Tama’a Maita’i, cadeau aux fonctionnaires, mirage pour le privé


Tahiti, le 23 décembre 2025 - L’Autorité polynésienne de la concurrence a publié ce mardi son avis après saisine par le gouvernement sur la mise en place de dispositifs favorisant une alimentation équilibrée et ancrée dans l’économie locale en faveur des salariés et des agents publics de l’administration de la Polynésie française et portant instauration du titre Tama’a Maita’i en Polynésie française.
 

“Usine à gaz” pour les patrons, “cadeau politique” pour d’autres ou “idée géniale” pour les syndicats de salariés, la mise ne place du titre Tama’a Maita’i a été très discutée au Cesec en novembre dernier, au point que les représentants de la société civile avaient terminé les débats dos à dos, pour finalement rendre un avis défavorable au projet de loi du gouvernent sur la mise en place de ce titre pensé pour encourager l'alimentation locale des salariés et des fonctionnaires du Pays.
 
À son tour, l’Autorité de la concurrence a rendu son avis sur un projet de texte qui attend aujourd’hui d’être examiné par les élus de l’assemblée de la Polynésie française.
 
Si l’APC salue les orientations générales du projet “tournées vers l’amélioration de l’alimentation des salariés et la valorisation des filières locales”, qui “s’inscrivent dans une démarche d’intérêt public”, de nombreuses remarques sont émises sur l’efficacité de ces dispositifs qui introduisent la possibilité pour les employeurs de mettre en place, au bénéfice de leurs salariés, soit un système de restauration collective, soit un dispositif de titres-restaurant dénommés “titres Tama’a Maita’i”.
 
“Le projet de loi du Pays laisse une large latitude au pouvoir réglementaire [le gouvernement, NDLR] pour définir les produits éligibles et les conditions d’agrément des affiliés, notamment en ce qui concerne les seuils de recours aux produits locaux, tels que le critère de 50 % de la valeur des matières premières pour les produits transformés, ainsi que les exigences comptables et informatiques. Une telle imprécision est susceptible d’engendrer des coûts de conformité élevés pour les commerces et restaurateurs, en particulier les plus petits, qui ne disposent pas nécessairement des outils permettant d’identifier, tracer et justifier précisément les produits éligibles”, note l’APC dans son avis publié mardi matin.
 
Plus loin, l’instance critique, dans les mêmes termes que les représentants du Cesec le mois dernier, le montant de l’enveloppe de 18 000 francs prévue par le projet de texte. “La fixation par la loi du Pays d’un montant minimal élevé de titres-restaurant par salarié constitue un facteur dissuasif pour de nombreuses entreprises”, estime-t-elle en relais de ce qu’avaient déjà observé les patrons du secteur privé. “En restreignant la base potentielle d’employeurs utilisateurs, cette exigence est susceptible de ralentir la diffusion du dispositif, de limiter les volumes d’activité et, in fine, de fragiliser l’équilibre économique du marché.” L’Autorité, qui a rencontré de nombreux patrons d’entreprises pour discuter de la mise en place de ce dispositif rejoint nombre de détracteurs du projet sur le même thème : “La fixation par la loi du Pays d’un montant minimal élevé est susceptible de produire des effets restrictifs sur la face ‘émission’ du marché : elle introduit une barrière d’ordre économique à l’entrée dans le dispositif pour les petites entreprises, qui doivent supporter un coût incompressible pour chaque salarié bénéficiaire, et peut conduire à une segmentation entre, d’une part, les grandes entreprises ou administrations en mesure de financer ce niveau d’avantage et, d’autre part, les petites entreprises qui en seraient, de facto, exclues.”
 
Cette critique sur le montant rejoint les analyses qui confirment donc que seuls les salariés de l’administration et quelques grosses sociétés pourraient prétendre à la mise en place du dispositif, ce qui exclut presque 90 % des entreprises en Polynésie française qui sont de taille bien plus restreinte.
 

Les recommandations
Supprimer le régime d’autorisation préalable des émetteurs de titres-restaurant Tama’a Maita’i, ceux-ci demeurant soumis aux obligations prévues par la norme nationale applicable et par le projet de loi du Pays, notamment en matière de sécurisation des fonds et de traçabilité des opérations. À défaut, substituer au régime d’autorisation un régime de déclaration assorti d’un enregistrement dans un registre public, permettant à l’administration de vérifier le respect des conditions essentielles à l’exercice de l’activité d’émetteur. En cas de maintien du régime d’autorisation, compléter le projet de loi du Pays afin de définir de manière claire, précise et limitative les conditions d’octroi de l’autorisation, sur la base de critères objectifs, transparents et non discriminatoires, ainsi qu’une procédure d’instruction encadrée par des délais et assortie de garanties effectives pour les candidats. Prévoir, en toute hypothèse, la publicité de la liste des émetteurs autorisés afin de préserver la contestabilité du marché et d’assurer un accès non faussé à la face “émission” du dispositif. Compléter le cadre juridique applicable aux modalités d’émission et de distribution des titres Tama’a Maita’i par l’inscription explicite d’un principe de neutralité technologique et concurrentielle, afin d’éviter toute discrimination injustifiée entre solutions techniques ou modèles économiques. Préciser les modalités d’agrément des commerces, producteurs et restaurateurs affiliés au dispositif Tama’a Maita’i, afin de garantir des critères d’accès objectifs, transparents et non discriminatoires. Fixer, à tout le moins, les principes auxquels devra se conformer l’arrêté pris en conseil des ministres, notamment en ce qui concerne la définition claire des produits éligibles, la fixation de seuils de produits locaux objectivement justifiés et proportionnés, la prise en compte des contraintes spécifiques des petites structures et l’établissement d’un cahier des charges précis permettant aux opérateurs de vérifier ex ante leur conformité. Revoir à la baisse, voire supprimer, le seuil minimal légal de 18 000 francs par mois et par salarié, en laissant aux partenaires sociaux et aux employeurs le soin de déterminer, dans le respect des règles de cofinancement, le niveau de l’avantage le plus adapté à leur situation économique. Organiser, en cas de modification substantielle des conditions économiques ou contractuelles applicables aux entreprises clientes, une information préalable assortie d’un délai suffisant permettant la renégociation ou la dénonciation des accords sans pénalité. Intégrer, dans le cadre juridique applicable aux modalités d’émission et de distribution des titres Tama’a Maita’i, des garanties minimales, telles que la portabilité des données, afin de limiter les coûts de basculement pour les entreprises, les affiliés et les salariés bénéficiaires. Instituer un mécanisme de suivi indépendant chargé d’assurer un contrôle régulier des commissions et des principales clauses contractuelles applicables aux entreprises clientes. Prévoir, à terme, la possibilité d’un mécanisme d’encadrement temporaire des commissions si les mécanismes de marché ne permettent pas de prévenir les risques d’abus d’exploitation.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 23 Décembre 2025 à 15:02 | Lu 940 fois