Moorea, le 6 août 2025 – À Moorea, le nourrissage quotidien des anguilles par des prestataires touristiques interroge. Bien que non sanctionné, ce geste perturbe l’écosystème, selon la Diren et le Criobe. Face à cette pratique banalisée, chercheurs, autorités et acteurs du tourisme tentent de faire évoluer les comportements.
Le week-end dernier à Moorea, une balade dans la vallée d'Opunohu a suscité une interrogation : entre 14 et 15 heures, durant une vingtaine de minutes d’observation, trois groupes de touristes en quad, accompagnés par leurs tour-opérateurs, sont venus admirer les anguilles aux yeux bleus dans la rivière. Chacun tenait une boîte de sardines ou de maquereaux pour les attirer.
Nourrir les anguilles : un geste anodin aux conséquences ignorées
Pourtant, en Polynésie française, le nourrissage de la faune sauvage est strictement interdit par le Code de l’environnement, en particulier depuis la Loi du Pays n° 2017‑25 du 5 octobre 2017. Celle-ci prévoit notamment qu’“attirer à soi (…) des espèces sauvages (…) par des gestes, bruits ou promesses de nourriture” est proscrit, surtout lorsque cela peut gêner ou modifier les comportements naturels des animaux ou des usagers de l’espace.
Pour Pierre Sasal, directeur du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) basé à Moorea, ce serait bien le cas. Ce chercheur travaille sur les anguilles depuis plus de vingt ans. “En plus des questions éthiques, le nourrissage quotidien modifie la morphologie et le microbiote de l’animal, et pourrait perturber ses habitudes migratoires”, estime-t-il.
Le directeur du Criobe a donc alerté la Diren au sujet de cette pratique touristique, sans retour. “Bien qu’emblématique, l’anguille n’est pas une espèce protégée en Polynésie”, réagit Tuterai Virau, chargé de projet rivières et milieux aquatiques auprès de la Diren. “Toutefois, leur nourrissage crée un déséquilibre écologique comparable au ‘shark feeding’. Cependant, face à de nombreuses inconnues (notamment le lieu précis de reproduction), la réglementation ne peut évoluer afin de sanctionner cette pratique de nourrissage. On déconseille l’acte tout en laissant la responsabilité à chacun”, conclut-il.
Même son de cloche de la part du ministre de l’Agriculture, des Ressources marines et de l’Environnement, Taivini Teai, qui recommande la prudence : “Je déconseille le nourrissage, qui peut provoquer un déséquilibre écologique. J’encourage les professionnels du tourisme à s’approcher des scientifiques pour mieux comprendre la question.”
Une formation pour changer les pratiques
Enfin, sur le terrain, Tino d’Albert Transport & Activités, prestataire basé à Moorea, dit avoir cessé la pratique malgré les demandes des clients, après avoir reçu le message du comité du tourisme de Moorea à ce sujet. De son côté, la société ATV Moorea Tours admet : “Nous, les prestataires, on les a habituées à être nourries.” Après réception du mail de sensibilisation, son équipe tente désormais de stopper cette habitude. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Pour certains prestataires rencontrés sur place, “c’est du business”.
Alors que, selon Pierre Sasal, il suffit de tapoter la surface de l'eau pour faire venir les anguilles vers nous. “L’idée n’est pas de compromettre l’activité touristique mais de changer les pratiques”, souligne-t-il. Le scientifique regrette d’ailleurs que les prestataires en sachent si peu sur cette espèce si convoitée. Il souhaiterait organiser une formation gratuite destinée aux professionnels du tourisme afin d’expliquer le comportement des anguilles – notamment leur reproduction –, et corriger les idées fausses circulant auprès des touristes.
Si la Diren et les prestataires contactés soutiennent l’idée d’une formation proposée par Pierre Sasal, une interrogation demeure : comment concilier l’interdiction posée par la loi de 2017 avec une pratique encore largement tolérée sur le terrain ? Faut-il y voir une volonté d’éviter de brusquer le secteur touristique, en attendant une prise de position plus ferme des autorités ?
Le week-end dernier à Moorea, une balade dans la vallée d'Opunohu a suscité une interrogation : entre 14 et 15 heures, durant une vingtaine de minutes d’observation, trois groupes de touristes en quad, accompagnés par leurs tour-opérateurs, sont venus admirer les anguilles aux yeux bleus dans la rivière. Chacun tenait une boîte de sardines ou de maquereaux pour les attirer.
Nourrir les anguilles : un geste anodin aux conséquences ignorées
Pourtant, en Polynésie française, le nourrissage de la faune sauvage est strictement interdit par le Code de l’environnement, en particulier depuis la Loi du Pays n° 2017‑25 du 5 octobre 2017. Celle-ci prévoit notamment qu’“attirer à soi (…) des espèces sauvages (…) par des gestes, bruits ou promesses de nourriture” est proscrit, surtout lorsque cela peut gêner ou modifier les comportements naturels des animaux ou des usagers de l’espace.
