de culpabiliser" ceux qui s'y opposeraient.

Emmanuel Macron est allé dans le même sens jeudi lors du Conseil des ministres: "Dans une économie ouverte, il nous faut rester attractifs pour les capitaux", a-t-il insisté en référence notamment à cette taxe "Zucman" selon un participant, promettant d'être "vigilant" afin de "ne pas défaire ce qui a été fait".

Les sénateurs écologistes, qui ont rallié une poignée de centristes, assument au contraire de vouloir "a minima faire percer ce sujet dans le débat public pour anticiper les discussions budgétaires de la fin d'année", glisse l'élu du Rhône Thomas Dossus.

"J'appelle la majorité sénatoriale à bien réfléchir à la façon dont les annonces trop brutales d'économies touchant les classes moyennes seraient perçues si les plus grandes fortunes, elles, ne contribuaient pas à la hauteur qu'elles devraient", prévient-il.

Le ministre de l’Économie Éric Lombard était lui resté inflexible mercredi devant les sénateurs, décriant un dispositif "nuisible à l'investissement et à nos ressources fiscales". Tout en assurant travailler sur d'autres mécanismes de "lutte contre la sur-optimisation".

Le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau a lui aussi invité à la prudence jeudi, craignant sur France Info une "illusion fiscale".

le Jeudi 12 Juin 2025 à 06:45 | Lu 376 fois