Tahiti à court de places pour ses morts


Entre le manque de foncier, le coût exorbitant des terrassements, et des traditions encore très ancrées qui poussent les Polynésiens à vouloir reposer en terre plutôt qu’ailleurs, les défis sont de taille. credit DM
Tahiti, le 20 août 2025- À Tahiti, presque toutes les communes sont confrontées à la saturation de leurs cimetières. Entre manque de foncier, coûts exorbitants d’aménagement et traditions funéraires encore très ancrées, les tāvana cherchent des solutions. Extensions, enfeus, caveaux… et bientôt peut-être un crématorium : tour d’horizon des réponses à l’urgence.
 
La mort n’est pas un sujet auquel la plupart d’entre nous pense souvent, ni auquel on se prépare vraiment. Et pourtant, nul n’y échappe. Comme le disait Benjamin Franklin, père fondateur des États-Unis : “Il n'y a que deux certitudes dans la vie : la mort... et les impôts.”
 
Toujours est-il que la question de la mort et plus concrètement de l'inhumation concerne, sans exception, toutes les communes de Tahiti. Après avoir échangé avec les mairies, les agents des services d’état civil et plusieurs tāvana, Tahiti Infos a entrepris un recensement de la situation des cimetières communaux de l’île. Les chiffres, parfois approximatifs, offrent malgré tout une vision assez claire de la réalité actuelle. Et les nombreux témoignages recueillis mettent en lumière une difficulté croissante pour les municipalités : où trouver de la place pour enterrer les administrés défunts ? 
Entre le manque de foncier, le coût exorbitant des terrassements, et des traditions encore très ancrées qui poussent les Polynésiens à vouloir reposer en terre plutôt qu’ailleurs, les défis sont de taille. 
 
Des cimetières saturés et des maires inquiets
 
Dans la majorité des communes, le constat est le même : les cimetières arrivent à saturation. À Papara, il ne reste qu’une trentaine de places. À Taiarapu-Est, la situation est critique : Afaahiti-Taravao et Faaone n’ont plus aucune disponibilité, tandis que Tautira n’offre plus que cinq emplacements. À Teahupo’o, dans la commune de Taiarapu-Ouest, “il n’y a plus de place du tout”, reconnaît l'employée de la mairie. Même constat à Punaauia, où le cimetière historique de Nuuroa est saturé depuis plus de dix ans, et où le site plus récent de Vaitavere arrive lui aussi au bout de ses capacités. “Aujourd’hui, il ne reste plus que cinq enfeus disponibles”, confie le maire Simplicio Lissant. À Faa’a, la saturation est totale depuis plusieurs années : les concessions classiques ont disparu, seuls les enfeus creusés dans la roche offrent encore quelques solutions. “La seule possibilité maintenant, c’est de penser au crématorium”, admet le premier adjoint, Robert Maker.
 
Des projets d’extension coûteux et complexes
 
Face à l’urgence, les communes n’ont souvent d’autre choix que de lancer des extensions ou de créer de nouveaux cimetières. Mais ces projets se heurtent à deux obstacles majeurs : le manque de foncier disponible et le coût élevé des travaux.
 
À Paea, la commune a obtenu en décembre dernier plus de 117 millions de francs pour acquérir une parcelle destinée à accueillir un nouveau cimetière d’au moins 600 concessions, assorti d’un site cinéraire, d’un bloc sanitaire et d’un parking. Le coût total du projet, incluant les études préparatoires, dépasse 140 millions de francs. Les travaux devraient débuter en 2026 pour une mise en service en 2027. La commune avait initialement pour projet d'agrandir son cimetière mais “compte tenu des travaux d’aménagement conséquents à réaliser et du besoin urgent en termes de structures et d’équipements funéraires”, il a été décidé de délocaliser le projet de cimetière. 
 
À Papeari, une extension de 250 concessions est déjà en chantier, pour un budget de 150 millions de francs. À Mataiea, une précédente extension a déjà permis de créer 240 nouvelles concessions, portant la capacité totale à près de 400 places. “Les anciens élus avaient anticipé cette question, je les remercie pour cela”, souligne le tāvana de Teva I Uta, Tearii Alpha.
 
Dans les communes plus petites de la Presqu'île l’effort est tout aussi visible : à Taiarapu-Est, la mairie de Taravao prévoit d’aménager un nouveau cimetière sur un terrain qu'elle espère récupérer après des travaux scolaires. À Vairao, une dizaine d’enfeus seront installés l’an prochain pour soulager le cimetière existant. À Teahupoo, un terrain est en cours d’acquisition afin de créer un nouveau site, tant le cimetière actuel est saturé.
 