Pour Pierre Sasal, directeur du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) basé à Moorea, ce serait bien le cas. Ce chercheur travaille sur les anguilles depuis plus de vingt ans. “En plus des questions éthiques, le nourrissage quotidien modifie la morphologie et le microbiote de l’animal, et pourrait perturber ses habitudes migratoires”, estime-t-il.
Le directeur du Criobe a donc alerté la Diren au sujet de cette pratique touristique, sans retour. “Bien qu’emblématique, l’anguille n’est pas une espèce protégée en Polynésie”, réagit Tuterai Virau, chargé de projet rivières et milieux aquatiques auprès de la Diren. “Toutefois, leur nourrissage crée un déséquilibre écologique comparable au ‘shark feeding’. Cependant, face à de nombreuses inconnues (notamment le lieu précis de reproduction), la réglementation ne peut évoluer afin de sanctionner cette pratique de nourrissage. On déconseille l’acte tout en laissant la responsabilité à chacun”, conclut-il.
Même son de cloche de la part du ministre de l’Agriculture, des Ressources marines et de l’Environnement, Taivini Teai, qui recommande la prudence : “Je déconseille le nourrissage, qui peut provoquer un déséquilibre écologique. J’encourage les professionnels du tourisme à s’approcher des scientifiques pour mieux comprendre la question.”
Une formation pour changer les pratiques
Enfin, sur le terrain, Tino d’Albert Transport & Activités, prestataire basé à Moorea, dit avoir cessé la pratique malgré les demandes des clients, après avoir reçu le message du comité du tourisme de Moorea à ce sujet. De son côté, la société ATV Moorea Tours admet : “Nous, les prestataires, on les a habituées à être nourries.” Après réception du mail de sensibilisation, son équipe tente désormais de stopper cette habitude. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Pour certains prestataires rencontrés sur place, “c’est du business”.
Alors que, selon Pierre Sasal, il suffit de tapoter la surface de l'eau pour faire venir les anguilles vers nous. “L’idée n’est pas de compromettre l’activité touristique mais de changer les pratiques”, souligne-t-il. Le scientifique regrette d’ailleurs que les prestataires en sachent si peu sur cette espèce si convoitée. Il souhaiterait organiser une formation gratuite destinée aux professionnels du tourisme afin d’expliquer le comportement des anguilles – notamment leur reproduction –, et corriger les idées fausses circulant auprès des touristes.
Si la Diren et les prestataires contactés soutiennent l’idée d’une formation proposée par Pierre Sasal, une interrogation demeure : comment concilier l’interdiction posée par la loi de 2017 avec une pratique encore largement tolérée sur le terrain ? Faut-il y voir une volonté d’éviter de brusquer le secteur touristique, en attendant une prise de position plus ferme des autorités ?
Anguilles “sacrées” et reproduction mystérieuse
En Polynésie, les anguilles, appelées “puhi”, ne sont pas de simples poissons : ce sont des êtres sacrés, liés à la prospérité des vallées. Leur présence dans un cours d’eau est signe de vie et d’abondance. Trois espèces coexistent localement, dont Anguilla marmorata majoritaire, capable d’atteindre jusqu’à deux mètres. Leur reproduction demeure partiellement connue : selon une des hypothèses, les adultes quittent les eaux douces, se transforment après avoir accumulé des réserves graisseuses, migrent vers une zone océanique probable entre Vanuatu, Samoa ou Fidji, se reproduisent puis meurent ; les larves remontent ensuite les cours d’eau, pour revenir dans les rivières, mais le lieu exact de la reproduction reste incertain. Chez Anguilla marmorata, la longévité peut se compter en dizaines d’années. Quant à l'origine des yeux bleus : il s'agit d'un effet d’optique naturel (iris translucide) accentué dans les eaux claires, qui confère à ces anguilles un aspect sacré selon les croyances polynésiennes.
En Polynésie, les anguilles, appelées “puhi”, ne sont pas de simples poissons : ce sont des êtres sacrés, liés à la prospérité des vallées. Leur présence dans un cours d’eau est signe de vie et d’abondance. Trois espèces coexistent localement, dont Anguilla marmorata majoritaire, capable d’atteindre jusqu’à deux mètres. Leur reproduction demeure partiellement connue : selon une des hypothèses, les adultes quittent les eaux douces, se transforment après avoir accumulé des réserves graisseuses, migrent vers une zone océanique probable entre Vanuatu, Samoa ou Fidji, se reproduisent puis meurent ; les larves remontent ensuite les cours d’eau, pour revenir dans les rivières, mais le lieu exact de la reproduction reste incertain. Chez Anguilla marmorata, la longévité peut se compter en dizaines d’années. Quant à l'origine des yeux bleus : il s'agit d'un effet d’optique naturel (iris translucide) accentué dans les eaux claires, qui confère à ces anguilles un aspect sacré selon les croyances polynésiennes.