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Quand le mythe s’effrite…


PAPEETE, le 6 mars 2017 - Première femme à écrire un roman en Polynésie, Chantal T. Spitz signe L’Île des rêves écrasés en 1991, réédité en 2003 par les éditions Au vent des îles. Salué comme un « événement » à une époque de renaissance culturelle, ce premier roman est un véritable pavé lancé dans les eaux turquoise des représentations polynésiennes, avec un style littéraire viscéral. Et écrit dans une encre noire de colère…

Avec son écriture au rythme inspiré par l’oralité, Chantal T. Spitz révèle un roman où s’exprime une langue poétique, réflexive, imprégnée de mots tahitiens, dans un français au souffle puissant. Si son écriture a la réputation d’être corrosive, c’est pourtant à une complexe et subtile histoire d’amour que nous convie l’auteur. Et qui, tel un pied de nez à Gauguin, tente d’apporter des éclairages au triptyque "D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ".

"Nous nous sommes alors soumis à ces frères étrangers, lointaines branches ballotées pendant des mois sur cet océan qu’ils ne comprenaient pas, échoués par hasard sur nos rivages et qui prenaient racine sur la terre ma’ohi."

Un roman à la croisée des cultures

Comme le souligne Jean-Marius Raapoto dans sa préface de L’Île des rêves écrasés, Chantal T. Spitz s’évertue à sensibiliser les consciences polynésiennes à travers l’écriture "afin de permettre au monde d’hier de se rapprocher de celui de demain", tout en rappelant "qu’une néo-culture née du syncrétisme des valeurs de la tradition et de la modernité" est bien le seul échappatoire à la question cruciale qu’est la définition de l’identité polynésienne contemporaine. Ce qui suscita d’ailleurs une polémique virulente à l’encontre de l’auteur lors de la parution initiale du livre.

"La douleur de Ta’aroa est aujourd’hui notre douleur, Peuple de ma Terre, Peuple de mes entrailles, Peuple ma’ohi, Ma’ohi d’aujourd’hui. Voici que je ne vous connais pas."

Fille adultérine de l’anglais Charles Williams et de Toofa, Emere passe une enfance à deux vitesses, entre deux cultures. En tant que métisse, elle porte le fardeau des erreurs de sa mère sur la conscience, elle qui a transgressé la loi du peuple, elle qui a aimé l’envahisseur. Et bafouée la loi de la terre, sacrée, fondamentale. C’est pourquoi, lorsqu’elle s’éprend et décide de vivre avec Tematua, fils de Ruahine l’île sacrée, une possible réconciliation pointe entre les cultures qui s’enrichissent mutuellement.

De leur union naissent plusieurs enfants, Eritapeta, Terii et Tetiare, qui seront à leur tour tiraillés par les aléas de l’amour, le désir ardent et les porosités interculturelles qui bousculent les équilibres établis. Et lorsque des problèmes terriens se rajoutent aux péripéties sentimentales, "la symphonie des lendemains qui chantent étouffe l’écho du maintenant qui s’étire"…

Une référence incontournable

Si les propos de Chantal T. Spitz semblaient radicaux il y a vingt-cinq ans, le mouvement de renouveau culturel n’a pas cessé de souffler sur la société polynésienne, prenant un tournant d’autant plus engagé depuis quelques années. L’Île des rêves écrasés retrouve donc un nouveau souffle, encore plus d’actualité aujourd’hui. Ou du moins, plus socialement accepté et reconnu. Un livre où le lyrisme vient supplanter la prose quand elle est insuffisante pour transcrire les sentiments ou l’expression de l’âme polynésienne, pétrie de mythes célestes et de revendications identitaires puissantes.

"Comme l’a pressenti Tematua avec l’intelligence de son cœur, le temps s’emballe, bouleversant les esprits, installant insidieusement dans les cœurs la honte du monde ma’ohi et l’administration des pâles reflets du monde de l’étranger."