La commune de Hitiaa o te Ra a lancé pas moins de trois projets en parallèle : 150 places seront créées à Hitiaa d’ici la fin de l’année, 200 à Mahaena et 200 à Papenoo, grâce à l’achat d’un terrain paroissial. À Tiarei, un aménagement en cours offrira environ 300 places supplémentaires. “En quelques mois, le Covid nous a pris deux ans de places”, souligne le tāvana, Henri Flohr, qui estime qu’au total près de 880 emplacements seront bientôt disponibles pour l’ensemble des quatre cimetières communaux.
 
Même Mahina, qui dispose déjà de trois cimetières, doit s’adapter : un des sites est saturé, et deux autres ne comptent plus qu’une centaine de places, malgré la présence de quelques enfeus. À Arue, une extension de 150 enfeus est en construction.
 
Enfin, à Punaauia et à Pirae, les projets d’extension sont particulièrement ambitieux. Le projet du cimetière de Vaitavere prévoit à terme 288 concessions, 46 fosses en pleine terre, 96 enfeus, un ossuaire ainsi que des aménagements de stationnement. Une plateforme a même déjà été réservée pour accueillir, à l’avenir, un crématorium et un jardin du souvenir. Du côté de Pirae, à terme, 1 500 caveaux et 1 300 enfeus viendront compléter le cimetière communal. La première phase, livrée en 2024, a permis de rouvrir des places après une période de saturation. Mais l’ensemble du programme ne sera achevé qu’en 2028.
 
Optimiser l’espace : caveaux, exhumations et enfeus
 
En parallèle des extensions, plusieurs communes cherchent à optimiser leurs cimetières existants. Les caveaux, qui permettent d’accueillir plusieurs cercueils dans une même concession, deviennent de plus en plus fréquents. À Faa’a, la mairie constate une “augmentation des demandes d’exhumation pour optimiser des caveaux”, une pratique qui permet de regrouper plusieurs défunts d’une même famille.
 
Autre solution : les enfeus, ces niches funéraires construites en hauteur. Longtemps rejetés pour des raisons culturelles et religieuses, ils commencent à être acceptés. “Au début, ce n’était pas bien vu”, explique Robert Maker. À Punaauia, les premiers enfeus de Vaitavere avaient suscité des réticences, mais ils sont aujourd’hui quasiment tous occupés. “Les mentalités évoluent”, assure l’élu de Faa’a, où est aussi prévu un ossuaire pour faciliter les transferts et libérer de la place.
 
Vers un futur crématorium ?
 
Reste la question du crématorium. Si aucune commune de Tahiti n’en dispose aujourd’hui, l’idée fait son chemin. Pirae, Mahina et Punaauia réfléchissent sérieusement à l’implantation d’un tel équipement. “La mentalité évolue, comme pour les enfeus”, constate Simplicio Lissant, maire de Punaauia, qui a déjà réservé une plateforme dans le projet d’extension du site de Vaitavere pour accueillir à terme un crématorium et un jardin du souvenir. (Lire page suivante).

L’état des cimetières communaux de Tahiti
 
Taiarapu-Est : Afaahiti-Taravao, un cimetière saturé – Faaone, un cimetière saturé – Pueu, deux cimetières dont un avec ~15 places– Tautira (un cimetière presque saturé, 5 places).
Taiarapu-Ouest : Teahupoo, un cimetière saturé – Toahotu, deux cimetières dont un plein et un avec ~100 concessions) – Vairao (~50 concessions, projet d’enfeus).
Teva i Uta : Mataiea (deux cimetières, ~400 concessions, extension en cours) – Papeari (un cimetière, ~400 concessions, extension 250 places).
Papara : Un cimetière saturé (reste ~30 places, un projet d'acquisition d'un terrain).
Paea : Un cimetière occupé à 96 % ( un projet de 600 nouvelles concessions).
Punaauia : Deux cimetières (Nuuroa saturé – Veitavere : quasi plein, extension en cours pour ~1.000 nouvelles places + 96 enfeus + ossuaire).
Faa’a : Un cimetière (environ 400 enfeus plus de concessions classiques, saturation ).
Papeete : Uranie (350 emplacements disponibles sur neuf plateaux, capacité d’extension).
Pirae : Un cimetière (~110 caveaux, 100 enfeus ; projet d’extension jusqu’à 1.500 caveaux et 1.300 enfeus).
Arue : Un cimetière saturé (30 enfeus + projet de 150 enfeus).
Mahina : Trois cimetières (1 saturé ; Orofara 1 saturé + enfeus (~30 places), Orofara 2 : ~100 concessions + enfeus).
Hitiaa o te Ra : Hitiaa (150 places après travaux) – Mahaena (200 places) – Papenoo (30 places, projet de 200) – Tiarei (300 places après travaux).
 

Rédigé par Darianna Myszka le Mercredi 20 Aout 2025 à 18:00 | Lu 3873 fois