Quand les pêcheurs néerlandais viennent à la rescousse des anguilles


NIEUWENDIJK, 7 octobre 2013 (AFP) - Par une fraîche matinée d'automne sur un canal embrumé, le pêcheur néerlandais Aart van der Waal vient relever son piège à anguilles... non pas pour remplir son assiette mais pour sauver cette espèce en danger critique d'extinction.

Pesés, comptés, répertoriés, ces poissons longilignes sont ensuite transportés vers un autre canal quelque centaines de mètres plus loin, de l'autre côté d'une digue haute d'une quinzaine de mètres, où ils sont ensuite relâchés.

De là, les anguilles pourront rejoindre le Haringvliet, un estuaire de la Mer du Nord, et entreprendre un voyage de 7.000 kilomètres jusqu'à leur lieu de reproduction, la Mer des Sargasses, dans l'Atlantique Nord.

Deux fois par semaine, M. van der Waal embarque sur son bateau à fond plat et relève ses pièges pour aider les anguilles à retrouver le chemin de la mer, tout comme le font 50 autres bénévoles, des pêcheurs professionnels et amateurs.

Ils participent à un large programme partiellement financé par l'Union européenne et l'État néerlandais à hauteur de 230.000 euros en vue de sauver les anguilles européennes.

Une Fondation pour des anguilles durables (DUPAN)complète le budget.

Sur les trois dernières décennies, certaines régions d'Europe ont vu disparaître jusqu'à 99% de leur population d'anguilles, selon des chiffres de l'Union européenne.

Les raisons principales de leur déclin? La surpêche, la pollution et le changement climatique, mais également le fait que leur aller-retour entre la mer et l'eau douce soit contrarié par les écluses, barrages et autres stations de pompage, qui les bloquent, les blessent ou les tuent...

Les anguilles, qui peuvent vivre jusqu'à 80 ans, naissent en effet en mer puis grandissent en eau douce avant de retourner à la mer pour se reproduire.

L'anguille européenne est sur la liste rouge des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) alors que les députés européens, dans un texte adopté par le parlement, assurent que "les membres de l'UE font trop peu pour (les) sauver".

Les jeunes anguilles, appelées civelles et reconnaissables à leur teinte translucide, sont devenues très prisées en Asie lors de ces 15 dernières années.

Elles y sont élevées avant d'être cuisinées pour des plats si populaires que le prix des civelles a dépassé un moment celui du caviar, vers le milieu des années 2000.

Un important indicateur

Pour les civelles, le delta des Pays-Bas et sa myriade de petits canaux, est un habitat idéal pour leur croissance.

Mais entrer et sortir de ce dédale peut s'avérer difficile, environ 27% du territoire néerlandais se trouvant sous le niveau de la mer.

"Etant donné que nous devons constamment pomper l'eau vers la mer pour rester au sec, des milliers d'anguilles se retrouvent coincées dans les hélices des stations de pompage lorsqu'elles essayent de passer", explique M. Van der Waal.

"Les Néerlandais se battent contre l'eau depuis le XIIIe siècle", renchérit Alex Koelewijn, président de DUPAN : "lorsque nous avons construit ces fortifications, nous n'avons jamais pensé que des poissons migraient de la mer vers les rivières et vice-versa".

Après un projet pilote qui s'est avéré fructueux, avec le transfert vers les canaux de plus d'un million de civelles capturées dans les estuaires en avril, mai et juin, la DUPAN a officiellement lancé le 18 septembre le programme "Anguilles par dessus les digues".

Le but est simple : aider les anguilles à passer, dans les deux sens, les obstacles construits par l'homme en les transportant manuellement "par dessus les digues".

La première partie du projet, qui consiste à déplacer les anguilles des canaux aux estuaires, sera réalisée autour de 23 stations de pompage à travers le pays jusqu'à décembre.

La deuxième partie, à savoir déplacer des civelles dans le sens inverse, aura lieu d'avril à juin 2014.

Selon Andrew Kerr, le président du "Groupe pour des anguilles durables", une autre association basée à Londres, les anguilles sont "un important indicateur".

"Si les anguilles souffrent, cela veut dire que nous ne nous y prenons pas bien pour nos zones humides et océans", soutient-il à l'AFP.

Selon M. Kerr, le projet néerlandais doit servir d'exemple à d'autres pays européens confrontés au même problème: "un projet comme celui-ci est une partie de la solution si on souhaite sauver notre faune".

Rédigé par Par Jan HENNOP le Dimanche 6 Octobre 2013 à 18:21 | Lu 690 fois