Tahiti Infos

Plainte contre la France : "On ira jusqu’au bout", assure Moetai Brotherson


Moetai Brotherson, le conseiller spécial aux affaires internationales du Tavini.
Moetai Brotherson, le conseiller spécial aux affaires internationales du Tavini.
FAAA, 29 mars 2016 - Moetai Brotherson, le conseiller spécial aux affaires internationales du Tavini, évoque la mission d’une semaine qu’il vient de réaliser à New York, au siège des Nation Unies, avec le représentant souverainiste Richard Tuheiava.

Sur place, 57 entretiens étaient programmés avec les représentants d'Etats qui ont soutenu la procédure initiée en 2013 avec la réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser. Il confirme la gestation d’une action régionale visant la France devant la justice internationale pour crime contre l’humanité, avec une plainte qui pourrait être déposée "avant la fin de l’année".

"Nous avons rencontré toutes les personnes que nous voulions voir. C’est pour nous une manière de travailler plus efficacement, dans l’optique de nos prochaines prises de paroles, en juin devant le comité des 24 et en octobre devant la quatrième commission", explique-t-il.

Quels étaient vos objectifs à New York, la semaine dernière ?

Moetai Brotherson : Nous avions plusieurs sujets à aborder avec l’ensemble des pays qui nous soutiennent. Evidemment l’actualité politique récente, avec la venue à Tahiti de François Hollande. Et les quelques proposition d’évolution statutaire, notamment celle de Pays associé de Gaston Flosse d’un côté, et cette nébuleuse des accords de Papeete dont on ne sait pas bien ce qu’ils peuvent contenir, leur périmètre, leur orientation, mais dont on sait que c’est l’option retenue par le Tapura et par l’Etat. Nous sommes allés expliquer pourquoi, dans un cas comme dans l’autre, on trouvait cela inadapté : nous ne sommes plus à la recherche d’un énième toilettage statutaire mais dans un projet de constitution. Nous souhaitions faire un point là-dessus.
Nous avons évidemment évoqué la candidature d’Oscar Temaru aux prochaines élections présidentielles, pour bien expliciter qu’il ne s’agit bien sûr pas pour lui, étant indépendantiste, de devenir président de la République française. D’abord parce que statistiquement c’est assez peu probable, mais surtout parce que ce n’est pas du tout sa volonté. Sa volonté c’est démontrer le paradoxe qui est le nôtre : aujourd’hui la seule élection au suffrage universel qui donne véritablement les pleins pouvoirs sur la colonie dans laquelle nous vivons, c’est l’élection présidentielle de la République française. Ca, ils l’ont bien compris également.
Ensuite, nous avons abordé les deux grands sujets qui ont déjà fait l’objet d’une résolution à l’ONU (la deuxième résolution après la réinscription), à savoir celui du nucléaire et celui des ressources naturelles. Nous avons réexpliqué le miroir aux alouettes que nous donne à contempler la France concernant les ressources naturelles : « Oui, oui, vous êtes compétents », nous disent-ils. Mais ils oublient juste la deuxième partie de la phrase : « sauf quand ce sont des minerais stratégiques ». On sait pourtant que les ressources naturelles sous-marines qui se trouvent dans nos océans feront partie, le moment venu, de cette dernière catégorie
.

En quoi l’ONU peut-elle, selon vous, être d’un quelconque secours une fois cela expliqué ?

Moetai Brotherson : C’est dans l’ADN même de l’ONU. Dans les textes fondateurs de l’Organisation des nations unies, et notamment dans la résolution 15-40, il y a tout un chapitre sur le fait que les ressources naturelles appartiennent aux peuples autochtones et doivent leur bénéficier en premier lieu. C’est absolument dans les attributions de l’ONU que de s’assurer de cela.

Compte tenu de la relation étroite qui lie la collectivité polynésienne à la France, pensez-vous qu’une telle distinction puisse s’opérer ?

Moetai Brotherson : C’est pour cela que nous sommes réinscrits et que nous sommes dans une démarche de décolonisation. Nous disons que tant que l’on restera dans le carcan statutaire qui est le nôtre, on se fera effectivement avoir au tournant. Quoi qu’en disent nos dirigeants actuels, qui sont soit naïfs, soit complètement inconscients s’ils pensent avoir une quelconque force d’initiative sur ces questions clés sans que l’Etat ait son mot à dire. C’est vrai que dans le carcan statutaire qui est le nôtre aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire ; mais c’est bien en raison de cela que nous sommes réinscrits à l’ONU.

Et concernant le nucléaire, dans le cadre de l’indemnisation que vous souhaitez de la France, que pensez-vous obtenir à New York ?

Moetai Brotherson : Nous avons rappelé cette semaine la résolution adoptée par les élus locaux en 2013 avec une large majorité. (…) Elle reconnait la nature coloniale du fait nucléaire, les mots ont leur importance. Ensuite elle cherche à établir une compensation pour les dégâts environnementaux liés à ces essais. Nous avons rappelé l’existence de cette résolution parce qu’il y a des tentatives de la part de la France de minimiser, voire d'ignorer ce texte selon la tactique habituelle.
Nous avons également informé les pays que nous avons rencontrés au sujet de ce formidable élan local autour de la pétition lancée par l’association 193 et qui recueille à ce jour près de 40 000 signatures, en moins de 6 mois. C’est tout à fait considérable et ça a beaucoup impressionné nos interlocuteurs. Ce fait sera introduit lors de nos prochaines prises de parole en juin
.

Qu’en est-il de la plainte contre la France devant le tribunal pénal international ?

Moetai Brotherson : C’est le troisième élément qui a motivé notre déplacement, l’éventualité de cette plainte devant les tribunaux internationaux.

La Polynésie ne pourra pas la porter, n’étant pas un Etat. Comment comptez-vous y parvenir ?

Moetai Brotherson : Le Tavini Huiraatira depuis sa création a montré sa détermination : quand on annonce des choses, on va jusqu’au bout. Lorsqu’on a évoqué la réinscription, tout le monde nous a rit au nez en disant que nous n’y arriverions jamais. Nous sommes réinscrits depuis le 17 mai 2013.
Ceux qui pourraient avoir un sourire concernant l’éventualité d’une plainte contre la France devant les tribunaux internationaux feraient bien de s’en souvenir.
Nous sommes en contact avec des cabinets d’avocats internationaux, avec l’ensemble des Etats qui se sont déjà engagés dans ce type de démarche parce que victimes d’essais nucléaires des grandes puissances et nous avons des échanges réguliers et constants avec leurs équipes de juristes. Nous sommes prudents, méthodiques mais déterminés
.

A poser une plainte pour crime contre l’humanité ?

Moetai Brotherson : Oui, tout à fait. Parce que si c’est le seul moyen d’amener la France à un état d’esprit plus coopératif, à condescendre enfin à venir à la table des discussions… Eh bien on ira jusqu’au bout.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 29 Mars 2016 à 16:39 | Lu 3457 fois