Chantal T. Spitz signe donc une saga familiale sur plusieurs générations, où l’amour l’emporte malgré les transgressions, signe que le syncrétisme entre les cultures est finalement, peut-être, possible…

Une auteure engagée

Tour à tour institutrice, conseillère pédagogique et conseillère technique au ministère de la Culture, aujourd’hui retraitée, Chantal T. Spitz s’évertue depuis de nombreuses années à briser le mythe né d’un néo-colonialisme insidieux, fait de réécriture de l’histoire et de perpétuation d’une image collective qui fige les Tahitiens dans une caricature de "bons sauvages". Engagée sur le front culturel, indépendantiste, elle participe également au mouvement anti-nucléaire né après les premiers essais français de 1966. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, on ne peut ignorer son talent littéraire et la force des sujets qu’elle dénonce. Si le lecteur ressort bouleversé de ces lectures, il ne peut en ressortir inchangé.
Sa bibliographie n’a cessé de s’enrichir depuis : Elles, Terre d’enfance, roman à deux encres (2011), Hombo, transcription d’une biographie (2012) et plus récemment, son premier recueil de nouvelles incandescentes Cartes postales (2015), lauréat du prix Popaï 2016. Par ailleurs, Elle participe à l’aventure littéraire de l’Association Littérama’ohi qui édite des ouvrages à plusieurs mains, en français et en tahitien, et qui s’attache à faire vivre l’écrit pour mieux se souvenir, se rappeler de la culture d’antan tout en la confrontant à réalité moderne.

Pratique

Plus d’informations sur l’auteur et sa bibliographie :
Interview vidéo pour Île en Île :



Rédigé par Au Vent des îles le Lundi 6 Mars 2017 à 08:57 | Lu 5554 fois
           



Commentaires

1.Posté par georgy le 06/03/2017 11:32 | Alerter
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En Polynésie il semble "tabu" d'évoquer le rôle des "envahisseurs" chrétiens, notamment les pasteurs protestants dans les IDV et ISLV, les missionnaires catholiques aux Marquises et Gambier, qui ont été à l'origine de l'effondrement de la civilisation des maohi. La plupart des représentations des divinités traditionnelles ont été brûlées, fracassées (sauf quelques statues sauvée de justesse, exposées au Musée du Quay Branly à Paris). Les marae sont engloutis sous temples et églises. Qui lit le roman de Victor Segalen "Les immémoriaux" ? Lui aussi semble "tabu": il explique comment les Polynésiens ont perdu leur mémoire sous les assauts des bulldozers de la Bible !

2.Posté par A bon ! le 07/03/2017 09:04 | Alerter
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Noire, très noir, trop noir le personnage.

Même si l'origine de sa colère se comprend, son message ne passe pas.

La cible est-elle la bonne ?

Il est toujours très difficile d'accepter une remise en question mais, pour porter ses fruits, son combat n'a d'autre choix.

3.Posté par beaulieu jean pierre le 07/03/2017 10:12 | Alerter
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Elle est plus que complexée et est incapable d'avoir une approche logique d'un monde en perpétuel changement.
Je n'ai aimé ni le livre ni le personnage. C'est elle aussi qui estimait que l'Islam avait sa place en Polynésie, ce qui contredit complètement son approche livresque.

4.Posté par Droulet'''' le 07/03/2017 22:38 | Alerter
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Je n'ai jamais lu ses ouvrages, je l'ai croisée, et j'ai vu ses passages à la télé .
Il faut reconnaître que cette dame est viscéralement ancrée dans sa terre , qu'elle l'aime et qu'elle l'a défend.
Elle m'a ouvert les yeux sur Gauguin, qu'elle a affublé, et elle a raison, du qualificatif de pedophile...comme je ne savais pas j'ai bien été obligé de me renseigner....c'est vrai..
Je pense que c'est une conscience majeure du peuple Mahoi mais que pas mal de Polynésiens réprouvent, ILS ONT TORT.
Respect Madame
Et merci

5.Posté par microstring le 08/03/2017 12:52 | Alerter
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A mon avis, Chantal est plutôt une militante qu'une écrivaine